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Quotidien de l’occupation en Seine et Marne

Madame Jeanne MILLET, née le 28 juin 1920 à Echouboulains

samedi 10 novembre 2007, par Frederic Praud

Madame Jeanne MILLET, née le 28 juin 1920 à Echouboulains

Je suis née à Echouboulains, à quinze kilomètres de Donnemarie. Mon père était jardinier chef au château depuis 1907, mais je ne suis venue y habiter qu’en 1925, dans un pavillon situé dans le parc.

Enfance et activité professionnelle des parents

Le château appartenait au départ à la famille Deutsch de la Meurthe, qui détenait les pétroles Shell. Ils l’ont vendu à un Anglais qui en a fait une école pour jeunes anglais richissimes. De seize à trente ans, ils venaient se perfectionner en français. Cet anglais avait trois filles. Une gouvernante leur faisait l’école, mais il leur fallait un contact avec une jeune de leur âge. J’étais de l’âge de la seconde et leur mère voulait qu’elles aient une camarade, car elles n’allaient pas à l’école. Je vivais presque plus au château que chez mes parents. J’allais à l’école au village, mais j’allais jouer avec elles à la moindre occasion. Leurs parents leur avaient recommandé d’être très gentilles, pour m’aider à supporter la mort de ma mère en avril 1929.

Le propriétaire du château avait un appareil cinématographique. Quand nous avions été bien gentilles avec la gouvernante, il nous passait des films, Charlot et autres, vers 1925 / 1930. Le film était sous titré mais souvent, la personne qui projetait le film racontait l’histoire en même temps. Il y avait également des projections dans la salle de bal du café. Un monsieur se promenait ainsi avec ses films, de villages en villages.

Les Anglais sont restés jusqu’en 1932. La fille de l’ancien propriétaire Deutsch a voulu leur racheter le château, ce qu’elle a fait, mais pour le donner au Ministère de l’Air, en exigeant qu’ils y installent une maison de repos pour les aviateurs blessés ou malades. Peu de temps après, le Ministère de l’Air en a fait une école.

En 1931, j’ai visité trois fois l’exposition coloniale. J’en conserve des souvenirs merveilleux, surtout celui du temple d’AngkorVat. En 1937, j’ai également visité plusieurs fois l’exposition internationale. Sous les pavillons de chaque pays étaient présentées leurs spécialités. C’était très beau… A l’époque, j’allais passer un mois à St Denis chez mon oncle, mon tuteur, et ma tante, la sœur aînée de ma mère. C’est ce qui m’a permis de pouvoir faire ces visites.

Un soir, nous sommes allés assister à un immense feu d’artifice, tiré du haut de la tour Eiffel en l’honneur du prince de Galles. Il dînait sur la péniche restaurant en face du palais de Chaillot, sur la terrasse duquel nous nous trouvions. Avec les fontaines lumineuses, c’était un spectacle éblouissant. En haut de la tour était installée la lanterne du phare d’Ouessant Nividic, dont on disait que c’était une victoire de l’ingéniosité et de la technique, un record du monde. Il tournait neuf fois en dix secondes et portait à dix milles en mer, mais par temps clair, nous en voyions le rayon jusqu’ici. Durant ces années, j’ai vu aussi deux fois une troupe de cosaques. Ces cavaliers russes présentaient des numéros extraordinaires.

Je suis restée à Echouboulains jusqu’en mars 1934, année de notre venue à Dontilly. Mon père avait travaillé vingt-sept ans dans cette propriété comme chef jardinier. Il s’est retrouvé en désaccord avec la femme du nouveau directeur de l’école. Elle se permettait de venir cueillir les fleurs, de tout faire sans lui demander son avis, ce qui ne lui était jamais arrivé en vingt-sept ans de présence. Il s’est disputé avec elle et il a décidé de partir immédiatement.

Il a continué son travail de jardinier à Donnemarie et à Dontilly, chez des gens. Il s’est également mis à vendre des plans de légumes et de fleurs, ainsi qu’à confectionner des corbeilles pour les mariages et des couronnes pour les enterrements.

Dontilly avant guerre

Nous n’avons eu l’électricité qu’en 1934. J’ai passé toute mon enfance avec la lumière de la lampe à pétrole. Nous n’avions pas l’eau dans les maisons et allions la chercher aux puits, dans les jardins.

Dontilly ressemblait à Echouboulains. Rien ne changeait. Je suis allée en apprentissage de couture pendant quatre ans, avant de rester chez mes parents jusqu’à mon mariage en 1949. Maman avait été très malade à ma naissance et elle avait fait promettre à mon père que je resterais toujours avec lui.

L’école

J’ai eu mon certificat à douze ans. J’ai toujours eu la même maîtresse pour tous les niveaux de classe. Nous avons été jusqu’à quarante-deux élèves dans l’école. J’ai commencé par un établissement non mixte, mais il l’est devenu quand l’école des garçons a été supprimée. La classe était séparée en deux par l’allée du milieu. Il y avait d’un côté les garçons et de l’autre les filles. Cependant, nous étions ensemble dans la cour. Les garçons s’occupaient de la corvée de bois, de faire du feu, alors que nous, les filles, devions faire le ménage de la classe à la fin de la semaine.

Le matin, la maîtresse vérifiait la propreté des mains, les ongles. Elle regardait si nous étions correctement habillés, si nos chaussures étaient propres et bien cirées. Nous rentrions en classe en rang. Elle n’a jamais donné une gifle, à personne de la classe.

Ma maîtresse aurait voulu que je sois institutrice. Elle était venue voir mon père pour le lui demander, mais je n’ai pas voulu. Je préférais faire de la couture. Les jeunes filles faisaient souvent femmes de ménage, ouvrières, employées de maison.

Nos vacances duraient du 1eraoût au 1eroctobre.

Fêtes

Des bals se tenaient l’après-midi sur la place Saint-Pierre de Donnemarie, vers le puits… Il y avait apéritif dansant de 17 à 19 heures, puis bal le soir pour toutes les fêtes. La jeunesse venait de Provins, de Montereau, de Nangis, pour danser. Des bals se tenaient sous la rotonde pour la fête du pays.

Certains avaient une spécialité. Il y avait le bal des jeunes gens et le bal des jeunes filles, où chacun avait la priorité pour inviter sa ou son partenaire. Les garçons nous offraient des gâteaux et des rafraîchissements. Les filles le leur rendaient à une autre date. Les garçons allaient facilement au bal, seuls, mais les filles étaient accompagnées par leurs mères.

Toutes les femmes travaillaient, même chez elles, car élever une famille n’était pas rien, mais elles n’étaient pas toutes payées par un patron.

Les Allemands

Ma grand-mère me disait que les Hulans, les Allemands, étaient venus jusqu’à l’entrée du village en 1870. Mon père m’avait toujours appris que les humains étaient tous pareils. Il avait fait la guerre de 14 aux Dardanelles et avait eu les pieds gelés. Il ne détestait personne. Il s’était fait de très bons copains : un noble qui était correspondant du Figaro à New York avant la guerre, un Juif, un Espagnol, un Noir. Il aimait connaître différentes cultures et m’avait inculqué qu’il y avait des bons partout, dans toutes les races.

La déclaration de guerre, l’exode

Nous avons connu la première mobilisation en 1938. Mon père suivait l’actualité, que je comprenais car j’avais dix-huit ans.

Le tocsin a sonné quand j’étais sur la route de Mons. J’allais avec Raymond R., boucher, commander un veau. C’était comme un grand frère pour moi. Il me demandait de l’accompagner à chaque fois. Nous avons entendu le tocsin sonner en haut de la côte. Cela vous faisait dresser les cheveux sur la tête.

Mon père a été mobilisé pour garder les voies.

Un monsieur de Donnemarie faisait partie de la cinquième colonne. Il se faisait passer pour un Suisse artiste peintre. Un voisin, Paul Benoît, l’avait vu faire des signes à un avion, bien avant que les Allemands n’arrivent. Il avait été le signaler à la gendarmerie. Quand tout le quartier est parti en exode, il est venu nous demander s’il pouvait se joindre à nous avec sa gouvernante. Nous sommes tous partis, mais arrivés à une fourche entre deux routes, il avait dit aux hommes qui conduisaient les chevaux : « Prenez cette petite route. On sera très tranquilles. On sera bien ! »
Seules deux ou trois voitures avaient pris cette route. La file des réfugiés avait continué sur l’autre route.

Nous étions dans une forêt cette nuit là… Tous les deux ou trois cents mètres, nous voyions des éclairs de lumière partir. On n’entendait rien. On se demandait ce qui se passait. Nous n’avons jamais su ce que c’était. Nous étions tranquilles comme tout. Nous sommes arrivés à Bléneau le lendemain, mais les Allemands nous suivaient. On m’a donné plus tard l’explication : la cinquième colonne balisait les routes pour que l’armée puisse descendre tranquillement. Ce monsieur n’est pas revenu avec nous. Il est parti de Dontilly quelques mois après.

Les hommes ont pleuré en voyant arriver les Allemands…

La première nuit, nous avons couché au pied d’une meule. Les Allemands et les Italiens ont commencé à nous bombarder le lendemain matin, à mitrailler la population. Nous nous étions cachés dans une mare à sec et nous avons vu les balles se ficher dans le remblai de la mare, près de nous. On ne pensait pas que l’on allait mourir. On vivait au jour le jour !

Nous sommes partis alors que les Allemands étaient déjà à Paris. Nous partions vers le Sud. Nous avions eu la chance qu’il fasse très beau en ce mois de juin 1940. Mon frère, prisonnier en Saxe, a assisté en 1945 à l’exode des Allemands, qui se sauvaient devant les Russes par -40 C°. Des gens mourraient de froid dans les voitures.

L’Occupation au quotidien

Pendant l’Occupation, un ouvrier à l’EDF, collaborateur des Allemands, était venu voir mes beaux-parents qui tenaient une épicerie café. Ils ne savaient pas qui il était avant !

Il n’y avait plus de bals pendant la guerre, ils étaient interdits. Mais, nous allions parfois danser à des bals de mariage.

Je n’ai vu qu’une seule personne porter l’étoile jaune à Donnemarie, le grand-père de Nicole Rosenthal, le père du docteur Rosenthal qui avait été déporté. Nous connaissions la signification de l’étoile jaune… Sa maman n’était pas juive et les enfants ont été baptisés pour les protéger.

On savait que des gens avaient été déportés mais personne ne savait où.

Les phares de vélo devaient être peints en bleu et des rideaux étaient mis sur les fenêtres à cause du couvre-feu. Aucune lumière ne devait filtrer.

La Wehrmacht et les SS étaient différents. On pouvait s’en rendre compte juste en les voyant défiler. Des unités de SS passaient par Donnemarie. Ils se chargeaient des arrestations. Les SS étaient arrogants et raides comme des piquets. L’autre armée ne se comportait pas pareil.

Le plus dur était les restrictions en ravitaillement, mais ce n’était quand même pas aussi difficile qu’en ville. On avait des jardins, des animaux. Tout le monde pouvait se débrouiller pour manger. On allait dans les fermes pour acheter du lait. On passait le blé dans le moulin à café pour faire de la farine.

Au fur à mesure de l’avancée des troupes alliées, on entendait de plus en plus le bruit des moteurs d’avion. On entendait les avions mais il n’y a pas eu de bombardements, sauf sur les arches de Longueville qui ont sauté. J’ai vu les avions les bombarder.

Le soir du bombardement de Maillie, j’étais dehors, devant chez mes parents, avec les enfants Corsi en train de regarder ce qui se passait. Il y avait des avions sans arrêt. Ça ronronnait. D’un seul coup, on a entendu le « tac tac tac » des mitrailleuses. On a levé le nez et on a vu les balles traçantes qui filaient à toutes vitesse. On s’est dit :
« Il va se faire avoir ! »
Il a explosé en vol…une vraie boule de feu ! L’avion est tombé en haut de la côte de Mons.

Un autre témoin raconte : Je l’ai vu faire plusieurs passages au-dessus de Donnemarie. Mon père était à la fenêtre. Tous les gens qui l’ont observé ont dit qu’il y avait le feu à bord. Arrivé au-dessus du collège actuel, il y a eu une explosion et la queue s’est détachée pour tomber vers l’Auxence. La cabine du mitrailleur arrière est tombée au bord de la route de Provins. Un grand canot en caoutchouc s’est gonflé automatiquement et a atterri dans le champ de luzerne. L’avion a refait un cercle. Il a perdu son train d’atterrissage avant les Epines du Mont…, dans un champ cultivé. Et le reste de l’avion est allé se piquer dans la pente en dessous du monument. L’avion revenait en direction de Donnemarie quand il a heurté le sol. J’ai vu le mitrailleur mort à sa place, dans sa tourelle. Il avait dû mourir avant de ses blessures. Les Allemands l’ont fouillé, ils ont regardé tout ce qu’il avait dans ses poches. C’était un grand gaillard blond, il portait une combinaison orangée pour être repéré en mer. Les autres étaient déchiquetés et brûlés dans le reste de l’avion.

Résistance

La Résistance n’a commencé qu’à la fin de la guerre, à partir de 1943, à part ceux qui se trouvaient près des côtes françaises. Il y avait tout un réseau sur le canton. Un inconnu venu de Paris s’était infiltré dans un réseau local. Il habitait juste à côté de Marius Billard, qui a été dénoncé par la suite avec monsieur Bellagué. On ne savait rien de leur activité. Nous ne l’avons appris qu’après leur arrestation.

J’avais vu les Allemands emmener la femme de Coignard, celui qui a vendu les résistants du village. Je revenais de la boulangerie et j’ai vu un camion allemand arrêté devant chez eux. J’étais effarée. Ils ont emmené sa femme et les gosses. On a ensuite découvert que Coignard avait dénoncé tout le monde.

Coignard se cachait. Monsieur Basse habitait à côté l’ancienne maison de Coignard, qui aurait dû être vide. Un soir, il a entendu que quelque chose bougeait dans la maison. Il est allé prévenir la gendarmerie. Ils sont venus et l’ont trouvé dans la cheminée. Ils l’ont enfermé au cachot à la gendarmerie, mais il s’est évadé en dévissant la serrure avec une cuillère. Ils l’ont récupéré alors qu’il était rentré dans la police nationale à Paris. Il a été promené dans les rues après avoir été rattrapé, à la Libération. Il est passé au tribunal à Provins et a été fusillé au champ de tir de la ville.

Le départ des Allemands et la Libération

Les Allemands ne sont pas passés à Dontilly pour ramasser des hommes. Mon père n’a pas voulu y aller. Une personne est venue le lendemain pour lui dire que s’il n’y allait pas aussi, il risquait de faire fusiller des gens. Donc, il s’est rendu. En fin de compte, il est rentré le samedi. Il ne s’était rien passé. On avait bien sûr eu peur ! On allait leur porter à manger. Ils étaient gardés par deux ou trois Allemands. La situation la plus critique était celle des otages du château.

Il n’y avait pas un chat dans la rue. Je ne savais que faire quand tout à coup, j’ai vu en haut de la côte de Montigny une voiture s’approcher. De loin, elle ressemblait à une voiture militaire allemande. Puis, j’ai vu la première jeep avec la bannière étoilée américaine. Je suis rentrée en trombe pour annoncer la nouvelle et j’ai couru derrière jusqu’au carrefour, au bout de la rue, où ils sont arrivés. C’était le dimanche 27 août, deux jours après la libération de Provins. Ensuite, je suis descendue avec la population sur la place et là, j’ai vu les jeeps américaines.

Tout le monde s’est rejoint là-bas, où il y avait d’énormes chars qui étaient garés. Alors que j’étais au pied de l’un d’eux, un soldat m’a pris la tête et m’a embrassée… Je n’ai même pas eu le temps de réagir. Je n’ai même pas vu sa tête. Il avait son casque jusqu’au yeux… Mais, nous nous sommes regardés et nous avons ri tous les deux. Le soir, nous avons dansé pour fêter ce grand jour.

Messages

  • étonnant ce récit, on est tellement loin de tout cela maintenant et nos préoccupations sont tellement différentes ! c’est pourtant indispensable de savoir qu’il y a eu des moments comme cela avec leur lot de souffrance et de combats pour la survie. ça nous ramène à une autre échelle de valeur en nous rappelant qu’il faut relativiser nos petits tracas quotidiens et c’est plutôt bien. N’oublions pas que ce sont ces moments forts de l’histoire vécus par les gens, qui ont fait de nous ce que nous sommes aujourdhui.

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