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Récit

La banlieue, ses hommes et ses femmes

dimanche 28 février 2010, par Frederic Praud

Mon père a fait toute la guerre 14. Il est parti en août 14 pour revenir 6 mois après la fin du conflit et ce, après avoir normalement effectué son service militaire de 1906 à 1908. Il est donc partit plus de 7 ans. Il a eu le bonheur et malheur de ne jamais être blessé. Le malheur parce que beaucoup espéraient avoir une permission en étant blessé, c’était son cas parce qu’il a toujours été dans les premières lignes. Il n’en parlait pas beaucoup. Enfants, nous n’étions pas curieux vis-à-vis de cette histoire. Je suis né un 11 novembre 1917. J’ai un frère aîné. Après la guerre quand mon père est revenu, il n’avait plus de travail. Il a été un moment avant de pouvoir se reclasser convenablement, dans une banque. Il n’a d’ailleurs pas eu de chance à la guerre 40. La banque devait se déplacer à Vichy et comme il avait 55 ans, on l’a mis à la retraite.

Je suis né à Asnières. Quand j’étais jeune, nous n’avions pas d’eau, ni électricité, ni gaz à la maison. Tout a été installé après. À l’arrivé de l’électricité, tout le monde était heureux. Ma grand-mère qui est décédée en 38 n’avait pas d’électricité. Elle ne voulait pas la faire installer. Elle préférait sa lampe à pétrole. Il y avait de l’électricité dans le couloir mais pas chez elle.

Je suis allé à l’école publique du centre d’Asnières, la plus grande, l’école principale qui allait jusqu’au cours complémentaire alors que les autres écoles n’y allaient pas. On était respectueux vis-à-vis des instituteurs qu’en général on aimait bien. La plupart étaient des anciens combattants. Il y a avait bien une institutrice pour les plus jeunes, mais toutes les autres classes étaient menées par des instituteurs. Ces anciens combattants de 14 nous parlaient peu de leur guerre. Certains nous en parlaient quand même « on a subi les gaz ». Deux professeurs avaient des jambes de bois. Nous avions un parc en face de l’école, nous allions y jouer tranquillement. Il y avait l’école des garçons d’un côté et l’école des filles de l’autre.

Enfance

On ne faisait aucune différence entre les enfants. Dans ma classe, il y avait des arméniens, des juifs, des arabes, des turcs, des italiens, des espagnols. Il y avait une certaine mixité sociale, la plupart de ces enfants étaient nés en France. La plus grande différence était avec l’école chrétienne. Quand nous allions au catéchisme, nous étions séparés des élèves d’écoles chrétiennes une certaine distinction s’opérait. Nous avions très peu de contacts avec les éleves de ces écoles-là. Nous avons fait notre communion.

Les messes pour les écoles publiques et privées étaient à part. Certains jeunes avaient même des professeurs chez eux. Asnières était assez huppé à cette époque-là. Il y avait des réverbères et pas d’électricité. Sur la seine, on pouvait faire de la natation à partir de bateaux amarrés sur le bord, deux péniches agencées et surveillées par des maîtres nageurs. À partir de 8/9 ans, j’ai fait de la natation toute ma jeunesse dans la seine. On jouait au gendarme et au voleur ou à la balle. Il n’y avait pas de bandes de quartier.

Jeune homme, je ne suis jamais allé au bal, cela ne m’a jamais intéressé. Je préférais faire de la gymnastique, de la natation, de la bicyclette. Nous n’avions que peu d’occasions de rencontrer des filles. On était tenus par les parents. Je faisais de la gymnastique dans une société qui proposait aussi de la préparation militaire, j’ai commencé à en faire. Un beau jour, le capitaine de réserve qui nous faisait les cours nous explique « quand vous partez à l’assaut, vous prenez votre baïonnette et vous l’enfoncez dans le ventre de votre adversaire. Vous prenez bien soin de la tourner pour provoquer une hémorragie ». Depuis ce jour-là je n’y suis jamais retourné.

Beaucoup de jeunes hommes travaillaient à partir du certificat d’étude. Sur Asnières, il y avait 5/6 écoles pour 60000 habitants, mais seulement une classe de cours complémentaire, la première et la deuxième année. Mes parents m’ont inscrit au cours complémentaire. À l’époque il fallait avoir 16 ans révolus pour avoir le brevet. Mon frère aurait dû rester trois ans dans la même classe pour arriver à ses 16 ans, alors il a travaillé avant. Je suis moi-même resté deux ans en deuxième année pour attendre mes 16 ans.

Vie active

Après mon brevet élémentaire, j’ai commencé à travailler. Je suivais le soir des cours de comptabilité. J’ai toujours travaillé dans les bureaux et j’ai fait pratiquement toute ma carrière dans ce domaine. Ce n’était pas un choix de ma part, mais il existait déjà à cette époque un certain chômage, au début des années 32/33. J’ai essayé de rentrer dans plusieurs banques, mais j’ai trouvé mon premier travail dans une compagnie de cinéma, les artistes associés, fondée par Douglas Fairbanks et Charlie Chaplin.

Je travaillais dans les bureaux et j’ai vu pas mal d’artistes de l’époque. Les américains dirigeaient la compagnie. J’étais petite main là-dedans, pendant 18 mois. J’ai travaillé ensuite au siège d’une entreprise de fonderie, rue de la bienfaisance à Paris. Elle a été ensuite reprise par Schneider.

Là j’ai commencé sérieusement à travailler dans la comptabilité, pendant 4 ans. J’étais sous les ordres d’un sous-chef de service. Je suis ensuite parti au service militaire. En 1936, dans les bureaux du siège c’était assez calme. Dans les usines, certains se sont mis en grève. Ils ont obtenu ce qu’il voulaient, ne pas travailler le samedi. Nous, nous l’avons demandé poliment, on ne nous l’a pas accordé. Je n’avais de toute façon pas envie de faire grève. Nous ne fréquentions pas les ouvriers. Il y en avait dans tous les coins de France. Il y a bien eu des bureaux d’occupés à Paris mais pas le nôtre. Je n’ai jamais été syndiqué de ma vie. C’était assez rare à l’époque.

Le 6 février 1934, je me suis trouvé incidemment sur la place de la concorde et j’ai vu les gardes mobiles charger la foule. J’allais porter un colis à Charles Lawton, à l’hôtel Crillon. Il avait déjà quitté Paris. Je n’ai pas demandé mon reste. Je n’ai jamais aimé les manifestations, je suis revenu au bureau. Les croix de feu voulaient passer la seine. Des gens étaient blessés. Un de mes voisins a eu une balle dans le genou. Après il y a eu des contre-manifestations de la gauche à Clichy. Par la suite au siège de la fonderie, j’ai travaillé avec quelqu’un membre des croix de feu. Au début c’étaient des anciens combattants, un parti de droite dirigé par le colonel de la Rocque.

J’étais tout jeune lors de mes premiers congés. Mon père avait également deux semaines, dans les bureaux il y a toujours eu quelque chose. J’étais très content de partir en vacances, deux semaines c’était court. J’allais à Cancale, près de Saint Malot. Mon père était né là-bas.

Service militaire

J’ai fait une courte durée de service militaire. J’ai fait mon service militaire au moment de Munich. Les gens y croyaient. Je suis parti de la gare de l’Est, le train de 8 heures 47. J’allais dans l’Est à Langensoultzbach dans le Bas-Rhin. Le train a été arrêté de nombreuses fois. Tous les gens chantaient l’Internationale dans les wagons. Il y avait beaucoup d’antimilitaristes. La mentalité n’y était pas. On est allés sur la ligne Maginot. J’étais dans un régiment d’infanterie de forteresse et je n’ai pas eu l’occasion d’y entrer étant donné que c’était occupé par les anciens.

On a vu arriver des réservistes, des gros pèpères qui tenaient leur pantalon avec une ficelle. L’armée nous refilait des fringues dégueulasses, des chaussures qui nous faisaient mal tout le temps. J’avais une chemise pleine de cambouis qui avait dû servir à un mécanicien. Quand Daladier est revenu de Munich, ça été un soulagement. La même chose que quand la France a capitulé. Des gens se sont trouvés patriotes après la guerre, mais ne l’ont jamais été avant.

Je suis parti en 38 et je suis tombé malade quelque mois après. J’ai dû aller au sanatorium pendant trois ans, pour une maladie des poumons. Je ne m’étais jamais aperçu que j’avais ça. Ils s’en sont aperçus au service militaire.
A l’époque on allait chez le médecin uniquement quand on avait quelque chose et moi je n’en ai pas eu l’occasion. On soignait comme on pouvait. J’ai eu de la chance parce qu’on ne m’a jamais rien fait alors qu’à l’époque il y avait des pneumothorax. On vous insufflait de l’air entre les poumons et la plèvre.

J’ai fait uniquement des cures. On petit déjeunait et on était tranquille jusqu’à 10 heures. De 10h30 à 11h30, on faisait la cure sur une chaise longue dehors et on allait déjeuner. De 2 heures à 4 heures, on faisait une cure de silence. On ne devait pas parler et on refaisait une nouvelle cure de 17 à 18 heures. Le reste du temps on jouait aux cartes et on allait se balader, ramasser des châtaignes ou des champignons dans les bois. On se promenait notamment dans le jura. Je suis resté une année en Montagne puis dans un centre de réadaptation, un sanatorium, à Clair Vivre en Dordogne. Il avait été construit à l’origine pour les blessés de guerre de 14, pour les gazés. Ça s’est vidé et c’est surtout des gens de la région parisienne qui y allaient. Il y avait l’hôpital et l’hôtel où je suis allé au début.

Il y avait également des pavillons pour les familles des anciens combattants. Il y avait un magasin, une poste. Certains faisaient de la cordonnerie. J’ai travaillé dans un bureau de la menuiserie mais c’était assez simple. On touchait un salaire minime mais on avait une activité.

Comme ça s’est déclaré alors que je n’étais pas encore majeur, mes parents étaient responsables. Ils ont dû payer au moins une partie des soins, jusqu’à un certain moment où je me suis aperçu où j’étais à peu près un des seuls à faire payer mes parents, alors que mon père se retrouvait au chômage.
J’avais un voisin dont la femme tenait son bistrot. C’était l’époque du pernod. On faisait 50 apéritifs dans un litre. Ça rapportait énormément et lui ne payait pas le sanatorium. J’ai écrit et finalement on a ramené la taxe payée par mon père à une somme minime par rapport à ce qu’il payait auparavant. Il n’y avait pas de mutuelle, ni rien pour aider. J’étais pris en charge partiellement par les assurances sociales, mises en places en 1930. Mon père payait le reste.

Je suis rentré à Paris en 1941. J’ai fait le chemin inverse de la majorité des gens. Je suis passé de zone libre à zone occupée par les champs.
Je n’avais plus rien à faire à Clair Vivre. Je n’avais plus d’argent. La Mairie m’en a donné pour payer une partie du billet de train. J’ai retravaillé quasiment tout de suite. Je suis rentré en août et j’ai travaillé en septembre dans une entreprise de transport où je suis resté 10 ans. J’ai travaillé par la suite dans une entreprise de récupération, pour finir ma carrière dans une entreprise suédoise de bâtiment.

En 41 je vivais encore à Asnières. C’était assez tranquille hormis les bombardements sur le pétrole de Gennevilliers, sur les usines d’avion, les usines de caoutchouc sur Argenteuil. De temps en temps il y avait des alertes mais on ne descendait plus à la cave. J’y suis seulement descendu une fois. La libération à Asnières c’était encore une fois très calme. Quelques individus se sont promenés avec des drapeaux. Ils ont défilé dans la rue sans aucun succès. Quelques-uns uns se sont nommé FFI au dernier moment. J’ai retrouvé un quasi illettré avec un grade de capitaine. Il y a eu des arrestations, des femmes avec les cheveux coupés, mais aucune liesse populaire.

Je suis allé à Paris et j’ai vu les allemands partir très vite. Je vois dans la rue une voiture allemande avec plusieurs personnes sur une plate-forme et dans un virage un est tombé. On s’est précipité pour le ramasser et aussitôt les autres sont descendus mitraillette au poing. Il ne fallait pas y toucher. De la même manière que les médecins et dentistes n’avaient pas le droit de soigner les troupes allemandes. C’était marqué à l’intérieur des cabinets.

Mariage

J’ai connu ma femme à Clair Vivre, en Dordogne. Elle était réfugiée. Elle était alsacienne. Elle gardait des enfants à l’orphelinat. Une partie de l’hôpital de Strasbourg avait d’ailleurs été évacué dans notre hôtel. Il y avait des espagnols restés de 36. Ils savaient ce que c’était que l’exode. Ils avaient accueilli les alsaciens aussi bien que nous-mêmes, alors que certains paysans de là-bas nous étaient hostiles. Elle est ensuite remontée avec ses parents dans leur petite ferme saccagée aussi bien par les troupes allemandes, françaises, qu’américaine car tout le monde y est passé.

En tant qu’Alsacienne, ma belle-famille était marquée par tous les conflits. Le grand-père de ma femme a connu 5 nationalités. Ses parents parlaient très peu le français. Ils ont été obligés d’évacuer l’Alsace. À son retour, on espérait se revoir mais on ne savait pas comment cela allait se passer. Ils se sont réinstallés. Je n’ai revu ma femme que bien après. On s’est retrouvé et on est toujours ensemble. On est revenu après s’être marié là-bas, un mariage traditionnel. On s’est mariés au temple en 1946 et nous sommes revenus sur Asnières. Elle était jardinière d’enfant jusqu’à ce qu’on se marie et elle a ensuite élevé nos enfants.

Nous avons eu un enfant très vite. Après avoir vécu chez mes parents nous avons trouvé une malheureuse chambre avec une cuisine en bout de couloir. C’était humide comme tout. On attrapait toutes les maladies là-dedans. J’ai retrouvé ensuite une mansarde où on a vécu. J’ai eu un deuxième garçon. J’allais chercher une bouteille de gaz place Saint Georges, à la maison des familles. J’avais installé une sorte d’eau courante et il n’y avait pas de toilettes. Il fallait descendre soit au rez-de-chaussée soit chez mes parents qui étaient en dessous.

J’ai demandé à la mairie s’ils pouvaient avoir un logement réquisitionné en 46/47. Ils n’ont pas répondu. Indirectement, quelqu’un qui avait obtenu un appartement par réquisition m’a fait savoir qu’il laissait son petit logement. J’ai réussi à obtenir une réquisition par un huissier. Au dernier moment, quelqu’un d’un commissariat m’a informé que la réquisition était levée. Je n’ai jamais su pourquoi… J’ai dû payer l’huissier.

On ne savait plus ou se loger, il n’y avait pas de construction. J’ai réussi à avoir quelque chose à Enghien par mon entreprise, au bout du Boulevard Cotte. Mon patron avait acheté un pavillon et il me l’a loué. La transition entre notre mansarde et le pavillon nous a fait tout drôle. C’était un palace pour nous. La population entre Asnières et Enghien était différente. Elle était peut-être même plus agréable à Asnières.

Je travaillais alors à Saint Denis. Je n’ai jamais eu de voiture, par choix. J’ai toujours utilisé soit les transports en commun, soit le vélo pour aller travailler.

Mes enfants sont allés à l’école à Enghien et ont assez bien réussi. Ils sont d’abord allés dans une école publique, puis dans le privé. L’un est allé dans le privé à l’école Breguet, dans le technique, puis l’autre à l’école de la chambre de commerce, dans le commercial.


Voir en ligne : La Bande Dessinée : Les Migrants

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