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Je suis une pure sarcelloise.... avec mes origines ailleurs

MIEL

mardi 13 avril 2010, par Frederic Praud

texte Frederic Praud


Je suis née en 1982 à Sarcelles. Je suis une pure Sarcelloise. Mes parents sont d’origines tunisienne, libyenne, turque et soudanaise. En fait, mon père est soudanais et tunisien et ma mère, libyenne et turque. Je suis donc le résultat d’un sacré cocktail ! Un cocktail Molotov ! Mon père est arrivé en France en 58 et ma mère, un peu plus tard, en 66. Ils se sont rencontrés en France en 1974 ou 1975. Je ne suis pas l’aînée de la famille. J’ai un grand frère de trente ans et un autre de vingt-six ans.

Mon père ne m’a jamais trop parlé de son passé. En fait, il a vécu la majeure partie de sa vie en France ! Il y est depuis quasiment cinquante ans. Par contre, je sais qu’il est resté un moment en Belgique. Quant à ma mère, elle m’a raconté qu’elle vivait en Tunisie, que sa mère ne travaillait pas et que son père était agriculteur. Je n’ai connu que ma grand-mère maternelle. La mère de mon père est morte à sa naissance et son père est décédé en 80. Mais, je connais le village d’où je viens car depuis que je suis petite, je vais en Tunisie tous les ans.

Ma mère m’a un peu raconté ses débuts en France. Elle m’a dit que c’était un peu dure parce qu’il y avait beaucoup de racisme à cette époque-là… Les gens n’étaient pas ensemble ! Il n’y avait pas solidarité entre eux ! Les Français n’étaient pas très accueillants avec les immigrés…Elle m’a expliqué qu’elle a dû trimer pour en arriver là ! Au départ, elle était couturière et elle travaillait au noir…

Des parents toujours étrangers

Aujourd’hui, elle vit toujours en France avec une carte de séjour. Elle l’a d’ailleurs faite refaire il n’y a pas longtemps. Depuis 1966, elle n’a toujours pas la nationalité française ! C’est ça que je ne comprends pas ! Depuis toutes ces années, ils auraient quand même pu la lui donner ! Mais, elle a fait la demande et n’a jamais eu de réponse. En arrivant en France, mon père est devenu chauffeur livreur et il est exactement dans le même cas que ma mère concernant ses papiers. Il a toujours une carte de séjour.

Moi, je suis française. J’ai reçu la nationalité automatiquement, dès ma naissance. Je n’ai pas eu à choisir à dix-huit ans ! En 82, ce n’était pas encore comme ça. Mes parents m’ont simplement déclaré comme française lorsque je suis née. C’était suffisant… Par contre, c’est beaucoup plus compliqué actuellement ! Ma cousine a la nationalité algérienne. Née France, elle a du mal à obtenir une carte d’identité. Ils lui ont demandé des papiers, je ne sais plus trop quoi exactement, mais ce sont vraiment des trucs qu’elle ne retrouvera pas…

Être française en Tunisie

En Tunisie, le niveau de vie n’est pas du tout même. Ça n’a rien à voir… Mes cousins travaillent et touchent deux cents dinars de paye, c’est-à-dire même pas mille francs… Franchement, ça fait mal au cœur ! C’est dur pour eux… Quand je vais là-bas, je ne pense pas qu’ils me considèrent comme une Française parce que je parle couramment la langue et je m’intègre direct. Je me mets à leur hauteur, je suis comme eux…

Pour autant, c’est vrai qu’ils posent un certain regard sur moi, surtout au niveau vestimentaire ! Á leurs yeux, on vit trop bien ici ! On n’a aucun problème, on a de l’argent, on travaille tout le temps, la France nous sourit tous les jours… Ils sont là à faire des rêves… J’ai un cousin qui mourrait pour venir en France ! Il serait capable de faire des trucs de fou ! En fait, ils ne se rendent pas compte que ce sera encore plus dur en arrivant ici… Le problème, c’est qu’ils ne me croient pas quand je leur dis… Ils m’en veulent parce que j’essaie de les décourager… Ils pensent que je ne veux pas les aider, que je suis jalouse, que j’ai peur qu’ils fassent mieux moi, etc. La misère fait imaginer n’importe quoi !

Avant, ma mère ne parlait pas aux autres de sa réalité quotidienne quand elle rentrait en Tunisie. Elle la cachait tandis que maintenant, elle leur fait comprendre que la France, c’est comme là-bas mais en pire, que ce n’est pas parce que l’on a du matériel qu’on nage dans le bonheur. Eux, dès qu’ils nous voient ne serait-ce qu’avec une valise, ils nous disent : « Je la veux, donnez-la moi… » et si tu refuses, ils ont la haine… Un autre problème vient de la télé ! Aujourd’hui là-bas, tout le monde a une parabole ! Alors, ils regardent les films et pensent que c’est la France. Même quand ce sont des films américains ! Malheureusement, c’est la misère qui les fait délirer…

Souvenirs d’enfance

Mes parents sont venus habiter à Sarcelles en 75. Ils se sont installés avenue Marie Blanche. C’est ici que je suis née et depuis, je suis toujours restée dans le quartier. Ils ne m’ont pas raconté leur arrivée. Je ne sais donc pas s’ils étaient contents. Par contre, je sais qu’il y avait dans le quartier pas mal de Tunisiens de la communauté juive et que ma mère s’entendait bien avec ces gens-là. D’ailleurs dernièrement, elle m’a montré des photos. Ils partageaient sans aucun doute la même culture, la même manière de parler, de cuisiner, etc. C’est important…

Enfant, je fréquentais un centre aéré, allée du marché. C’était bien car il y avait du monde. Sinon, il m’arrivait souvent de danser dehors. Je sortais avec un tutu et j’allais sur le stade. En fait, mes souvenirs d’enfance sont plutôt liés au domaine artistique, à la danse, à la musique. Je n’ai pas connu le phénomène des gangs. Je faisais partie d’une petite bande où nous étions dix mais ce n’était pas pour aller se battre avec les autres ou ce genre de truc. C’était surtout pour faire de la musique.

Par contre à l’époque, j’ai entendu parler ce qui s’était passé avant, de « la bande à Bader », de tout ça. J’imaginais des rockeurs avec des vestes en cuir, etc. Mais en 90, ça n’existait plus. Aujourd’hui, les bandes de jeunes s’affrontent pour des questions de secteur, de territoire. Ils s’embrouillent pour rien du tout…Pendant un moment, on a même connu une véritable guerre entre « la Secte », c’est-à-dire Koenig, et « la cité Rose ». Cela a duré quatre cinq ans et il y a même eu des morts…. Ça part de rien maintenant ! Mais, ce ne sont jamais des histoires de communautés. Tout le monde est mélangé. C’est ça qui est bien ! Je trouve que c’est enrichissant !

Sarcelles, entre image et réalité

Á l’extérieur, Sarcelles a toujours la réputation d’être une ville chaude, à tel point qu’il m’est parfois arrivée de ne plus vouloir dire que j’y habitais…
« - Tu viens d’où ?
  Sarcelles.
  Oh la la ! Mais comment tu fais ? Laisse tomber, c’est trop la zone ! »
Tu sens ensuite que les gens n’ont plus envie de parler avec toi, qu’ils essaient de t’éviter. Donc, au bout d’un moment, tu ne peux plus dire que tu habites à Sarcelles… Ce n’est pas une question de honte mais il faut arrêter ! Ils ont donné à cette ville une image de voleurs, de violeurs alors qu’en réalité, c’est tout le contraire !

Moi, franchement, j’aime beaucoup ma ville et je ne l’échangerais pas contre une autre. Les moments de joie sont inédits ici ! Lorsque les gens s’amusent, ils s’amusent vraiment… Ce sont des souvenirs que je ne peux pas oublier… Et puis, il y a une mentalité spéciale… Nous sommes très ouverts, à l’écoute et les jeunes n’hésitent pas à venir nous voir s’ils ont besoin de quelque chose… On ne juge pas les autres à leur origine, à ce qu’il font, etc.

Une anecdote parlante : on est parti au ski avec un groupe de jeune dont un petit qui avait du poids. Avant, quand tu étais un peu gros, toute le monde se moquait de toi. Lui n’était donc jamais allé en séjour par rapport à ça. Il est quand même venu avec nous même si au début, il ne parlait pas trop avec mes jeunes. Nous, animateurs, on était là, on allait le voir, on rigolait ensemble et ensuite, il a commencé à s’amuser avec les autres.

Finalement, il a passé de supers vacances et en revenant, il nous a tous envoyés des messages en disant : « Merci beaucoup. C’est la première fois que je partais en séjour et je pensais que parce que j’étais gros, tout le monde allait se moquer de moi mais vous ne m’avez même pas jugé… » Je lui ai répondu : « Mais, tu crois que je te regarde parce que tu es gros ! Ça n’a rien à voir ! C’est ce que tu es à l’intérieur qui m’intéresse ! Je m’en fous que tu pèses cent kilos ou que tu en pèses même vingt ! »

Être adolescent à Sarcelles hier et aujourd’hui

Je trouve que les jeunes d’aujourd’hui sont trop dépendants du regard des autres. C’est tout le temps : « Qu’est-ce qu’il va dire ? Qu’est-ce qu’il va penser ? » Par exemple, un jeune ne va pas acheter une paire de baskets parce que son copain a la même couleur !

Pourtant, contrairement aux leurs, nos parents ne sont pas nés ici ! Au Bled, ils vivaient constamment avec le souci du qu’en dira-t-on ! Normalement, c’est donc nous qui aurions dû avoir ce problème-là ! Mais non… En ce qui me concerne, j’ai toujours avancé par rapport à moi ; pas par rapport aux autres. Bien sûr, je l’ai fait un peu aussi par rapport à mes parents ! Mais voilà, quand je sais que telle chose est bonne pour moi, j’y vais, sans tenir compte de ce que pourra penser l’un ou l’autre…

Seulement maintenant, les jeunes, ce n’est plus du tout ça… Par rapport à leurs aînés, ils n’ont plus de références comme nous avons pu en avoir… Pour moi, c’était mon grand frère, celui qui est né en 75. Il a eu un magnifique parcours alors qu’il est aveugle depuis l’âge de dix ans ! Il a eu son Bac avec mention. Il est allé à l’université ! Il voulait être dans la musique et il a réussi à sortir son album ! Il est toujours respectueux, toujours bosseur ! C’est un battant ! Pourtant, ce n’est pas lié à l’éducation que mes parents lui ont donnée ! Il est parti de la maison à onze ans, s’est retrouvé tout seul à l’INJA, l’Institut Nationale des Jeunes Aveugles à Paris, et il n’est revenu qu’à l’âge de dix-huit ans.

J’ai également un autre frère mais j’ai préféré suivre son l’exemple de celui ci. Je restais enfermée pendant trois heures avec lui dans la chambre pour apprendre à lire avec lui. J’ai donc vraiment eu ma référence et j’en suis contente, car c’est ce qui fait que je suis comme ça aujourd’hui… J’avais le choix de mon chemin ! Soit je faisais n’importe quoi, soit devenait une bosseuse, quelqu’un de bien. Pour moi, « n’importe quoi », ça signifie faire des trucs du genre : commencer à fumer la cigarette, rester traîner au lac, au stade ou à Paris, au lieu d’aller à l’école, etc. Ce n’est pas la bagarre parque que franchement, à mon époque, il n’y en avait pas beaucoup. Malheureusement, c’est vrai qu’aujourd’hui, les jeunes n’ont plus vraiment de valeurs, de références, exceptées les grands frères en prison, les clips de rap, etc.

Adolescente, mon rêve était de devenir vétérinaire ou chanteuse et à l’heure actuelle, je veux toujours être chanteuse. Je fais du rap et du RNB et j’espère qu’un jour, ça marchera…

Nos parents étaient quand même assez sévères avec nous. Adolescente, je n’avais pas le droit de sortir. Mais, comme j’étais un petit garçon manqué, je faisais un peu comme eux. Je profitais de la moindre occasion. J’avais l’avantage d’habiter au rez-de-chaussée. Alors, je sautais par la fenêtre et hop ! J’allais voir dehors ce qui se passait. Et quand je rentrais, je prenais ma raclée mais j’étais contente parce que j’avais fait ma journée. Je ne calculais pas ! Je trouvais que c’était trop. « Tu ne sors pas ! Tu ne sors pas ! » Ils abusaient parfois les parents…

En novembre dernier, au moment des émeutes, il n’y rien eu à Sarcelles ! Heureusement qu’on est là pour parler aux jeunes. On a freiné plein de trucs ! Franchement, beaucoup de gens pensaient qu’ici, ça allait péter et c’est tout le contraire qui s’est produit…Il ne s’est rien passé… J’étais super fière ! Par contre, en passant ailleurs en voiture, en dehors de Sarcelles, j’ai halluciné ! Chaque fois, il y avait au moins trois ou quatre véhicules qui brûlaient par quartier…

La vocation d’animatrice

Je suis allée jusqu’en BEP secrétariat et ensuite, je suis partie en Belgique pour travailler dans la restauration. J’ai commencé à seize ans. Après, je suis revenue en France, à Sarcelles, où j’ai continué dans la restauration, avant de faire de la télé prospection, puis du secrétariat.

J’ai trouvé ma voie quand j’ai commencé à faire des petits stages en maternelle et en primaire. J’aimais déjà les enfants depuis longtemps ! Ma mère en gardait et je m’en occupais. Mais, c’est en primaire et en maternelle que j’ai vraiment ressenti en moi-même que l’animation était ce que je voulais faire… Je me réveillais avec le sourire ! Et quand j’ai commencé à travailler à l’antenne jeune, c’était pareil ! Je me suis vraiment sentie satisfaite…. J’ai eu de bons exemples, j’ai suivi des formations. Franchement, je suis fière de mon parcours… J’ai démarré mon stage à l’antenne il y quatre ans, en 2002. J’ai débuté comme bénévole et à la fin de ma formation, la mairie m’a embauché.

À Sarcelles, dans l’animation, il y a beaucoup plus de garçons que de filles parce qu’elles ont un peu peur. Dernièrement, quand j’étais à Montpellier, on m’a demandé :
« - Tu fais quoi ?
  Animatrice dans une antenne jeunes à Sarcelles.
  Ah ouais ! Et tu as quels âges ?
  Les onze dix-sept ans.
  Non ! Tu n’as pas peur ? Ce n’est pas trop sur ?
  Mais pas du tout ! Venez voir ! Ils sont magnifiques ! »
Franchement, je n’ai jamais eu aucun problème avec ces jeunes-là parce que je suis une fille. Ils sont respectueux envers moi. Et puis, ça a même ramené des jeunes filles ! Maintenant, elles viennent au local et elles se sentent à l’aise alors qu’avant, ce n’était pas comme ça ! Il faudrait donc plus de mixité parmi les équipes d’animation.

Message aux jeunes

J’aimerais leur dire qu’il faut aller de l’avant, sans regarder ce l’autre fait. Il ne faut pas faire les trucs par rapport aux autres ! S’ils ont envie d’entreprendre quelque chose, il faut y aller et ne pas attendre de savoir ce qu’en pense untel ou unetelle. Les amis ne donnent pas toujours la bonne solution… Il faut donc qu’ils assument leurs rêves et qu’ils arrêtent de vivre par rapport aux autres car malheureusement, c’est beaucoup ça maintenant…

Et puis, j’aimerais dire en particulier aux filles qu’il faut qu’elles restent filles. Il faut qu’elles arrêtent de se prendre pour des garçons ! Beaucoup actuellement ne parlent qu’avec des insultes. Il n’y a plus de bon langage… On dirait vraiment qu’elles sont devenues des hommes ! Alors, qu’elles restent filles, qu’elles gardent leur part de féminité et c’est comme ça que les portes s’ouvriront… Ce n’est pas en restant un garçon manqué que l’on avance ! Je suis bien placée pour le savoir ; je l’ai été moi-même…


Voir en ligne : La Bande Dessinée : Les Migrants

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