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MARTINIQUE - Un Martiniquais est un métis, le résultat d’un mélange de cultures et de religions

Mr Augustin Bertrand

jeudi 15 avril 2010, par Frederic Praud

texte Frederic Praud


Une enfance dorée

Je suis né en 1958 en Martinique, dans le quartier de Balata, situé au nord de la capitale Fort-de-France. Dans ce quartier, on trouve une basilique, la réplique en miniature de celle de Montmartre, et des jardins mondialement connus, les jardins de Balata. Il s’agit d’un quartier assez bourgeois, mais habité par des gens modestes qui ont réussi.

Mon père était entrepreneur après avoir commencé en tant qu’ouvrier. Ma mère était gouvernante dans un hôtel quatre étoiles, après avoir débuté comme femme de ménage. La gouvernante était celle qui dirigeait tout le personnel d’entretien d’un grand hôtel. Tout ce qui concernait la lessive, le ménage, etc., était sous sa responsabilité. Mes parents ont attendu d’avoir une bonne situation avant d’avoir des enfants : trois filles et trois garçons. Nous avons donc connu une adolescence dorée, dans un pavillon avec piscine et servantes.

Prendre conscience de sa chance

La Martinique est une île des Antilles, située au niveau de l’Amérique Centrale, sous le tropique du Cancer, approximativement dans la même zone que la Guyane française. Les Antilles s’étirent de Cuba jusqu’au Venezuela et la Martinique se trouve au beau milieu. De part et d’autre, il y a deux îles anglophones indépendantes et très très pauvres : la Dominique et Sainte-Lucie… Quand enfants, on y allait en colonie, on voyait la différence… C’est pourquoi, lorsque ma mère me disait de manger ma soupe, je le faisais. Là-bas, il y avait une vraie misère ! Une fois, nous y étions allés voir des enfants chez les bonnes sœurs et ils n’avaient pas mangé depuis trois jours…Alors, quand on revenait chez nous, on ne laissait rien dans nos assiettes…

Cette prise de conscience nous faisait avancer ! Lorsque par exemple, tu ne travaillais pas bien à l’école, on te disait : « Tu veux vivre comme dans ces pays là ! » Donc, tu avalais, tu avalais, tu avalais et si à la fin du trimestre, tu avais sur ton bulletin une mauvaise note, on te faisait remarquer : « Tu te rends compte de la chance que tu as ? Les autres enfants ont tout juste un cahier, un crayon et une gomme. Toi, tu as des livres, un cartable, tout ce qu’il te faut et tu ne fais pas d’efforts ! »

La valeur de l’argent

Je n’ai pas élevé mes enfants comme ça. Je leur ai inculqué que tout travail mérite salaire et inversement. Nous, on n’avait pas de souci d’argent ! Tandis qu’eux l’ont, c’est-à-dire qu’ils savent qu’un sou est un sou… Par contre, je partage avec mes parents la même exigence de réussite à l’égard de mes enfants. Chez nous, aux Antilles, la fessée était de rigueur mais nos parents n’ont jamais mis cette règle en pratique. Ils préféraient avoir recours à l’exemple : « Tu ne veux pas manger ta soupe ! Tu ne veux pas apprendre ! Va voir ce qui se passe à côté… » Cette méthode nous amenait donc à nous corriger nous-mêmes.

C’est vrai, mon père avait de l’argent ! Mais, nous n’étions pas pourris gâtés. Quand arrivaient les vacances, ils les partageaient en deux. Dans un second temps, on partait vraiment en vacances mais dans un premier temps, on venait l’aider sur le chantier. Il me disait : « Tu veux davantage que ton argent de poche pour t’acheter ceci ou cela ! Et bien, tu vas travailler sur le chantier. Au lieu de payer un manœuvre, je te paierai toi. » Avec mon salaire de manœuvre, j’avais quelque chose de considérable ! C’est comme ça que j’ai pu plus tard acheter ma moto. Mais, je l’ai payée de ma poche…

Être Antillais

Un Martiniquais est un métis, le résultat d’un mélange de cultures et de religion. En face de chez nous, j’avais un camarade juif avec qui je suis resté ami et que je vois toujours. J’ai tout appris de lui… Derrière nous, il y avait aussi un Musulman et de l’autre côté, un Orthodoxe. C’était pratiquement Sarcelles ! Je connais ça depuis l‘âge de six ans ! Mais, il s’agissait vraiment de minorités, car ils étaient très peu nombreux dans toute l’île. Les Juifs n’avaient pas de synagogue et les Musulmans pas de mosquée. On en trouvait pas mal dans notre quartier car c’était un quartier intermédiaire où les gens se sentaient bien. C’est l’endroit où il fait le plus froid en Martinique ! Il est situé sur les hauteurs, où commence la route qui mène sur le volcan. C’est donc là qu’habitaient tous ceux qui n’aimaient pas trop la chaleur.

Un Martiniquais est à la croisée des cultures. Il n’est ni noir, ni blanc. Souvent cela choque certaines personnes quand je le dis parce que je travaille pour l’OIE, un organisme international tourné vers l’Afrique. Mais, je sais de quoi je parle car mon arrière grand-mère, la mère de mon père, était une blonde aux yeux bleus ; le père de ma mère, un Indien ; ma grand-mère paternelle, une négresse ; et mon grand-père paternel, moitié blanc et indien. Du reste, ma grande sœur est une métisse aux yeux bleus et ma femme est juive. J’ai d’ailleurs vécu trois ans en Israël. Je me trouve donc à la croisée du sang ! Certains ont beau ne pas me croire, les antillais sont le peuple le plus tolérant qui puisse exister…

Entre Martiniquais et Guadeloupéens, je ne vois aucune différence, à part que les uns vivent sur une île montagneuse et les autres, sur une île toute plate. Nous sommes avant tout des Antillais ! Allez au Sénégal sur l’île de Gorée, passez par le trou et dites-moi s’il y a une différence… Allez en Guinée et suivez la route de l’esclavage puis dites-moi s’il y a une différence… Vous n’en verrez pas ! Quand l’Antillais revient à la porte d’où il est parti, c’est-à-dire l’île de Gorée, il ne peut plus raconter n’importe quoi ! D’ailleurs, je connais plein d’amis Américains qui après ce discours m’ont dit : « OK ! » Ils ont pris deux mois de salaire, sont partis au Sénégal et ne sont restés qu’un jour… Ils se sont mis à pleurer et il y en a même une qui est tombée dans les pommes… Ils ne pouvaient pas imaginer… Il faut donc aller là-bas avant de discuter !

Après avoir vu dans la pierre la forme d’un siège, de quelqu’un qui était accroupi, après avoir vu les chaînes, après avoir vu en Guinée les galères qu’ils ont reconstruites, tu ne supportes plus d’entendre des âneries… Il faut quand même avoir un soupçon de culture… Voilà ce qu’est être antillais…

Le créole, je ne le parlais pas dans mon enfance car mes parents, étant donné le quartier où nous habitions, y étaient opposés. On ne pouvait parler que le français. Ce n’est qu’ensuite, quand je suis revenu à l’université que je me suis intégré. Et je repartais an vacances chez mes cousins qui habitaient le fin fond de la campagne. C’est là-bas que j’ai appris à parler le vrai créole… En France, on ne le parle pas vraiment ! Si vous écoutez deux Antillais deviser ensemble en créole, vous vous rendrez compte que la moitié de leurs phrases sont françaises. Or, le vrai créole, c’est le créole de A à Z… Mais, il s’agit d’une très belle langue puisqu’elle est enseignée à l’université de Toulouse, de Bordeaux et de Rennes.

Rêves de gamin

J’ai eu un choc à l’âge de neuf ans… Mon grand frère avait plein d’images dans sa chambre, dont celle du fameux Cubain au béret noir, le Che. En 73, je revenais d’une colonie de vacances au Chili lorsque s’est produit le coup d’Etat de Pinochet et l’assassinat de Salvador Allende. Cet évènement m’a beaucoup marqué et les images de mon frère ont soudain pris une autre dimension. Nous avions visité le palais présidentiel une semaine avant ! Allende nous avait même serré la main et nous avait dit pourquoi il voulait être président… Ça suffisait ; le peuple crevait de faim… Il y est arrivé et malgré ça, on a tout fait pour l’éliminer…

Á dix ans, je rêvais du All Star Game parce que j’étais basketteur. D’ailleurs à l’époque, Porto-Rico, une petite île juste à côté, battait toutes les plus grandes équipes de basket des Etats-Unis. Donc, quand vous étiez jeune aux Antilles et basketteur, vous rêviez à Karim Abdul-Jabbar. C’était l’équivalent d’un Tony Parker aujourd’hui mais en pire. C’était le gars qui avait commencé par jongler sur ses doigts et autre, avant de devenir une super star. Il faisait deux mètres douze. J’admirais également le Fania All Stars, l’orchestre mythique de la salsa en Amérique du Sud. Tout le monde s’est inspiré d’eux…

Je ne pensais donc pas du tout à partir ! Mais un jour, on m’a annoncé : « Bon, dans trois ans, on fait nos valises pour la métropole… » J’avais déjà une sœur et un frère à l’université et ce dernier avait tendance à partir à la dérive… Nous, on était déjà tous au lycée. Donc, mes parents ont dit : « Vous pourrez retrouver le lycée ici… »

Être adolescent en Martinique / Être adolescent à Sarcelles

Adolescent, mon quotidien, c’était la plage, les lunettes de soleil, les belles voitures, les discothèques jusqu’à sept heures du matin. Mais, il n’empêche qu’il y avait du travail derrière ! Quoi qu’il en soit, ce n’était pas une adolescence à la sarcelloise et ça a été le coup dur après… Lorsque je suis arrivé, Sarcelles Plage, c’était la piscine… Mais maintenant, qu’y a-t-il pour les jeunes d’aujourd’hui ! Je pose la question ! C’est à nous désormais de les prendre en main !

Moi, je fais partie d’une association à Sarcelles et j’essaie d’agir pour eux. « L’Association des Jeunes Pasteur », nous sommes en train de la reconstruire. Je suis également président du comité de quartier Pasteur. Et bien, les jeunes viennent m’interpeller pour me dire : « Monsieur, qu’est-ce qu’il y a pour nous à Pasteur ? » Et ils ont raison car Pasteur Sablons est un quartier où il n’y a rien ! Pas de bus qui passe, pas de salle !

Au niveau associatif, il est difficile de trouver des relais, notamment au niveau des jeunes. En général, ils ne savent pas que derrière le bénévolat, même si c’est gratuit, il y a tout ce qui est social comme la retraite, etc. Alors, on le leur a expliqué et maintenant, on commence à en trouver quelques-uns. Nous avons fait des appels au bénévolat et neuf jeunes se sont proposés pour reprendre certaines choses. Cela vient donc petit à petit, en leur montrant…

Le départ

Je suis arrivé en métropole à l’âge de treize ans, en fin de collège. Pour moi, avant de venir, la métroplole représentait un glaçon. Un jour, ma petite sœur a demandé à mon père : « Papa, c’est quoi la métropole ? » C’était un vendredi. Et bien, il lui a répondu : « Tu veux savoir ce qu’est la métropole. Bon alors demain, nous irons à la montagne Pelée. » Il faut savoir que là-haut, la température se situe entre 9 et 11°c alors qu’au niveau de la mer, elle atteint 30°c. Arrivés dans la montagne, nous avons planté une tente et nous y avons passé l’après-midi et une bonne nuit.

Le lendemain matin, mon père a dit :
« - Voilà ma fille, c’est ça la métropole…
  Mais, il fait froid !
  Oui, il fait froid et tu verras même la neige. C’est comme de la farine sauf que c’est de la glace. »
Quand nous sommes revenus à la maison le dimanche, mon père a ouvert le congélateur et nous a demandé de prendre de la glace dans nos mains. La métropole, c’était donc ça pour nous ! C’était rafraîchissant !

Pour autant, nous ne partions pas pour un monde inconnu car nous connaissions des personnes qui étaient déjà venues et qui nous avaient raconté. Seulement, c’était le bon côté des choses. Pour eux, nous étions mieux aux Antilles ! Par rapport à la vie que nous avions, ils nous disaient : « Mais qu’est-ce que vous venez faire en métropole ? »

Mon père a vendu son affaire avant de venir mais il a investi dans l’immobilier sur place. Comme c’était un spécialiste en béton armé et constructions antisismiques, il n’avait pas de problème pour retrouver du travail. D’ailleurs, quand mes parents sont arrivés, il y avait déjà du boulot qui les attendait.

Arrivée en métropole : Sarcelles directement

L’atterrissage à l’aéroport a été une joie pour moi car l’avion de mon équipe de basquet américaine favorite atterrissait en même temps. Je n’ai donc pas assisté au ramassage des bagages et au reste. Tout ce que je sais, c’est que ma mère m’a tiré l’oreille en me disant : « Où tu étais ? On t’attend depuis une heure ! » J’étais scotché derrière la grille en train de regarder… « Tiens ! Tu as vu ? Tiens ! Tu as vu ? » Je n’ai rien vu d’autres…

Nous sommes arrivés en juin 71 et nous sommes venus directement à Sarcelles, rue de Picardie. Á ce moment-là, j’avais honte et j’ai pleuré… Je n’ai pas mangé et j’ai boudé… Ensuite, mon grand cousin m’a proposé : « Allez viens ! On va faire le tour de Sarcelles. » On s‘est donc baladé dans les rues et en regardant autour de nous, je me suis dit : « C’est quoi tous ces bâtiments ? » Chez nous, un immeuble n’avait pas plus de quatre étages ! Je n’étais pas habitué à ces grandes tours ! D’ailleurs, c’est là que je suis monté pour la première fois dans un ascenseur… La gardienne ne voulait pas que l’on rentre mais on a attendu, on s’est caché derrière le pot de fleurs, et quand elle est sortie, on s‘est faufilé à l’intérieur. On a fait tous les étages et on a appuyé sur tous les boutons ! Je m’en souviendrai toujours…

Pourtant des ascenseurs, il y en avait chez nous ! Et quand j’ai relaté l’épisode à ma mère, elle s’est étonnée :
« - Mais comment ça ! Tu es bien parti aux Etats-Unis !
  Oui mais là-bas, des ascenseurs, je n’en ai pas vus ! »
J’avais effectivement déjà voyagé et lorsque je suis venu en France, ce n’était pas la première fois que je prenais l’avion. Ce n’était pas non plus la première fois que je voyais des paquebots car chez nous, les plus beaux navires de croisière du monde faisaient escale dans les îles. Mon oncle a même travaillé pendant cinq ans sur Le France, que j’ai pu voir de près lorsque j’avais huit ans.

Á part les ascenseurs, voir tout le haut de Saint-Brice planté de vergers m’a également beaucoup frappé en arrivant à Sarcelles. Chez nous en Martinique, les pommes et les poires coûtaient très cher ! Pour en avoir sur la table, il fallait un porte-monnaie bien garni ! Nous allions donc surveiller le petit paysan là-haut et quand la voie était libre, on se lançait. On partait dans les vergers et on revenait gavés… Malheureusement, il n’y a plus d’arbres fruitiers aujourd’hui parce qu’il n’y plus de plaine. Tout a été construit On allait aussi camper avec une vieille tente à la limite entre Sarcelles et Villiers-le-Bel. Á l’époque, c’était encore la plaine ! On ramenait là-bas tous les fruits qu’on avait chapardés. …

J’habitais au Village mais j’avais des parents au Grand Ensemble. Je faisais donc la navette entre les deux.

Le Sarcelles des blousons noirs

En 71, le Sarcelles que j’ai trouvé était celui des blousons noirs, des petites mobylettes et de la banane des rockeurs. Mon Sarcelles, c’est celui où le marché a commencé, celui où les jeunes plus ou moins désoeuvrés se bagarraient le samedi soir. Á l’époque, mes parents m’ont dit : « Bon, stop ! Á la maison ! » Au-delà, de dix-neuf heures, tout le monde devait être rentré. Et un jour, mon père m’a annoncé : « Tu ne veux plus continuer les cours ! Très bien, alors tu vas travailler. »

J’ai donc commencé à travailler très jeune. C’était en 73 et j’avais quinze ans. En même temps, un peu plus tard, je suis allé faire une capacité en droit à Villetaneuse. La journée, j’étais au boulot et le soir à l’université. J’ai passé mon diplôme et après, je suis parti faire mon service militaire en Allemagne.

Au début des années 70s, la communauté antillaise était très regroupée autour des associations connues de longue date. Je ne passais donc aucun week-end à Sarcelles. Avec mes parents, on partait sur Paris, sur Gennevilliers, sur Colombes mais on ne restait pas à Sarcelles. C’était l’époque des blousons noirs ! Et ça, mon père n’en voulait pas… Les fêtes antillaises organisées au lac sont arrivées bien plus tard ! Longtemps après !

Mes parents ont donc voulu me préserver d’entrée de jeu des bandes et de tout ce qui va avec, car une de nos connaissances est tombée dedans et après, cela a complètement dégénéré… D’ailleurs, mon oncle aussi a protégé ses enfants, qui avaient notre âge mais qui étaient nés ici… Nous faisions donc pas mal d’activités mais en dehors de Sarcelles.

Les bandes se bagarraient entre elles pour des petits trucs, pour des histoires de territoire, etc., mais ne s’en prenaient pas aux gens. Il n’y avait pas le même climat d’insécurité que l’on peut connaître actuellement. Évidemment, lorsque vous arrivez d’une île où tout est calme, ça fait peur ! Mais, ça n’avait rien à voir avec aujourd’hui…

Adolescent, je n’ai jamais été malmené ou violenté parce que j’étais noir. Par contre, je sais que certains jeunes ont connu ce genre de problème, en particulier en 77 et en 83. Il faut dire aussi que j’avais quitté le basquet pour commencer à faire des arts martiaux ! Et comme j’avais un très bon niveau, on évitait en général de me chercher des noises.

La communauté antillaise sarcelloise

Sarcelles est le berceau de deux communautés : la communauté juive et la communauté antillaise. Les Antillais sont arrivés en masse lorsque Giscard a décidé de baisser les tarifs des billets d’avion pour ceux qui venaient s’installer et travailler en métropole. Il s’agissait d’un aller simple ! Et Sarcelles était tout simplement l’endroit où des appartements leur étaient réservés. Quand vous étiez fonctionnaire et que vous faisiez votre demande, automatiquement, trois jours après, on vous envoyait à Sarcelles. Par exemple plus tard, lorsque j’ai quitté la rue de Picardie pour le boulevard Montaigne, dans la tour, il n’y avait que des policiers. C’était un immeuble réservé exclusivement à la préfecture.

Les premiers Antillais sont arrivés par bateau. Ensuite par avion, ils atterrissaient au Bourget. J’en ai rencontré un qui s’est installé ici dans les années 30s. C’est d’ailleurs à ce moment-là que les Antillais ont créé le premier club de foot de Sarcelles, le club colonial. C’est ce qui ressort des recherches que j’ai faites au niveau des statuts de la Fédération Française de Football, en remontant jusqu’à l’année 1900.

Etant donné le poids électoral des communautés juive et antillaise à Sarcelles, pendant longtemps, les maires ne pouvaient pas être élu sans avoir leur soutien. Il fallait rassembler. Au niveau du conseil municipal, les choses étaient donc bien réparties ! Mais, notre communauté a tellement entendu de discours qui n’ont pas été suivis d’effets que les Antillais aujourd’hui ne votent plus beaucoup… Je suis président d’association et de comité de quartier, et lorsque je vois le pourcentage de votants dans la zone où je suis, Pasteur Sablons, où la communauté antillaise est présente, c’est assez significatif. Treize pourcents, ce n’est pas beaucoup !

En arrivant ici, j’ai bien entendu fréquenté d’autres Antillais de mon âge mais entre nous, on parlait français. Lorsque l’on allait dans les manifestations sur Paris ou ailleurs, on parlait le créole ! Mais quand nous étions en classe, c’est-à-dire avec d’autres personnes qui n’étaient pas de notre communauté, on parlait français. C’est aussi dans notre culture ! Á partir du moment où il y a dans un groupe quelqu’un qui ne comprend pas le créole, tu parles français ! C’est d’ailleurs inscrit dans la loi ! Le français est la langue nationale. Lorsque vous avez un commerce et qu’un client ne partage pas votre langue, vous devez parler la langue nationale.

C’est en cela, à mon sens, qu’il y a une certaine dérive communautaire à Sarcelles. Il arrive souvent qu’un commerçant trouve normal de continuer à parler sa langue quels que soient les cas de figure. Et bien, il doit savoir qu’un client peut aller au commissariat porter plainte car c’est illégal ! Dans notre culture, on nous a inculqué qu’à partir du moment où tu te trouves en présence de quelqu’un qui ne connaît pas ta langue, tu es obligé de parler celle qu’il comprend…

Le choc du premier hiver

Lors de mon premier hiver passé ici, j’aurais tout donné pour repartir vivre aux Antilles. Je disais à mon père : « Pourquoi tu nous as emmenés ici ? Attends, tu nous avais dit qu’il faisait froid mais pas à ce point-là ! » Il faut dire que nous avions une panne de chauffage…

En arrivant en classe le matin, j’avais beau me réchauffer, je grelottais. En me voyant, la prof m’a demandé :
« - Mais qu’est-ce que tu as ?
  J’ai froid Madame...
  Que quelqu’un qui vient d’Afrique ait froid, je comprends mais pas toi ! »
J’étais estomaqué… J’ai ajouté : « Mais Madame, vous croyez quoi ! Les Antilles, c’est où ? Du côté de l’Irlande ! »
Ça m’a fait mal… Je me souviendrai toujours de cette remarque… Chez nous, on a quasiment 30°c toute l’année ! Mais pour elle, les Antillais, c’était ça…

Une vie consacrée à l’humanitaire

Je suis revenu de l’armée fin 77. J’ai alors continué mes études, tout en travaillant. Á ce moment-là, les Antilles ont été ravagées par un très gros cyclone et nous avons œuvré pendant presque deux mois, afin de réunir des vêtements et pas mal d’autres choses à envoyer aux îles. Cet épisode m’a particulièrement marqué et c’est à partir de là que j’ai commencé à m’investir dans le milieu associatif, dans tous les domaines.

Les Antilles sont particulièrement exposées aux aléas naturels. Elles se trouvent sur une faille tectonique, ce qui signifie qu’elles sont menacées par les tremblements de terre et elles sont régulièrement touchées par les cyclones. Chez nous, la période cyclonique s’étale sur deux mois : août et septembre. C’est un phénomène météorologique difficile à décrire ! Ce sont des vents très violents qui s’accompagnent de véritables trombes d’eau. En fait, c’est comme un gigantesque aspirateur qui se déplace doucement, à treize kilomètres heure, mais avec des vents qui à l’intérieur peuvent dépasser trois cents kilomètres heure. Lorsqu’un tel monstre passe sur une maison, quelle que soit la manière dont elle est construite, vous ne retrouvez plus rien…

Quoiqu’il en soit, lors de cette terrible catastrophe, une très grande solidarité s’est mise en place à Sarcelles. D’ailleurs, c’est ici que tout a commencé pour s’étendre ensuite aux autres villes ! Mais tout arrivait à Sarcelles pour y être emballé, scotché, puis expédié. C’est donc à cette occasion que ma vocation humanitaire a débuté… Je suis parti dans une association qui s’appelle « Handicap Afrique », qui s’occupe de tout ce qui est fauteuil et autres matériels d’appareillage, pour les pays africains, en général.

J’ai consacré toute ma vie dans l’humanitaire. Actuellement, je travaille pour un organisme international, l’Union Africaine, dont la maison mère est à Addis-Abeba et le siège européen à Bruxelles. En fait, mon parcours a été très simple. Á l’issue de mon service militaire, où j’étais dans un corps d’élite, on m’a demandé de passer le concours de la gendarmerie mais ça ne m’intéressait pas. Moi, je voulais défendre les autres, être avocat. J’ai donc passé mon diplôme de droit et ensuite, en travaillant le soir comme taximan, j’ai rencontré le président actuel du Cameroun, Paul Biya. Mais à l’époque, ce n’était encore qu’un simple fonctionnaire du ministère du tourisme. Nous avons beaucoup discuté et finalement, il m’a dit quelque chose dont je me souviendrai toujours : « Écoute, à l’Union Africaine, nous avons besoin d’un Noir qui a la mentalité d’un Blanc. »

Là-bas, le poste que j’occupe actuellement était auparavant pourvu par un Blanc, chose qui était difficile à comprendre dans un organisme international africain. Cela voulait dire que dans les universités en Europe ou aux Etats-Unis, il n’y avait pas un Noir capable de faire ce travail ! Paul Biya m’a donc demandé mon CV. Lorsque j’ai travaillé ensuite au ministère de la Marine Marchande, j’avais un chef qui était moins diplômé que moi. Alors, j’ai dit : « Stop ! Je m’en vais ! » et Paul Biya m’a engagé. J’ai commencé à l’ambassade du Cameroun en France et ensuite, j‘ai passé mes examens à Addis-Abeba, où j’ai rencontré le roi Haïlé Selassié qui m’a dit OK. C’est comme ça que je suis rentré à l’Union Africaine. Mais, je suis le seul non Africain à y occuper un poste d’encadrement depuis que j’y travaille, c’est-à-dire depuis vingt et un ans...

Sarcelles : un ancrage irremplaçable

Dans ma vie, il m’est arrivé de partir de Sarcelles mais je n’ai jamais pu m’empêcher de revenir. Ce n’est pas parce que je travaille avec des gens qui habitent le XVI ème arrondissement de Paris que ce lieu me convient ! C’est vrai qu’il y a un appartement à Neuilly dont je peux disposer mais quand je suis dans ces quartiers, je ne me retrouve pas… Lorsque j’en parle avec certains habitants du XVI ème , ils me disent :
« - Comment ! Tu vas à Sarcelles !
  Oui, j’y suis né ! Venez-y faire un tour et vous verrez ! »
Et c’est la même chose en Belgique, dans les beaux quartiers de Bruxelles ! Quand les gens abordent le sujet, je leur explique que le Sarcelles qu’ils ont à l’esprit est aujourd’hui révolu et que la plupart des habitants qui sont partis reviennent…

Racines

On ne peut pas se défaire des ses racines. Un immigré d’où qu’il vienne ne peut donc pas choisir entre la France et son pays d’origine ! Ce sont deux entités, deux cultures inséparables. Par exemple, lorsque je retourne en Martinique, on m’appelle « le congelé », comme tous les Antillais de métropole qui viennent passer leurs vacances dans les îles. Évidemment, en arrivant sur place, on transpire beaucoup ! Comme un glaçon que l’on sort du frigo, en quelque sorte…

Message aux jeunes

On ne peut rien obtenir dans la vie sans y mettre un petit peu de soi-même. Il ne sert à rien de jalouser car bien souvent, celui qui a quelque chose ne sait pas comment il l’a eu et demain, il peut très bien perdre tout ce qu’il a. Par contre, personne ne peut nous prendre ce qu’on a obtenu à la sueur de notre front…

Et puis, il faut surtout se respecter : respecter d’où l’on vient et respecter le pays qui nous a accueillis. En ce moment, on entend beaucoup une petite phrase qui me fait très mal : « La France, tu la respectes ou tu la quittes… » C’est quelque chose qui ne me plait pas du tout… Un certain 26 avril, un parti que je ne citerais pas est arrivé au deuxième tour des élections présidentielles et personne n’a ressenti tout le mal que ça a fait au niveau international… Je voudrais donc dire aux jeunes : « Faites attention où vous mettez les pieds et réfléchissez avant tout acte… »


Voir en ligne : La Bande Dessinée : Les Migrants

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