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PAROY - Toi pas sourire à l’Allemagne ?

Témoignage de Madame FOURTIER Jeanine

mardi 20 novembre 2007, par Frederic Praud

Je suis née le 27 septembre 1930 dans un petit village de Seine et Marne, Paroy, au sein d’une famille nombreuse. C’était un village comme partout, calme. Chaque maison avait sa petite culture, deux vaches, tout ce qu’il faut. Le métayage n’existait pas chez nous. Ce ne sont que de petits propriétaires.

Nous étions huit avant la guerre de 39, puis quinze après guerre…. Nous sommes encore treize. Ma mère élevait les enfants. Elle ne travaillait pas ! Mon père était électricien sur Paroy. Il était à l’Est Lumière, à Donnemarie. Ils avaient de quoi nous élever même si le salaire d’électricien n’était pas haut. On n’avait pas une vie de richissimes, mais enfin… Nos grands-parents vivaient près de chez nous et cela nous a quand même aidés !

Avant-guerre, on sentait une différence sociale : la famille nombreuse était mal cataloguée, mal vue même si cela allait à peu près à l’école. Il n’y avait pas de mise à l’écart. Nous n’étions pas malheureux ! C’était ainsi ! C’est tout…

Il n’y avait pas de médecin dans le village. Il n’y avait rien… une épicerie, une cabine téléphonique pour tout le monde. Des commerçants passaient.

Dans le village, il n’y avait rien pour les jeunes. Rien du tout ! Il n’y avait que pour le 14 juillet, comme nous, les élèves, finissions l’école à cette date, nous montions de petites scènes. Et c’était tout ! Il n’y avait pas d’animation ! Il n’ y avait rien !

Une guerre en préparation ?

Nous étions bien ! On ne sentait pas que la guerre allait arriver. Nous ne nous en sommes rendus compte quand on nous a dit : « La guerre est déclarée ! »
Bon, la guerre était déclarée et puis c’était tout ! Gosses, on ne réfléchit pas ! Nous avions une vieille radio que les grands écoutaient un peu le soir mais pas nous…

A l’école, on ne nous donnait pas d’informations sur ce qui se passait. A l’école, il n’y avait rien à cette époque-là ! Pas comme aujourd’hui ! Aujourd’hui, tout le monde a son petit téléphone … On n’avait rien du tout ! Nous, on nous a appris les droits civiques. On avait un instituteur sympa mais c’est vrai qu’il fallait respecter tout le monde.

On ne nous a rien appris sur les Allemands. Il n’y avait pas de haine particulière, Avant la guerre, on n’en parlait pas ! À part ceux qui avaient vécu la guerre de 14 mais, mes parents n’ont pas vécu cette guerre. Mes grands-parents mais pas nous…

Le déclenchement de la guerre, l’arrivée des Allemands et l’exode

J’avais neuf ans en 39 ! Cela ne nous a fait rien de spécial. On disait : « Il va y avoir la guerre mais… ! » Il n’y avait pas de mobilisation. Pas encore. On nous a parlé de la guerre et puis c’était tout ! Il n’y avait pas d’autres conséquences. On ne sentait pas les choses. On est des gamins à cet âge-là …

Il n’y avait pas d’impact pour moi ou pour ma famille jusqu’en 1940, quand nous avons vu arriver les réfugiés. Là, on avait un peu peur parce que, c’est vrai que c’étaient les gens du nord de la Meuse, de la Moselle, de ces coins-là. Ils arrivaient en voiture à cheval, avec des matelas, tout ce qu’on voulait sur le tombereau…Ils commençaient l’exode et nous disaient : « On s’en va ! Il faut vous en aller ! Les Allemands coupent les doigts aux enfants ! Aux garçons ! Les doigts ou les mains… »
Alors, tout le monde avait peur après.
Quand on nous a annoncé : « On s’en va ! » On était contents parce que l’on n’était jamais partis en vacances chez nous ! On ne savait pas ce que c’était. Alors, bon, nous sommes partis. On ne savait pas ce qui nous attendait. On emmenait un peu ses affaires quand même… des matelas et puis, le peu de voitures qu’il y avait mais il n’y en avait pas beaucoup à cette époque-là. Mon père est parti avec la voiture à cheval et puis ce qui fallait un matelas et le reste. Moi, j’étais avec les grands-parents. Je me rappelle, une partie de la famille est partie avec l’auto. Enfin, comme on était beaucoup, on s’était partagés. Moi, j’étais dans la voiture au milieu des paquets.

Et nous sommes partis. Enfin, on était contents parce qu’on disait : « On s’exode ! On va voir du pays ! » Comme des gosses ! On est bête quand on est gamin, oui ! Arrivés, c’était pareil, on part, on part… On ne savait pas ce qui nous attendait parce que dans les bois de Montargis, on a été mitraillés par les Italiens, par les avions. Fou ! Ça piquait ! Moi, c’est vrai que j’ai eu très peur à cette époque-là et j’en ai gardé quelque chose …

Alors là, on s’est fait mitraillé. Ce n’était plus pareil ! Heureusement, c’étaient de petits avions ! Ce n’étaient pas des avions comme aujourd’hui ! On a eu peur quand même ! On était à plat ventre dans le champ ou dans les bois. Là, cela fait peur ! Il y a eu des morts. Après, quand c’était terminé, on repartait un peu plus loin, on se faisait mitrailler. On a eu de la chance dans un sens : personne d’entre nous n’a été touché.

Et alors nous, nous sommes allés jusqu’à Saint-Prive parce qu’on partait sur Montargis mais il n’y avait plus de pont. Tout avait sauté ! Ils avaient fait sauter le pont de Gien et celui de Montargis. Alors, on ne pouvait plus s’en aller ! Il n’y avait plus de route ! Alors, quand on a dit au grand-père :« Il n’y a plus de pont ! » Il a répondu : « On fait demi-tour ! » Mais, il se faisait « agonir », disputer, tout le long du chemin parce qu’il roulait à contresens. Alors, ça gênait… Il disait : « Mais, on ne peut plus passer, il n’y a plus de pont ! » On a fait demi-tour et qu’on est restés à Saint-Prive, un petit village de l’Yonne. On a rebroussé chemin !

On a retrouvé les Allemands à Saint-Prive. On se méfiait quand même ! Mais, ils ne nous paraissaient pas méchants

J’avais un petit frère qui avait deux mois et un Allemand est rentré. Il voulait le faire rire. Alors, il fait : « Toi pas sourire à l’Allemagne ! »
A deux mois, le gamin… ! Ils ne nous ont pas donné de bonbons. Pas eux ! Ce sont les Américains. C’était déjà un peu mieux. On courait après les Américains mais après les Allemands, non !

Ils voulaient justement qu’on déloge mais l’un est arrivé et a dit : « Non, non, non ! Nous coucher dans la grange et vous rester ici ! »
Comme il n’y avait plus personne à la ferme, les voisins avaient dit : « Bah, vous vous mettez là ! »
Ils s’occupaient des vaches et des bêtes qu’il y avait à la ferme. Au début, c’étaient un peu des vacances mais après, non ! Ce n’était plus pareil ! On avait hâte de rentrer à la maison… Mais, quand on est jeune, on part, on est inconscient. On est inconscient, à neuf ou dix ans ! Le premier contact avec la guerre n’a pas été violent pour nous, a part le mitraillage.

L’impact de la guerre sur un petit village rural

Les Allemands n’étaient pas encore là, quand on est rentrés. On a juste constaté que les maisons qui étaient restées toutes seules avaient été pillées…. Par des civils ! Dans le village, c’était la même situation. Tout le monde n’était pas parti ! Il en est resté un petit peu.

Je n’avais pas de frère mobilisé. Ils sont beaucoup plus jeunes que moi. On n’a pas tellement souffert de l’occupation ! Nous étions gosses…

On avait Maréchal, nous voilà ! à l’école mais ce n’est pas pour cela que… Il n’y avait pas de pressions comme à Paris. C’était beaucoup plus calme à la campagne.

Un petit copain d’école a été déporté. Sa famille habitait à Paroy, un couple de Juifs avec un petit garçon. Ils avaient deux enfants mais un était resté à Paris. Leur fils était malade justement ce jour-là. Il était resté chez ses parents. Et les Allemands sont venus. Un beau jour, bah les Allemands sont venus les chercher en traction Citroën. Ils sont partis sur Drancy. On savait que tout le monde partait sur Drancy et ensuite certainement sur Auschwitz. C’était ça ! C’est malheureux !

J’ai vu leur départ. Les Allemands sont arrivés chez eux et ils ont tué leur chien… Et hop ! Ils les ont embarqués ! Et puis après, on ne les a jamais revus, hein ! Je les ai vu partir dans la voiture devant l’école… Quand ils sont partis, le monsieur a baissé son carreau et il a dit : « On reviendra Monsieur Lanson ! »
Monsieur Lanson était notre instituteur. On ne les a jamais revus… Ils ont été déportés et le gamin, Guy, a été fusillé à Strasbourg… Il avait neuf ans, dix ans ! Il était à l’école avec nous ! Et puis, c’étaient des gens qui n’avaient pas de problèmes et on les côtoyait. Ces gens n’aveint pas de problème et on les côtoyait. C’étaient des gens comme tout le monde ! Il y avait une haine contre ces gens-là.

On savait qu’ils étaient juifs, cela ne nous dérangeait pas ! On ne faisait pas de différence. Pas du tout ! Pas du tout ! C’est vrai que cela nous a fait de la peine quand même ! On s’est dit : « Ce n’est pas normal des choses comme ça ! Ce n’est pas normal… » Ils savaient bien ce qui les attendaient. Quand les Allemands venaient les chercher, ils savaient bien qu’ils allaient à Drancy et de Drancy à Auschwitz.

Ce n’est pas la première fois que j’ai vu les Allemands dans le village. Ils avaient occupé aussi le village mais, l’occupation se passait normalement. Ils étaient dans la pâture et ils ne dérangeaient personne. C’était plus calme dans notre coin ! Dans ma famille, personne n’a été touché personnellement par la guerre.

On a vu deux avions se télescoper et tout à coup, des petits paquets blancs sont tombés. « Qu’est-ce que c’est que ça ? » Nous, on revenait du catéchisme de Luisetaines. Le dimanche, c’était la messe et le jeudi, le caté. « Oh, lala ! Qu’est-ce qui tombe ! » On avait vu déjà des ailes qui se décrochaient et puis on voyait plein de petits paquets blancs. On a dit : « Tiens ! Ils lâchent des tracts ! »
Mais non ! C’étaient les parachutes ! Et les avions ont tourné seuls ! Un est tombé derrière l’église de Paroy. Le deuxième, je ne sais plus où il est tombé…Cela a fait des flammes. Les Allemands sont arrivés le soir. Je ne suis pas allée voir l’avion. Ce n’étaient que des cendres.

Le lendemain matin, comme il manquait soi-disant un revolver, ils sont rentrés dans toutes les maisons et ils secouaient tout. Ils sont passés chez tous les gens. Ils ouvraient les placards … J’ai eu peur. J’étais couchée. Ma grand-mère m’a dit :
« Fais attention ! Voilà les Allemands qui… ! » Enfin, elle était polie. Elle ne disait pas les Boches. « Il y a les Allemands qui viennent perquisitionner. »

Alors moi, sous les draps, je me suis cachée et puis je ne bougeais pas. On était sous les draps. On avait peur ! Ils n’ont rien trouvé…et sont partis. Ils ne restaient pas !

L’arrivée des Américains et la Libération

L’arrivée des Américains signifiait la Libération ! On n’écoutait pas Radio Londres. A cette époque-là, on n’écoutait pas grand-chose. Nous avions une radio mais nous ne l’écoutions pas.

Il n’ y a pas eu d’exactions des Allemands. On allait au devant des Américains, voir les Américains ! Nous, on a été libéré par Patton. On a dit : « Ça, ce ne sont pas des casques allemands ! Voilà ! Ce sont les Américains ! »
Et une jeep qui est passée… C’est vite fait le tour de Paroy ! Ce ne sont pas ceux-là qui nous ont donné des bonbons. C’est plutôt après. La jeep venait peut-être en éclaireur. On a eu les bonbons avec les autres… Il est passé tout un régiment ! Là, c’était bien !
Voir un noir m’avait épatée. C’était la première fois qu’on voyait quelqu’un de couleur ! On n’avait jamais vu de gens de couleur. Les soldats avaient soif. Mon grand-père leur a donné du cidre à boire. Voir un noir avec sa grande bouche ! Une grande bouche rose !

On était heureux ! On avait plus peur des Allemands. « Tiens ! On peut se promener ! On a plus peur ! »
On était un peu cloîtrés. On avait peur…On n’était pas tranquilles ! Cela a alors cogné sur Paroy entre les Allemands et les Américains. Ça mitraillait ! Ils appelaient cela la « débandade. Le ciel était tout noir ce jour-là. Je ne sais pas d’où ça venait. Ils avaient tué un allemand et ils l’avaient laissé sur le bord de la route.
Pour nous la libération, c’était la liberté ! Parce qu’on était quand même au régime ! On avait des tickets de rationnement pour le pain, la viande et les textiles et des coupons d’achat pour les chaussures.

L’après-guerre
Les collèges n’existaient pas. Alors, on avait fini l’école à quatorze ans ! On aurait bien voulu aller plus loin aussi ! On aurait peut-être fait autre chose !
On finissait à quatorze ans, l’école, avec le Certificat d’Etudes. Comme je faisais partie d’une famille nombreuse, il a fallu que j’aille travailler comme personnel de maison…

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