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BURKINA FASSO - Le seul souvenir de chez moi que j’ai ramené en France, c’est le respect…

Mr Sidi Sanou

samedi 30 mai 2009, par Frederic Praud

texte Frederic Praud


Enfance à Bobo-Dioulasso

Je suis né en 1946 à Bobo-Dioulasso, au Burkina Faso, l’ancienne Haute-Volta. C’était encore le temps des colonies. Je suis arrivé en France en 1968. Bobo-Dioulasso était une ville très accueillante, au cœur de l’Afrique de l’Ouest. J’y ai grandi jusqu’à l’âge de seize ans. Je suis ensuite parti en Côte d’Ivoire car mon oncle y était militaire de carrière. Il a fait quinze de service armé là-bas. Á partir de 62, j’ai donc vécu à Abidjan, chez mon oncle. J’avais dix ans lorsque j’ai perdu ma mère et mon oncle a demandé l’autorisation de mon père pour s’occuper de moi.
Il était militaire de carrière pour le gouvernement français, et a travaillé comme directeur de prison pendant quinze ans.

Á Bobo-Dioulasso, je suis allé un peu à l’école publique française. Les instituteurs étaient burkinabés. Á ce moment-là, on pouvait enseigner en primaire avec le Certificat d’Etudes. Il n’y avait pas beaucoup de bacheliers ! Les gens disaient que la France, c’était le paradis ! Tout le monde y était éduqué, civilisé. Tout le monde pouvait y faire des études jusqu’à trouver un métier alors que chez nous, ce n’était pas le cas ! La plupart des enfants allaient aux champs pour cultiver avec la famille !

On commençait l’école très tardivement, vers sept ou huit ans, parce qu’il fallait travailler un peu avec les parents. C’était comme ça… Moi, j’ai arrêté tout de suite après la mort de ma mère, à l’âge de dix ans. Je suis donc resté deux ans à l’école publique et je n’ai pas appris grand-chose. Je suis ensuite allé un temps avec les missionnaires, dans une école catholique.

Mes parents étaient cultivateurs. C’est pour ça que les enfants devaient les aider un peu pour le travail des champs ! Personnellement, je n’ai pas cultivé. Comme nous étions en ville, mes parents avaient leur plantation à l’extérieur et quand j’y allais, je participais à la chasse aux oiseaux. Je servais d’épouvantail en quelque sorte ! C’était la principale tâche que je pouvais faire car j’étais trop jeune pour aider à cultiver. Souvent, je faisais également la nounou pendant que les femmes travaillaient aux champs avec les hommes. Je gardais les enfants de ma famille.

L’apprentissage du métier de tailleur

Nous étions neuf frères et sœurs dans la famille. J’étais le dernier, le chouchou. Lorsque ma sœur a vu que je ne pouvais plus aller à l’école, elle m’a envoyé chez un couturier, un tailleur, qui avait un atelier. Je suis donc devenu apprenti tailleur et au bout de deux ou trois ans, j’avais déjà un métier. Á l’époque, mon patron ne travaillait plus beaucoup et nous avions quand même un marché avec l’armée, qui nous donnait des tenues à confectionner. Alors, lui faisait la découpe et nous, les apprentis, on se chargeait de la couture. Parfois, en plein boum, lorsqu’il y avait beaucoup de commandes, il arrivait qu’on passe une bonne partie de la nuit à travailler !

Rêve d’adolescence

Adolescent, nous rêvions d’être employés dans telle ou telle administration, de devenir un grand monsieur ! On voyait les fonctionnaires aller au bureau avec leur tenue bien correcte, accompagnés de leur boy, un domestique. Alors nous, on se disait : « Mince ! J’aimerais bien pouvoir être comme ça un jour ! »

Á ce moment-là, on ne savait pas ce que c’était l’émigration ou l’immigration ! Á Bobo-Dioulasso, il y avait des Maliens, des Béninois, des Ivoiriens, des Ghanéens, etc., mais jusqu’à l’âge de seize ans, j’ignorais complètement ce que ces mots voulaient dire. Une fois que vous étiez dans la ville, vous étiez chez vous ! On ne disait pas : « Toi, tu ne viens pas d’ici » ! Moi, je suis né et j’ai grandi là-bas mais personne n’osait dire que telle personne venait d’ailleurs ! Ce n’était pas dans la tradition. Chacun était chez lui à Bobo, quelle que soit son origine. On y rencontrait par exemple beaucoup de Français qui travaillaient dans l’administration même si certains sont retournés en France, parce qu’ils étaient très attachés à leur pays.

Le terme « immigré » n’existait pas. Il est apparu récemment. On parlait plutôt d’étranger même si là-bas, on ne disait jamais à quelqu’un qu’il l’était ! Au contraire ! Dès que vous arriviez, vous étiez chez vous. Vous étiez très très bien accueillis… Alors moi, je me sens complètement perdu lorsque j’entends que des émigrés africains ou maghrébins meurent dans des bateaux ou se noient… Et entre l’Afrique et l’Espagne, combien perdent la vie chaque année ? Ça me révolte ! Je ne sais quelle époque nous traversons mais la vie humaine n’a pas beaucoup de valeur pour les politiques de tous les pays. S’ils l’avaient voulu, ils auraient résolu le problème depuis longtemps ! Mais, ils se détournent du problème des enfants qui meurent qui ne sont pas les leurs ! Devant ce spectacle désolant, chacun dit : « Ce n’est pas moi ! C’est l’autre ! Ce sont eux qui veulent venir chez nous ! »

Six ans à Abidjan

Je suis arrivé en Côte d’Ivoire en 62 et j’y suis resté jusqu’en 68, date à laquelle je suis parti en France. J’avais vingt-deux ans. Á Abidjan, j’étais tailleur et je gagnais ma vie comme ça. J’ai ouvert un atelier et j’ai eu à mon tour des apprentis. Je suis devenu moi aussi un patron. Cinq ouvriers travaillaient pour moi. Je faisais la découpe et eux s’occupaient de la couture. D’ailleurs, j’ai beaucoup regretté d’être parti en France car j’ai laissé tout ça derrière moi : mon atelier meublé, les ouvriers, etc. …

J’avais un ami étudiant à Paris. Il m’écrivait tout le temps : « Il faut venir ! La France, c’est bien ! Tu vas te perfectionner ! » Moi, je n’avais pas cette idée en tête ! Mais, comme c’était un ami intime et qu’il était sans arrêt en train de me harceler, j’ai fini par céder… Au bout de deux mois, j’ai décidé de venir en France pour obtenir un diplôme dans la couture. Au départ, j’avais l’intention de rester six mois mais je suis toujours là depuis 68…

Arrivée en France et premières impressions

Je suis arrivé le 9 novembre 68, bien après les évènements de mai. J’avais pris le bateau à Abidjan, avec des escales à Dakar, Las Palmas (Canaries), Alger et Marseille. Je suis ensuite monté à Paris depuis Marseille. Là-bas, j’ai été très surpris car je m’attendais à quelque chose de formidable, de grandiose, à quelque chose que je n’avais jamais vu ! Mais comme j’avais vécu six ans à Abidjan, c’est-à-dire dans une grande ville, je n’ai finalement pas été énormément dépaysé. En fait, la seule chose qui m’a vraiment marqué, c’est le métro, lorsque je l’ai pris pour la première fois, mais c’est à peu près tout. Á Paris, je m’attendais à voir une ville comme dans un rêve ! Alors, quand j’ai vu qu’il y avait de vieilles maisons délabrées, j’ai été surpris… Évidemment, j’ai quand même été impressionné par la Tour Eiffel et l’Arc de Triomphe…

Le seul souvenir de chez moi que j’ai ramené en France, c’est le respect… Il m’est toujours resté, quel que soient les endroits ou je suis allé… Par exemple, en arrivant ici, quand je voyais un Blanc, je lui disais bonjour. Et bien souvent, il ne me répondait pas ! Il me demandait plutôt : « Mais, on se connaît d’où ? », alors qu’un bonjour, c’est tout simple… Chez nous, lorsque deux personnes se croisent quelque part, elles se disent bonjour, qu’elles se connaissent ou non. Elles discutent comme si elles se connaissaient.

J’ai donc trouvé qu’ici, les gens ne communiquaient pas beaucoup alors que pour moi, c’est très important… Le respect est un souvenir qui me reste et je ne veux pas le perdre. Un bonjour, ce n’est pas grand-chose ! Une femme peut ne pas vous répondre parce qu’elle imagine que vous voulez lui faire la cour, mais lorsque c’est un homme qui vous lance : « On se connaît d’où ? », ce n’est pas encourageant.

Quand je suis arrivé à la fin des années 60, c’était après la guerre et la France avait besoin de main d’œuvre pour construire. Elle avait besoin des immigrés à l’époque ! J’étais bien informé car j’étais dans un centre qui s’appelait l’FTAN, dans le XI ème arrondissement. Il s’occupait des étrangers. Il leur trouvait du boulot, les orientait. Moi, au début, je ne cherchais pas de travail ! Je cherchais une formation. Mais, lorsque je suis allé à l’école, on m’a dit qu’il fallait payer. Ce n’était pas gratuit ! En plus, les amis qui étaient sensés m’héberger m’ont expliqué : « Écoute, nous sommes déjà quatre ou cinq dans un appartement de deux pièces et on ne va pas pouvoir te garder. Il faut que tu te débrouilles ».

Trouver un logement

Je suis donc allé à l’hôtel, en compagnie d’un copain du groupe avec qui j’avais voyagé. Le problème, c’est que nous n’avions pas beaucoup d’argent et que nous étions en novembre ! Il faisait froid ! La neige commençait déjà à tomber ! Je ne pouvais pas garder les chaussures que j’avais amenées car elles me serraient et je ne pouvais plus marcher. J’avais les pieds gonflés. Il fallait donc que je change ma garde robe avec le peu d’argent que j’avais, tout en continuant à payer la chambre d’hôtel avec le reste. Alors, comme je faisais des dépenses et que je n’avais pas de rentrées d’argent, ça commençait vraiment à devenir difficile.

Au bout de deux mois, lorsque j’ai vu que ça n’allait pas, je me suis dit : « Puisque c’est dur pour moi, puisque je ne peux pas payer l’école et que je n’ai pas suffisamment d’argent pour rester à l’hôtel, je vais chercher un autre logement. » On m’avait parlé des centres d’hébergement. Ce n’était pas un foyer parce qu’à l’époque, pour y être logé, il fallait travailler et ce n’était pas mon cas. Ce n’était pas gratuit ! Et puis, pour trouver un lit en foyer, il fallait attendre entre trois et six mois ! Il n’y en avait pas beaucoup !

Je me suis donc tourné vers un centre d’hébergement situé avenue de Clichy et j’ai été logé là-bas pendant quinze jours, car c’était la durée maximale. Après, si vous n’aviez pas de travail, ils étaient obligés de vous mettre dehors. D’autres avaient besoin de la place ! Heureusement, comme j’ai toujours été un enfant béni, au bout de quatorze jours, j’ai trouvé du boulot et on a prolongé mon séjour.

Un an chez Renault

J’ai d’abord été embauché dans un magasin de prêt-à-porter. Je suis resté dans mon métier. Je faisais les retouches des vêtements. Mais rapidement, je me suis rendu compte que ça ne me rapportait pas beaucoup d’argent. Je suis donc allé au centre de l’FTAN, où l’on s’occupait de l’encadrement des immigrés. Là-bas, on ma demandé :
« - Mr Sanou, est-ce que vous avez déjà travaillé ?
  Non.
  Est-ce que vous avez un Certificat de travail ?
  Non plus.
  Bon, je vais vous envoyer chez Renault, à Billancourt.
  Mais, je n’ai jamais travaillé !
  Vous savez, qui ne risque rien n’a rien ! Alors, allez quand même les voir de ma part ! »

On m’a donné un papier et je me suis rendu au centre de recrutement où l’on m’a fait passer des tests psychotechniques, pour évaluer mes aptitudes de réflexion. J’ai été engagé tout de suite après et j’ai travaillé une année là-bas, comme contrôleur à la presse. C’étaient de grosses machines qui servaient à mettre en forme la taule des véhicules, à partir d’un moule. Si vous tombiez dedans, la presse vous écrasait comme une tartine !!!

Je m’entendais très bien avec mon chef d’atelier. Je crois qu’il était breton et il était trop gentil. Á l’époque, comme tous les jeunes, je n’étais pas toujours ponctuel et on m’envoyait souvent des courriers de rappel à l’ordre. Alors, lui me rassurait : « Mr Sanou, ne vous en faites pas ! On est tous passés par là ! Mais, tachez de partir plus tôt pour arriver à l’heure ! » Le jour où je lui ai annoncé que je voulais démissionner, il m’a dit : « Non mais vous êtes malade ! »

Il faut savoir qu’à ce moment-là, les gens payaient pour travailler chez Renault ! Ils donnaient de l’argent aux recruteurs ! En 69, le salaire d’un ouvrier tournait autour de six cents francs par mois alors que le SMIC s’élevait à environ quatre cents francs. C’était donc bien payé ! Il y avait d’autres Burkinabés dans l’usine. J’en connaissais au moins trois ou quatre. Par contre, on trouvait beaucoup plus de Maliens, de Sarakolés et de Sénégalais. Il y en avait plein, même si les Algériens et les Marocains étaient largement majoritaires.

J’ai donc démissionné au bout d’un an. Mon chef n’était pas content car je ne sais pas pourquoi, mais il était très attaché à moi. Il m’a dit que j’étais quelqu’un de motivé, etc. Seulement moi, je n’étais pas venu en France pour travailler dans une usine ! Mon but était d’obtenir un diplôme de tailleur.

L’AICP

Sorti de chez Renault, je suis allé m’inscrire à l’Académie internationale de coupe de Paris, 8 rue d’Aboukir. Encore aujourd’hui, je me demande comment j’ai pu réussir aux examens. Je ne sais toujours pas. J’avais un niveau moyen par rapport aux autres étudiants. Mais, quand j’ai vu que la majorité avaient leur Bac, j’ai pensé : « C’est mal parti pour moi ! Je ne pourrais jamais y arriver ! » Il fallait prendre des notes pendant que le professeur expliquait et j’avais des difficultés à suivre.

Nous faisions beaucoup de mathématiques, beaucoup de calcul, et les autres qui écrivaient vite s’en sortaient mieux que moi. Finalement, je me suis dit : « Puisque je suis là, il faut que je fonce ! Je ne suis pas au même niveau qu’eux mais avec la volonté, on peut tout faire ! » C’est partout pareil ! Si vous entreprenez quelque chose sans la volonté, vous n’arrivez à rien.

J’ai fait cette école dans l’intention de retourner à Abidjan, car mon affaire m’y attendait. Je suis resté là-bas une année, de 70 à 71. Je me suis débrouillé et à ma grande surprise, j’ai réussi tous les examens. Beaucoup avaient sur moi l’avantage d’écrire vite mais de mon côté, je maîtrisais déjà la pratique professionnelle. J’ai donc obtenu les deux diplômes, pour hommes et pour dames, alors que certains n’ont pas été reçus.

Á partir de là, je me suis demandé ce que j’allais faire. Je me suis dit : « Il faut que je retourne à Abidjan mais pas les mains vides. Pour le moment, je vais travailler pour me faire un peu de sous et comme ça, je pourrais ouvrir là-bas un grand atelier, qui sera à la hauteur de l’image de la France. » Chez nous, elle était tellement grandiose ! C’était le paradis ! Avec les diplômes que je venais d’avoir, il était donc impensable que je me contente d’un tout petit taudis. Ça n’avait pas de sens. J’avais de grandes ambitions à l’époque !

Du provisoire au définitif

Après l’école, j’ai cherché du boulot. J’ai travaillé un peu partout, chez les confectionneurs parisiens. Je faisais les patrons et la coupe. Je n’ai pas beaucoup souffert étant donné qu’à l’époque, lorsque l’on avait un métier on pouvait choisir son emploi. Quand je voyais un grand magasin, je me disais : « Ah, j’aimerais bien travailler là… » et j’allais voir le patron. Á ce moment là, il n’y avait pas l’ANPE ! Tu devais te débrouiller par toi-même ! Si un employeur avait besoin de quelqu’un, il affichait une petite annonce devant le magasin et il fallait regarder en passant, faire du porte à porte, ou dans les journaux.

Évidemment, maintenant les choses ont bien changé… Mais, c’est Chirac qui a mis en place l’ANPE ! Á l’époque, il était je crois ministre de l’emploi et c’est lui qui a pris cette initiative. Auparavant, il existait des structures pour vous aider à trouver du boulot mais il n’y avait pas encore d’organisme officiel.

J’ai donc continué à travailler, toujours dans l’intention de rentrer chez moi et d’ouvrir un atelier, mais malheureusement, je n’ai pas réussi à mettre de l’argent de côté. Ça rentrait, ça sortait, ça rentrait, ça sortait… Je ne suis pas parvenu à économiser et c’est la raison pour laquelle, jusqu’à présent, je suis toujours là. Et je ne suis pas riche ! J’exerce toujours le même métier. Je n’ai jamais changé. Actuellement, je travaille dans une grande entreprise de vêtements, qui s’appelle « Pourquoi pas ? », rue Réaumur. Á un moment donné, je suis tombé malade et à ce jour, je suis toujours arrêté. Depuis que je suis en France, je suis ouvrier, je suis salarié comme tout le monde. Je n’ai pas vendu mon affaire à Abidjan car j’ai tout perdu ! J’ai tout laissé là-bas et tout a été liquidé.

Installation dans les grands ensembles de banlieue

Lorsque Paris a commencé à entrer en pleine rénovation, le propriétaire de mon logement m’a annoncé : « Écoutez Mr Sanou, je vais vendre l’appartement. Vous allez devoir partir. » C’était en 84. Je suis donc allé voir l’agence qui m’avait logé et je leur ai demandé de me trouver autre chose. Mais, on m’a dit : « Vous savez, en ce moment, sur Paris, ça va être difficile… C’est devenu très cher… Par contre, on peut vous trouver quelque chose en banlieue. » Alors, quand on m’a proposé un appartement à Villiers-le-Bel, j’ai accepté.

Entre 68 et 84, j’avais toujours habité Paris. Lorsque je travaillais chez Renault, j’étais un peu comme un fonctionnaire. C’était une entreprise d’Etat à l’époque ! Il fallait avoir un badge pour rentrer ! Je l’ai gardé d’ailleurs. Á ce moment-là, Renault construisait des logements en banlieue pour ses ouvriers et on m’a même proposé un appartement, mais comme je n’étais pas marié, je n’étais pas prioritaire. Il fallait attendre. Je passais après les autres Africains et Maghrébins qui avaient femme et enfants. Je n’ai donc pas pu en bénéficier… Alors, quand mon agence m’a proposé quelque chose en banlieue, je me suis dit : « Pourquoi pas ? »

Je suis toujours resté entre Garges Sarcelles et Villiers-le-Bel. Á l’époque, je ne faisais pas vraiment de différence entre les trois villes, à part que Sarcelles était beaucoup plus propre. On y trouvait des immeubles plus intéressants, plus neufs et à dire vrai, j’aurais préféré m’installer là plutôt qu’à Villiers-le-Bel. Lorsque je venais aux Flanades, il y avait le centre commercial, c’était bien éclairé, bien propre. En somme, Sarcelles était beaucoup plus correcte que les autres communes.

Á ce moment-là, je ne participais pas à la vie associative. Je travaillais à Paris et je rentrais chez moi pour dormir, comme beaucoup de gens en banlieue. Sur le plan professionnel et en ce qui concerne les amis, tout était à Paris ! C’est pourquoi, je n’étais jamais là dans la journée, ni à Sarcelles, ni à Villiers-le-Bel. Même les week-ends, je n’étais pas là !

En 85, j’ai acheté mon appartement à Villiers-le-Bel. J’avais déposé de multiples demandes de logement. Á Paris, ça n’avait pas abouti et à Villiers-le-Bel, même chose. On m’avait alors conseillé de m’adresser à la SIC mais ça n’avait pas abouti non plus. Comme j’en avais marre de tourner en rond, j’ai donc décidé d’acheter. J’avais entendu dire qu’on pouvait bénéficier d’un crédit dont les remboursements mensuels revenaient à payer un loyer. Je me suis dit : « Bon, pourquoi pas ? Ce n’est pas de l’argent perdu ! Si un jour, je veux le récupérer, je vendrais ! » D’ailleurs, c’est ce que j’ai fait. J’ai vendu à Villiers-le-Bel et j’ai acheté quelque chose à Garges, où je vis actuellement.

Vie associative

Il y a beaucoup d’associations sur Garges mais l’association burkinabé à laquelle je participe ne se trouve pas dans le Val d’Oise. Elle est à Villepinte, là où réside notre président d’association. Quant au vice-président, il habite à La Courneuve, où nous disposons d’un local prêté par la mairie, lorsque nous avons des réunions.

En fait, ce qui m’a amené à Sarcelles, ce sont les cours de français. Je voulais m’améliorer et éliminer mes fautes d’orthographe. Je suis à l’AFASE depuis peu, depuis octobre 2005. Là-bas, il y a pas mal d’anglophones. La plupart sont allés à l’école. Récemment, on a d’ailleurs eu deux ou trois cas d’intellectuels, mais de langue anglaise. Ils ne parlent pas français et viennent l’apprendre pour pouvoir travailler. On a même eu un ingénieur en informatique. On trouve également certaines personnes qui ne sont pas instruites dans leur langue et qui viennent tout simplement apprendre le français, afin de pouvoir communiquer avec les autres. Il y a des Sri Lankais, des Pakistanais, des Africains, etc. Ils suivent des cours d’alphabétisation.

Il y a au moins deux niveaux. Le premier concerne ceux qui apprennent les rudiments : a, b, c, d… et le second, ceux qui savent déjà lire et écrire. Ces derniers ont un autre professeur. Je fais partie de ceux-là. Ce qui me plait à l’AFASE, c’est que l’on s’occupe vraiment sérieusement des gens. Il y a un réel souci de les aider pour qu’ils parviennent, dans leur vie quotidienne, à communiquer facilement avec les autres.

La nationalité française

Je suis en France depuis maintenant trente huit ans. J’ai passé plus de temps ici qu’en Afrique !!! Mais, je n’ai pas encore la nationalité française. Quand je suis arrivé ici, il n’y avait pas de cartes de séjour. La mienne m’a été amenée à domicile par la police. Lorsqu’on m’a proposé la nationalité, je me suis dit : « Ça ne sert à rien, Français ou pas, ma peau sera toujours noire… Le Français, il a sa paie comme moi ! Il mange et il travaille ! Alors, qu’est-ce que ça change ? » Á l’époque, j’avais cette idée dans la tête. Je n’ai donc pas voulu et je l’ai regretté ensuite…

Ce qui m’a découragé, c’est l’expérience malheureuse d’un ami sénégalais qui avait la nationalité française. Un jour, en 70 ou 71, il avait lu une annonce dans laquelle on recherchait un tourneur fraiseur français. Il était content ! Il s’était dit : « Je vais me présenter ! » Seulement, lorsqu’il est arrivé pour l’entretien, on lui a précisé : « Nous voulons un Français mais nous préférons un Français blanc… » Alors, à la suite de cet épisode, j’ai pensé : « Á quoi ça sert si c’est comme ça ? » Pour ma part, je n’ai jamais rencontré ce problème. Quand je travaillais à l’usine, j’étais avec toutes sortes de nationalités. Là-bas, vous pouviez vous perdre lorsque vous étiez nouveau ! Tous les ateliers étaient numérotés : tel département, telle section, etc. !

Ma demande de naturalisation date de 2004. Je souhaite maintenant obtenir la nationalité française pour pouvoir tout simplement voyager. Je suis un aventurier ! Je pourrai ainsi rentrer chez moi tranquille et rester aussi longtemps que je le veux, puis revenir en France où j’ai ma maison, sans qu’on me demande quoi que ce soit : un passeport, un visa, etc. Je pourrai aller aux Etats-Unis ! Je pourrai aller partout ! Je serai bientôt à la retraite et moi, si je ne voyage pas, je me sens comme en prison… Et puis, la France est désormais mon pays ! Je suis bien intégré à la vie française, et ce ne sera pas bien pour moi si je ne prends pas la nationalité. D’ailleurs aujourd’hui, je me dis que j’aurais dû me décider bien avant. Mais, comme il n’est jamais trop tard pour bien faire, j’ai déposé ma demande en 2004.

Tous mes enfants sont français alors que moi, je suis toujours étranger !!! Mais, ma fille aînée m’a constamment harcelé : « Papa, il faut faire la demande ! Il faut faire la demande ! » Mes enfants ont beaucoup contribué à mon passage à l’action. Ils m’ont poussé à sauter le pas et maintenant, j’attends la réponse. J’ai déposé mon dossier à la préfecture de Cergy et ils ont fait une enquête. Ils m’ont convoqué au commissariat. Récemment, ils m’ont envoyé un courrier pour me dire qu’à leur niveau, tout était OK et qu’actuellement, mon dossier se trouvait entre les mains du ministère de l’emploi et de la cohésion sociale. Ce sont eux qui vont décider.

En tout, j’ai quatre enfants. La première est née en 77. Je l’ai eu avec ma première épouse, qui était d’origine burkinabé. Mais, nous avons divorcé et je me suis remarié avec une autre Africaine, avec qui j’ai eu mes trois enfants. Tous ont obtenu la nationalité française automatiquement, sauf les deux derniers, dont la naissance à coïncidé avec la loi Pasqua. Ils devront donc choisir à l’âge de dix-huit ans. Mais, de toute façon, si on me donne la nationalité, ils l’obtiendront en même temps.

Aider ma famille restée au pays

Mon rêve maintenant est de retourner au Burkina mais seulement comme touriste, pour y rester aussi longtemps que je le souhaite : un mois, un an… J’ai ma maison à Bobo-Dioulasso ! Pendant que je n’y suis pas, j’ai de la famille qui y habite. Mais, j’ai aussi d’autres maisons que j’ai mises en location. Parce que là-bas, ce c’est pas comme ici, l’Etat n’aide pas beaucoup les gens ! On peut dire tout ce qu’on veut sur la France mais au moins, elle ne laisse pas tomber tout le monde. D’une manière ou d’une autre, chacun est aidé par l’Etat.

Au Burkina, ce n’est pas le cas ! Seules quelques minorités bénéficient d’avantages alors que les classes moyennes n’ont aucun soutien, pas de sécurité, pas de chômage, pas de retraite, rien du tout. Les maisons que j’ai en location me permettent donc d’aider sur place mes deux grandes sœurs et mes trois grands frères. Comme ça, je n’ai pas besoin d’envoyer chaque fois de l’argent là-bas.

La bénédiction des parents

Lorsque mon père est mort en 62, je n’étais pas là. Je n’ai pas pu assister à son enterrement, mais, je suis allé après au cimetière, sur son tombeau, pour lui demander pardon et qu’il me bénisse. Chez nous, il faut toujours demander la bénédiction à ses parents, le papa et la maman, car sinon, vous n’arriver à rien… Par contre, avec leur bénédiction, tout ce que vous ferez dans la vie sera une réussite. Moi, en France, je n’ai jamais dormi en prison ne serait-ce qu’une journée. Cela ne m’est jamais arrivé parce que j’ai la bénédiction de mes parents. Chez nous, c’est sacré. Il faut toujours la leur demander, avant même de s’adresser à Dieu.

Vivre sa religion

Au Burkina, il y a des catholiques, des musulmans et aussi des non croyants. Dans ma famille, nous sommes musulmans mais lorsque je suis venu en France, j’étais jeune et j’ai tout arrêté. Pourtant en Afrique, j’allais à la mosquée tous les vendredis ! Seulement arrivé ici, j’ai tout laissé tomber… Je buvais de l’alcool, du vin, du whisky ; la belle vie ! Comme beaucoup de jeunes, je me laissais aller. Mais, à un moment donné, il y a une dizaine d’années, je me suis dit : « Il faut retourner aux sources » et j’ai repris la prière. Aujourd’hui, je suis toujours musulman et j’ai transmis l’islam à mes enfants. Ils prient tous, même le plus petit qui a huit ans vient parfois prier avec moi.

Le racisme, connais pas…

En France, je n’ai jamais été personnellement confronté au racisme. Je ne sais même pas ce que c’est. Pour moi, c’est surtout psychologique. C’est une question de jalousie. Si quelqu’un est jaloux de vous, vous ne pouvez pas l’en empêcher ! Mais, il ne faut pas tomber dans ce piège. Au contraire, si quelqu’un est jaloux de moi, j’en suis fier ! Je suis content ! Cela m’encourage à foncer plus encore, pour prouver que je suis capable de faire mieux.

Je n’ai jamais été confronté au racisme depuis que je suis en France j’ai tout fait pour l’éviter. J’ai une facilité à communiquer avec les gens, je sais comment m’exprimer avec eux. Lorsque j’entends parler de racisme à la télé ou à la radio, je suis donc un peu surpris ! En 38 ans, cela ne m’est jamais arrivé ! Alors, j’ai peut-être eu de la chance. Je ne sais pas. Je crois surtout que le fait qu’il y ait une grande mixité sociale ici y a largement contribué, car nous sommes tous plus ou moins issus de l’immigration.

Quoi qu’il en soit, lorsque j’ai commencé à vivre en France, ceux qu’on appelle « Les Français de souche » n’étaient pas racistes ! Du moins pour moi ! Je ne sais pas pour les autres ! Il m’est par exemple arrivé plusieurs fois de demander mon chemin à une vieille dame ou à un vieux monsieur, qui m’ont carrément pris par la main en me disant : « Viens ! Viens ! Je vais te montrer ! » Certains m’ont accompagné pendant au moins cinq minutes !

Le problème maintenant, c’est que les gens n’ont pas le temps de s’occuper des autres. Mais, vu que dans les années 70, les « Français de souche » n’étaient pas racistes, je ne vois pas comment les immigrés qui sont arrivés à l’époque pourraient l’être ! Ils ne peuvent pas ! En ce qui me concerne, je n’ai jamais senti de racisme et je n’en ai jamais vu. Je ne suis peut-être pas allé dans les mauvais endroits ! En tout cas, au niveau du boulot, j’ai toujours trouvé facilement. Ce serait donc un peu malhonnête de ma part de parler de racisme.

Préserver la culture bambara

J’ai élevé mes enfants à la fois comme des Français et des Burkinabés. D’ailleurs, ils partent régulièrement au Burkina, à chaque vacance. Ils sont souvent impatients car ils se sont fait des amis là-bas, ils ont tissé des liens. Á la maison, nous parlons le bambara, le burkinabé, et le français. Mais, dans certaines familles, on ne parle que le français ! Pour moi, continuer à m’exprimer en bambara est un choix. C’est ma culture, ce sont mes racines. Si je perdais ça, ce serait malheureux pour moi. Il n’y aurait plus de repères, et je ne veux surtout pas que mes enfants se retrouvent dans cette situation. Aujourd’hui, ils comprennent tous le bambara ! Même, le plus petit qui a huit ans ! Il le comprend mais ne sait pas encore le parler.

Avec le temps, je ne parle plus tout à fait ma langue comme les gens qui sont sur place, au pays. D’ailleurs souvent, lorsque je m’adresse là-bas aux enfants, certains éclatent de rire ! Ils se disent : « Qu’est-ce qu’il est en train de nous raconter ! » Mais moi, ça me plait de m’exprimer dans ma langue, même s’ils trouvent que je la parle mal…

Message aux jeunes

Il y a beaucoup de choses à dire mais le plus important pour moi, c’est que les jeunes ne doivent jamais baisser les bras. La dignité commence d’abord par respecter les autres, afin d’être respecté soi-même. Tant que vous respectez la personne qui est en face de vous, elle est obligée de vous respecter aussi ! Il ne faut pas tenir un langage xénophobe, ce langage qui consiste à dire tout le temps : « Je vais me venger ! Je vais me venger… » La seule manière pour un jeune de se venger, c’est de travailler, de toujours travailler. Il faut entreprendre des réalisations concrètes, construire sa vie et parvenir à quelque chose de positif, se marier, avoir des enfants. La seule vengeance que je souhaite aux jeunes, c’est qu’ils puissent prendre une revanche sur eux-mêmes, en travaillant pour arriver à atteindre leur but. Quand ils y parviendront, ils pourront dire alors : « Oui, je me suis vengé sur la vie et pas sur quelqu’un… » C’est un premier point.

Ensuite, lorsque j’entends des jeunes se plaindre : « Mais, ils sont racistes ! Ils sont ceci ou cela ! », je pense qu’ils y sont peut-être aussi pour quelque chose car souvent, c’est par rapport à votre attitude que les gens vous voient d’un œil un peu bizarre. Je crois qu’il faut éviter d’avoir un comportement différent, consistant à rester dans son coin et dire : « Voilà, nous, on est ceci, on est cela. » Tout le monde est pareil ! Il faut simplement communiquer avec les gens ! Le plus possible ! Quelque soit la génération à laquelle on appartient !

Il faut respecter les aînés. Nous, on nous a toujours enseigné qu’une personne qui a l’âge de ton père doit quelque part être considéré comme le tien. Mais de nos jours, les jeunes ne respectent pas beaucoup les plus âgés alors qu’ils devraient les considérer comme des modèles. Chez nous, jusqu’à présent, cette tradition-là existe toujours. Elle est fondée sur le respect des anciens, qui sont comme nos papas, et sur celui des aînés, qui sont comme nos grands frères. L’écoute des grandes personnes est la première école de la vie. On ne peut pas tout apprendre sur le papier ! Il faut donc profiter de l’expérience des gens qui sont là pour vous conseiller, pour vous orienter. C’est de là aussi que vient le savoir vivre.

récit collecté par :

frederic.praud@wanadoo.fr

parolesdhommesetdefemmes@orange.fr


Voir en ligne : La Bande Dessinée : Les Migrants

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