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De la Moselle à Sarcelles

Oh la la, Sarcelles... mais tu es fou !

Mr Jean-Claude Veyron-Churlet

dimanche 14 mars 2010, par Frederic Praud

texte Frederic Praud


Enfance itinérante d’un fils d’officier

Je suis né en 1941 à Toulouse, pendant l’exode. Mon père était pilote dans l’armée de l’air et avec la débâcle, il s’est retrouvé là-bas. Lorsqu’il a été démobilisé au moment de Vichy, il est retourné dans sa famille, du côté de Grenoble, à Saint-Étienne de Saint-Jouarre. Jusqu’en 1945, j’ai donc connu une enfance marquée par l’Occupation mais pas trop malheureuse finalement, car nous n’avons pas trop souffert…

Lorsque les Américains sont arrivés, mon père s’est réengagé et il a fait la campagne de France, puis celle d’Allemagne. Fin 45, on s’est retrouvé avec les troupes d’occupation alliées en Forêt Noire, sur le lac de Constance. Alors là, ça a été une période de rêve… Alors qu’en France, les gens crevaient de faim, on s’est retrouvé dans l’opulence la plus totale !

Je n’ai jamais vécu à la caserne car je suis le plus jeune de quatre enfants et lorsque mon père se déplaçait, il était systématiquement logé par l’armée, dans des maisons ou des appartements. Il est resté en occupation jusqu’en 51. Ensuite, je suis allé en pension dans la région de Grenoble, à Voiron, chez les Jésuites.

Jusque-là, j’avais vécu dans un univers doré ! Je fréquentais les écoles d’occupation, où enseignaient des professeurs embauchés par l’armée. Là-bas, nous n’étions qu’entre enfants de militaires ou d’occupants, car il y avait quand même du personnel civil. On avait très peu de contacts avec les jeunes Allemands. Disons qu’avec eux, on était très hautains, surtout mes frères et sœurs. D’ailleurs, mon frère aîné était surnommé le SS français ; ça veut tout dire ! Il était très très dur avec les autres … Il avait cinq ans de plus que mois et pendant l’Occupation, il était à l’école des pupilles de l’air à Grenoble, un truc très rigoureux, très stricte…

Á l’école, il y avait peu d’enfants d’origine étrangère. Comme c’était l’armée de l’air, il n’y avait que des Français… et quelques Polonais. Les pilotes étaient souvent célibataires ! La plupart étaient jeunes. Comparé à eux, mon père, né en 1910, faisait partie des anciens… Il était assez âgé pour un pilote, en particulier dans les chasseurs bombardiers…

Adolescence chez les Jésuites

C’est une expérience très dure à encaisser… Tant qu’on est tout gamin, ça passe. Mais, quand on commence à devenir un ado, c’est très très très dur… Déjà, il y avait la question des sorties. On pouvait rentrer chez nous à Noël, Pâques et aux grandes vacances, point final… Le dimanche, on faisait des sorties en groupe et c’est là que j’ai commencé à faire du sport pour me changer les idées, m’évader et voir différentes choses. Le jeudi, on avait cours le matin et l’après-midi, c’était sport, détente, etc. Nous avions également classe le samedi. Le soir, on allait systématiquement en études. On avait la messe tous les matins. Bref, c’était très très très rigoureux… Et puis, question discipline, ça ne mouftait pas ! Il ne fallait pas broncher ! Alors, dans de telles conditions, nous n’avions qu’une seule possibilité : s’adapter… L’adolescent est très malléable ! Il rêve mais il rue aussi parfois dans les brancards ! Tant qu’on n’était avec des professeurs jésuites, on restait tranquilles mais dès que l’on avait des civils, c’était une autre histoire. Par exemple, lorsqu’un jour, un professeur civil m’a demandé de prendre la porte, je me suis levé et je l’ai dégondée devant toute la classe. Évidemment, je me suis retrouvé devant le directeur…

Á l’époque, comme j’étais plutôt matheux, j’ai fait maths élem. Mais ensuite, la pension exacerbant un peu les esprits, j’ai redoublé une année et mon sursis a été résilié. J’ai donc été envoyé en Algérie. C’était en 60.

Service militaire en Algérie

Jusqu’au retour de de Gaulle, en 58, l’Algérie ou le Sénégal, c’était la France pour nous ! C’étaient les colonies ! On nous avait toujours appris ça… de toute manière, on ne se posait pas tellement de question ! C’est finalement de Gaulle qui a remis les choses en cause en affirmant que chacun devait avoir le choix de sa vie. Moi, après tout, je n’étais pas contre ! Chacun a le droit de mener son existence comme bon lui semble. En 60-61, je n’étais pas du tout favorable à l’Algérie française ! Et pourtant, je me trouvais en pleine période de l’OAS… C’était très très dur…

J’étais à Alger à l’époque, à La Régalia exactement. En tant que fils de militaire de l’armée de l’air, j’ai fait automatiquement mon service dans le même corps que mon père. J’étais donc un petit peu protégé… J’ai terminé fin 61, à l’état major Air Algérie, à La Régalia. J’ai fait partie de la dernière classe d’appelés faisant vingt-sept mois. La toute dernière ! J’avais été incorporé fin 59, en novembre.

En tant qu’homme, j’ai très mal vécu les évènements… Comme certains de mes copains, je ne voyais pas ce que l’on allait faire là-bas ! On ne comprenait pourquoi l’armée française se rebellait comme ça ! Nous étions de simples appelés, c’est-à-dire que nous ne faisions pas partie de l’armée de métier. C’est elle qui s’est insurgée ! Mais nous, on se sentait très mal parce qu’honnêtement, on ne savait pas ce que l’on venait faire dans cette galère… On était pas très heureux d’être là-bas…

Pour autant, j’ai quand même de très bons souvenirs ! J’ai conservé de bonnes relations avec certains Algériens de souche et je sais que si j’y retourne, j’irai voir ces gens-là. Et puis, par la suite, dans mes différentes professions, je me suis retrouvé avec énormément de travailleurs immigrés, notamment Algériens et parmi les Kabyles, j’ai encore de très bons copains.

Cette période a été très troublée, très perturbée en France et moi, je l’ai très mal vécue en tant que jeune … Comme beaucoup, j’étais mal à l’aise… C’est d’ailleurs ce qui a donné 68 après…

Personnellement, je n’ai jamais été raciste. Alors pour moi à l’époque, tout le monde avait droit à la liberté de pensée, à la liberté d’expression et à la liberté de choisir son devenir. Je ne voyais pas pourquoi nous, en tant que Français, on occupait d’autres pays alors que les gens ne le voulaient pas. Surtout que l’on en a bien profité ! En tant que soldats, on était donc très mal à l’aise ! D’ailleurs, à ce moment-là, l’armée française était très très partagée ! Il y avait les pro et les anti… C’était vraiment une période abominable…

Parcours professionnel : de la Moselle à la région parisienne

Quand je suis revenu du service militaire, après vingt-sept mois d’abandon, je n’ai pas voulu reprendre mes études. Je suis donc rentré dans la vie professionnelle. J’ai bricolé un petit peu à Grenoble, dans l’usine Caterpilar, puis mon beau-frère qui travaillait dans l’Est, à Boulay, m’a proposé : « Écoute Jean-Claude, je suis responsable du personnel de l’entreprise Miller Frères et si tu veux, je peux t’y faire entrer. » Alors, je me suis marié, j’ai déménagé et je suis parti vivre en Moselle.

J’ai commencé comme conducteur d’engins de travaux publics et je suis monté en grade. Je suis passé chef d’équipe, chef de chantier, puis conducteur de travaux. Je suis resté jusqu’en 82 dans cette même entreprise, dans l’Est. Mais, je naviguais beaucoup ! Je travaillais un petit peu partout en Europe, au Luxembourg, en Allemagne… J’ai construit ma vie de famille là-bas. J’étais propriétaire d’une maison, etc.

Dans les années 80s, j’ai travaillé pour la Ville de Paris, au service des eaux et quand le service est passé au privé, à la Générale des Eaux, j’ai été pressenti pour créer une entreprise pouvant intervenir dans Paris intra-muros. J’ai donc monté cette entreprise qui s’appelait Paridro, en 86. J’ai été embauché par la SADE, à Rouen, qui m’a payé mon déménagement. J’ai cherché un logement pour m’installer en région parisienne et c’est à Sarcelles que j’ai trouvé un appartement, avant d’y louer une maison, aux Chardonnerettes. Plus tard, j’ai fait construire au Village et voilà, j’ai fait ma vie ici. J’ai pris ma retraite en 2001…

Sarcelles d’hier à aujourd’hui

Pour moi, Sarcelles, c’est avant tout le Village. Le jour où j’ai dit que j’avais trouvé un appartement à Sarcelles, on m’a prévenu :
« - Oh la la, Sarcelles ! Mais, tu es fou !
  Pourquoi ça ? Non ! Moi, j’ai visité et c’est très agréable ! »
Je me suis toujours plu à Sarcelles… Je m’y sens très bien… J’ai cinq enfants, dont un fils qui est mort. Et bien, ils ont tous fait leur vie ici et se sont mariés dans le coin sans problème !

Quand je suis arrivé, je venais d’une petite sous-préfecture de la Moselle qui, à tout casser, comptait six mille habitants. Alors, c’était un sacré changement ! Pour mes enfants, il y avait tout à portée de main ! Le collège, le lycée, etc. Il y avait aussi des commerces sur place, des transports. Nous étions à proximité de Paris et à l’époque, je sortais beaucoup avec mon épouse. On allait souvent aux spectacles. Donc pour moi, c’était la vie de rêve !

Je ne m’occupais pas trop de ce qui se passait autour, des voisins, etc. Comme j’avais une vie professionnelle très prenante, de six heures du matin à sept heures du soir, j’avais peu de temps pour autre chose. Par contre, ma femme s’est très accommodée à Sarcelles… Moi, pendant vingt ans, je n’ai quasiment pas eu de vie sociale ici ! Je ne connaissais pas la ville ! C’était métro, boulot, dodo. Mais à partir de 2001, je me suis éclaté… Je me suis épanoui en participant à la vie associative…

Aujourd’hui, je suis divorcé d’avec ma femme mais elle habite toujours au Village. Quoi qu’il en soit, à l’époque où je travaillais, elle vivait là ! Mes enfants se sont très bien adaptés à Sarcelles, tout au moins mes filles, parce que mon fils était déjà à l’école navale de Brest. Il n’a pas fait l’aéronavale. Pour lui, c’était la mer avant tout…

En arrivant à Sarcelles, le gros avantage, est que l’on avait tout sur place, en particulier les études pour mes enfants. C’était essentiel ! Mes deux fils étaient jumeaux. L’un était basé à Brest et l’autre à Toulon. Malheureusement, ce dernier est aujourd’hui décédé… Mais, à l’époque, c’était pratique pour eux de venir à Paris ! Du moins, ça l’était bien davantage que d’aller sur Metz ! Et puis, on avait tout sous la main ! Mes filles ont fait toutes leurs études ici. Les facultés étaient à proximité. Tout était là…

Il est vrai qu’au début, connaissant l’image de la ville, on s’est posé des questions ! Mais finalement, on s’est aperçu qu’à Sarcelles, on vivait très bien… Nous avons toujours vécu au Village. Nous ne connaissons pas le Grand Ensemble. Mais, il m’arrivait quand même d’y aller parfois ! Je n’ai jamais eu d’à priori. Au centre commercial des Flanades, il y avait pas mal d’animation et lorsqu’on avait des courses à faire, on allait souvent là-bas.

Seulement depuis, les Flanades ont énormément changé… Ce n’est plus ce que c’était dans les années 80s… La vie du centre commercial s’est éteinte à un moment… Il n’y avait plus rien… Ça tournait un peu à la hold up city ! Il y avait un profond mal être et il ne faisait pas bon s’y promener seul le soir… En tous cas, lorsque j’ai vu que tous les commerces fermaient, je n’y suis plus allé… Du début des années 90s jusqu’à la semaine dernière, je n’ai pratiquement jamais remis les pieds au Grand Ensemble ! Sauf si j’avais à faire à la cité administrative ou des histoires comme ça, mais c’est tout… En fait, ce sont deux vies distinctes… Moi, j’ai toujours vécu dans le Village et c’est grâce à l’exposition réalisée cette année que j’ai réellement découvert le Grand Ensemble !

D’ailleurs, je crois qu’organiser des visites pour les gens du village serait vraiment une bonne chose, dans la mesure où elles permettraient de changer l’image qu’ils se font du Grand Ensemble. Mais, la réciproque est vraie aussi ! Les habitants du Grand Ensemble ne connaissent pas le village. Á Sarcelles, il y a deux villes. C’est moins le cas maintenant mais ce n’est pas vieux…

Sur ce point, je pense que mes enfants seraient d’accords avec moi… C’est ici qu’ils prenaient leur moyen de transport ! Ils n’avaient pas à se rendre là-bas ! Á Sarcelles, nous avons deux gares finalement. On n’est pas obligé d’aller au Grand Ensemble prendre le train pour Paris, même si à la gare de Sarcelles Garges, ils sont peut-être plus fréquents. En fait, ça dépend des horaires. Ici en moyenne, on a quand même un train toutes les vingt minutes ! Il est vrai que le trajet est un peu plus long. Pour rejoindre Paris de Sarcelles Saint-Brice, il faut à peu près une demie heure, alors qu’il faut dix minutes un quart d’heure par le RER.

Tant que les Flanades présentaient une activité commerciale importante, les gens du Village avaient tendance à y aller faire leurs courses ! Mais, maintenant qu’il n’y a pratiquement plus rien, à part le marché du dimanche matin, les gens ne trouvent plus aucun intérêt à se rendre là-bas… Déjà pour stationner, il y a des problèmes ! Le Grand Ensemble, pour se garer, ce n’est pas très pratique ! C’est la galère !

Message aux jeunes

Ce que je voudrais transmettre aux jeunes, c’est le respect avant tout. Non seulement celui des autres et des choses mais aussi celui de leur propre personne. Si tous les jeunes se respectaient eux-mêmes, je crois que ça irait beaucoup mieux… Et surtout, il ne faut pas faire aux autres ce qu’on ne veut pas qu’on nous fasse…


Voir en ligne : La Bande Dessinée : Les Migrants

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