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Récit

Amiens, Casablanca... Paris

dimanche 28 février 2010, par Frederic Praud

Amiens a été un temps occupé en 1914. J’étais parti faire une course avec maman quand les Hulants sont arrivés en haut de l’avenue. Maman me dit, "vite, vite, voilà les Hulants", des soldats allemands à cheval. Ils étaient contents d’arriver là. Maman me tirait le bras. Elle était enceinte, "s’ils nous voient comme ça, ils vont nous prendre !" Nous nous sommes mises dans un trou, un ravin, et une fois passés nous sommes revenues à la maison où mon petit frère est immédiatement né. Elle a accouché de peur. Mon frère pesait une livre un quart. Il n’était pas à terme. Nous l’avons pesé dans un panier d’épicier. Il a vécu jusqu’en 2000. Il n’avait que sept mois à sa naissance et pendant deux mois, maman lui a mis tous les jours une petite goutte d’eau sur le côté de la bouche, c’était tout. Nous l’avions installé dans la salle à manger. Il a été élevé entre deux édredons. Ma grand-mère arrive un jour dans la salle à manger. Maman était sourde. Ma grand-mère lui dit, "viens un peu. Tu vas voir, il y a un chat dans la maison…" C’était le petit qui commençait à faire "ouin… ouin…"

Je le taquinais. On jouait dans le jardin. Nous avions un pommier qui, à sa base, disposait d’une branche sur laquelle nous pouvions nous asseoir. Nous pouvions également tirer une balançoire. Nous montions chacun notre tour sur la planche. Je suis allée un jour trop vite et je lui ai envoyé la planche dans la tête. Il me le reprochait toujours.

Nous ne logions pas d’allemands mais un oncle en a logés et ils ont tout cassé chez lui. Ils ont tout volé et bu ce qui était dans la cave. Ils ont laissé une feuille, "merci Monsieur, c’était bien bon !" Le front n’était pas loin. Mon oncle âgé de 20 ans est parti sur la bataille de la Marne. Il a été blessé et avait un bras qu’il ne pouvait plus plier. Il n’avait plus qu’un œil et 50 éclats d’obus dans le dos. Il a survécu et a quand même travaillé après la guerre ! Il portait une sacoche sur son dos et faisait comme il pouvait…..

Maman était culottière. Elle fabriquait des pantalons à la machine. C’est en allant porter les culottes qu’elle avait faites (j’avais alors 4 ans) qu’elle a croisé les Hulants. Mon père était électricien dans une maison à Amiens. Il montait l’électricité…

Pour nous laver, maman nous mettait une bassine sur une chaise et nous faisions notre toilette en utilisant du savon de Marseille. Un robinet se trouvait dans la cour. Nous allions y chercher l’eau que nous mettions à chauffer dans une casserole sur la cuisinière avant de la mélanger avec un peu d’eau froide. Une glace était installée au-dessus de cette chaise et mon oncle, mutilé de guerre, chantait en se rasant… Nous n’avions pas d’évier et faisions la petite toilette… le reste du corps attendait. Nous nous lavions la tête avec le savon, comme le reste… maman disait "du savon, c’est du savon.. " On économisait…

Je tutoyais ma mère mais elle n’avait pas le droit de tutoyer sa mère. A table, ma mère servait tout le monde avant de se servir. Elle commençait par mon père. Les enfants ne se déplaçaient pas, seule ma mère se levait. Il ne fallait pas mettre ses coudes sur la table, pas parler en mangeant…

Mon père avait un jardin mais il le cultivait très mal. Il avait surtout des fleurs…

À l’école, nous suivions un peu de cours de couture, de cours de canevas. La directrice de l’école était mon institutrice. Elle était venue trouver maman car mes parents ne pouvaient pas me payer d’autres études. Elle voulait que maman m’inscrive à l’école supérieure mais maman n’avait pas de moyens. " Il faut la mettre à l’école supérieure, elle travaille tellement bien ! Il ne faut pas l’arrêter." Mais maman voulait que je prenne du travail. J’ai commencé à travailler à 11 ans, en 1921, après le Certificat d’Etudes. J’aurais aimé être institutrice. Il y avait bien des bourses mais cela m’aurait obligée à continuer mes études trop longtemps et avec trois enfants, et des petits salaires d’électriciens et de culottière…. " Oh non il faut qu’elle travaille pour aider à élever ses frères…" J’étais l’aînée.

J’ai travaillé dans un atelier de confection pour homme. Les premiers temps, on a essayé de me faire coudre des poches de veston à la machine. Je transportais 11 pardessus pliés. Cela faisait un gros tas que je descendais sur mes épaules. Je devais grimper dans les rayonnages mais nous n’avions pas de culottes fermées… Nous portions des culottes, en tissu, ouvertes. Je disais à maman, "je ne veux plus y aller pour monter dans les rayons ou alors tu me couds ma culotte !"
J’ai commencé à la machine à coudre à faire des doublures de poche, des doublures de manches et, petit à petit, je savais monter un vêtement toute seule. Maman travaillant déjà dans cette maison, le patron m’avait pris en amitié. Je commençais à 8 heures le matin et finissais à 18 heures. J’étais payée… Le patron payait maman !

On m’avait donné l’autorisation de m’occuper des représentants qui venaient vendre des fils, des aiguilles… Je m’occupais de beaucoup de choses et connaissais bien le fonds de la maison. On appelait toujours Héloïse devant les marchands de fils, d’aiguilles, de cannelles pour machines à coudre, pour qu’elle donne son avis, à savoir si le fil était bon… C’était mon travail.

Je disais toujours que je voulais travailler au bureau… Le patron m’a un jour proposé de venir au bureau mais j’ai arrêté ce travail avec mon mariage. Je m’occupais des comptes des ouvrières. Elles avaient fait tant de manches, tant de poches et je calculais leurs gains. "Héloïse, tu me fais mon compte ?" Plus ça allait, plus elles voulaient savoir combien elles avaient gagné ! Elles étaient payées à la pièce, en fonction de leur travail. C’était un immense atelier avec des machins à coudre et tout le monde était assis à travailler.

Je n’allais jamais danser… Il y avait des bals de familles ou de valse, de java, des choses bien… J’ai rencontré mon mari chez une amie, la directrice du lieu où je travaillais, directrice de la maison pour laquelle maman faisait ses pantalons. Elle me disait parfois, tu viendras dimanche, je te ferai une robe. Il venait chez cette personne, cette dame.

Nous ne prenions pas de vacances. Nous restions chez les personnes qui dirigeaient la maison de confection. Ils me rendaient un plus grand service que si j’étais restée chez mes parents. J’avais une tante modiste qui me faisait des chapeaux, des dentelles de toute beauté.

J’ai attendu mon mari cinq ans. Il m’avait fait une promesse de mariage et m’avait demandé, "promets-moi que tu m’attendras !" Je le lui ai promis. Il faisait ses études au Conservatoire à Paris pour devenir chef de musique. Il venait tous les 8, 15 jours. C’était tout. Je l’ai attendu honnêtement. Je l’ai connu à 16 ans.

Il a dû faire sa demande en mariage aux parents. Mon père ne l’aurait jamais accepté autrement. Maman si… Il a demandé ma main et comme j’avais 21 ans, mon père a répondu, "Oui. On va les marier !
  Oui mais ce n’est pas pour rester à Amiens mais pour partir en Bretagne !"
Il était sous chef de musique militaire… Je suis parti ave lui. Mon mari ne voulait pas que je travaille et ne l’a jamais voulu. Nous nous sommes mariés en 1931.

Nous ne savions rien sur les garçons. J’ai tout appris quand je me suis mariée à 21 ans. Je partais pour la Bretagne, Lorient, avec mon mari. Ma grand-mère m’a accompagnée et dit, "espérons que tu sauras t’occuper d’un homme !" C’est tout ce que je savais. Personne n’en parlait jamais.

Mon mari n’aimait pas danser. Nous ne prenions pas de vacances même s’il pouvait prendre des repos comme il le voulait.
Mon fils pesait six kilos à la naissance. Il mesure aujourd’hui 1m 96. C’était un drôle de morceau à passer. Il m’a fallu plusieurs personnes autour de moi pour m’aider…. J’ai accouché chez moi, à Lorient, avec l’accoucheur, une voisine et maman. La voisine m’avait toujours dit de l’informer, " je descendrai et je vous assisterai". Maman était au-dessus de moi pour m’endormir au chloroforme mais c’est elle qui s’endormait. Mon mari assistait également à l’accouchement.

Nous langions les enfants. Nous mettions le bébé dans une grande serviette et on l’enfermait dedans de la tête aux pieds.

Mon mari avait été fait prisonnier en 1940 et tant qu’il ne revenait pas, je ne pouvais pas partir avec lui. Il a été muté à Casablanca et je suis parti après lui. Nous n’aimions pas Pétain. Personne ne l’aimait. J’ai dormi deux jours à Vichy avant de descendre sur Toulon, vers la Méditerranée.

Mon fils avait 7 ans quand nous sommes partis au Maroc. Nous y avons passé trois ans. Nous avons navigué sur un petit bateau, "le Liparis" escorté par des contre-torpilleurs. Nous sommes restés 13 jours sur ce bateau. Je naviguais bien dans le bateau mais mon fils avait peur. Il m’interdisait d’aller manger à l’intérieur, "maman restes sur le pont et je vais me coucher sur tes jambes." Il se couchait sur mes jambes. Les petits marins venaient me trouver en demandant, "Madame Lamare, vous ne voulez pas nous donner votre verre de vin ?
  Oui, Oui prenez le. Je ne peux pas bouger !"
Ils m’apportaient à manger sur le pont contre le verre de vin.`
Une fois au Maroc, mon mari ,secouriste, était un jour revenu avec son costume blanc plein de sang. Je lui demande, "D’où tu reviens ? On dirait un boucher.
  J’avais beaucoup de monde à soigner…. par les anglais !"
Les anglais avaient bombardé les bateaux français pour débarquer à Casablanca. Mon mari allait d’un bateau à l’autre pour essayer de sortir les blessés.

Le Maroc m’a énormément plu. Je le l’aurais pas quitté. En revenant à Paris dans mon appartement, je pensais que je ne me ferais plus à cette vie parisienne, "c’est trop triste !" tandis que là-bas, nous portions toujours des robes légères… La vie y était agréable. J’étais logée dans un hôtel. Il n’y avait pas de cuisinière mais des "canoun", un petit feu avec de la braise où l’on fait son manger. Quand je suis arrivée la patronne m’a proposé, "écoutez madame, pour vous aider, car cela va vous sembler dur, vous prendrez la pièce là-bas. Il y a une baignoire où vous mettrez le "Kanoun" pour faire à manger à votre enfant." J’ai fait comme ça pendant les premiers temps. Nous avions l’eau courante pour nous laver. À Casablanca, la dame de l’hôtel se chargeait de laver les linges.

Le Kanoun est un pot en fer avec des trous autour. On y met de la braise que l’on allume pour faire réchauffer la casserole dessus. On peut poser ce Kanoun n’importe où l’on veut faire sa cuisine. Nous vivions dans un quartier avec la population Marocaine. Mon mari a failli se faire posséder en achetant du charbon de bois à un arabe qui lui en a apporté dans un grand sac. Il lui dit "il y en a 50 kilos !" Mon mari ne lui a pas payé le prix demandé car le sac pouvait se soulever à la main…

Je rentre dans une boutique où je croise un arabe avec un panier d’œuf sur la tête. Je lui en achète une douzaine. Arrivée à l’hôtel, le directeur me dit, sans avoir vu les œufs, qu’ils étaient tous pourris… Il m’en avait vendu 13 à la douzaine et aucun n’était bon…

Mon fils va à l’école française au Maroc.

Il y avait une sentinelle devant la maison de mes beaux-parents, à Amiens. Un soir, mon beau-père qui avait été prisonnier en 14, ouvre la porte et lui cause en allemand. L’allemand lui dit, "ce n’est pas de notre faute la guerre ! On nous oblige." Un anglais a écrit longtemps à mon fils alors que la guerre était finie. Il l’avait connu à Casablanca où ils avaient lié d’amitié. Il lui donnait des chewing-gums

Pendant toute cette période, le plus dur pour moi était d’assister à un couac de mon mari. Il était sous chef et jouait du trombone à coulisse. La fausse note est appelée un Couac… Il en avait peur car un Couac entraînait une mise à pied.

J’ai ensuite habité Paris, rue Saint Paul. J’aurais bien repris à travailler mais je n’allais pas désobéir à mon mari… Pour lui, une femme ne devait pas travailler. Il s’en serait offusqué. Il fallait bien entretenir ses tenues, ses bottes, bien les ranger dans la valise, sa casquette notamment la casquette blanche d’été… Il disait toujours, "si tu travaillais, tu ne pourrais pas me faire une belle valise comme ça !" Chacun prie pour sa paroisse… Il était souvent en déplacement. Je ne le suivais pas. J’ai des photos de lui à la libération de Paris sur les Champs Elysées. J’ai laissé mon fils choisir son métier. Il voulait être géomètre expert ce qu’il est devenu.

Mon fils a fait son armée dans la marine et il n’est pas allé en Algérie. Il s’était engagé à 18 ans pour aller au conservatoire et faire ses classes. Il commençait à jouer de la flûte et il a arrêté, la même chose pour le piano. Il a finalement fait ce qu’il voulait…

Je n’ai pas passé mon permis, ni mon mari. Mon fils nous conduisait dans son Opel.


Voir en ligne : La Bande Dessinée : Les Migrants

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