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MEIGNEUX - j’ai rencontré mon mari en 1938 et je me suis mariée en 1944

Madame Lucille VERY née Cotelle née le 22 janvier 1922 à Meigneux.

mercredi 21 novembre 2007, par Frederic Praud

Mes parents étaient restaurateurs dans le bourg. Meigneux était un petit village de cultivateurs avec quatre ou cinq grandes fermes. Il y avait cent trente habitants. La clientèle de mes parents était diverse, des gens de passage et des cultivateurs. Au moment des moissons, les ouvriers des batteuses venaient pour boire un coup et parfois, pour des repas. Les gens qui venaient pour faire des travaux de peinture ou autre, demandaient s’ils pouvaient manger sur place.

J’avais neuf ans quand mes parents ont pris le café. J’ai suivi toute ma scolarité à Meigneux. J’y suis ensuite restée. Mes parents ont toujours habité Meigneux, mes filles sont la cinquième générations à vivre ici. Nous sommes vraiment du coin !

École

J’ai commencé l’école à cinq ans. J’ai eu onze instituteurs et institutrices différents jusqu’à ma dernière année, à treize ans. De jeunes instituteurs débutants étaient nommés. Mon premier instituteur était de Valence en Brie, il avait dix-neuf ans. On les faisait commencer tôt. On changeait au bout d’un an ou un an et demi.

L’école était une classe unique, tous les niveaux y étaient enseignés jusqu’au Certificat d’Etudes. Nous étions une vingtaine d’élèves, tout dépendait des années. Les plus grands faisaient la classe aux plus petits pour aider le maître.

On nous menait à la baguette ! Je n’ai pas fait trop de bêtises. Pour nous punir, l’instituteur utilisait une baguette en noisetier et nous tapait sur les doigts. Il fallait se taire et avoir du respect. On ne faisait pas ce que l’on voulait à l’école. On était très respectueux. Je n’ai jamais fait de bêtises parce qu’on était assez serrés. Les maîtres et les maîtresses étaient très gentils mais il fallait écouter. Quand ils nous disaient quelque chose, on devait répondre gentiment. Je ne regrette pas du tout.

Il n’y avait pas d’école privée dans le village.

Religion

J’allais au catéchisme tous les jeudis. J’avais été baptisée parce que mes parents étaient croyants. Moi, ça ne me dérangeait pas. La religion faisait partie du programme. Il fallait faire sa première communion. Nous étions interrogés par M. l’abbé, tous les jeudis.

Vision de l’Allemagne avant-guerre

Mon père avait été fait prisonnier en 1914. Il n’a jamais dit du mal des Allemands parce qu’il avait été très bien soigné. Il était resté dans une ferme dont les propriétaires étaient très gentils. On n’éprouvait pas de ressentiment particulier.

Ma grand-mère qui vivait avec nous avait eu un fils de tué, bien sûr, ça l’avait marquée mais elle ne critiquait pas. Elle avait six ans en 1870. Elle a vu des Hulans. Ils étaient trois, à cheval qu’ils abreuvaient dans une mare. Ils sont venus chez les arrières arrière-grands-parents pour demander de la soupe. Ma grand-mère s’en souvenait clairement, bien qu’elle n’ait eu que six ans à l’époque. Il y a des familles dans lesquelles on ne dit rien mais, ma grand-mère était assez ouverte, elle parlait.

Nos livres d’histoire parlaient de la guerre de 1914-1918 comme d’un épisode identique aux autres. Il n’y avait pas de haine.

Les jeux d’enfants, distractions

On jouait aux billes, à la marelle, à saute-mouton, à la corde, etc.

J’aimais lire et j’aime encore ça. J’ai beaucoup lu mais pas les petits romans à l’eau de rose. Il fallait que ce soit intéressant et attachant.

Mon père jouait du « bugue », un petit instrument rond. J’aurais bien aimé jouer du saxophone. Mon mari jouait de l’accordéon. J’ai toujours aimé la musique.

Rêve d’enfant

J’aurais bien aimé écrire. Faire un métier comme notaire ou quelque chose comme ça m’aurait plu.

Je n’avais jamais quitté Meigneux. Je suis allée à Paris pour la première fois vers neuf ans, en 1931. Je suis allée à l’Exposition Coloniale et je suis montée sur un chameau ! Le maître d’école nous y avait amenés. Nous étions tous les deux avec mon frère. C’était beau ! C’était quelque chose de magnifique et de merveilleux ! Le Palais d’Angkor…

Vie active

J’ai travaillé tout de suite après le Certificat d’Etudes. J’avais treize ans. Je travaillais au restaurant pour servir, porter, ranger. On faisait en plus épicerie et il fallait s’occuper des clients. Il fallait que je sois aimable avec eux. Je devais épingler tous les prix sur la marchandise. Finalement, on me laissait me débrouiller.

Dès avant le certificat et la fin de l’école, les enfants devaient aider au travail de la maison. Quand on avait besoin de nous, on ne nous demandait pas notre avis : « Tu vas ramasser les pommes, chercher les betteraves, tu vas faire ci, tu vas faire ça… » On ne disait pas : « Veux-tu ? » Ils n’avaient pas besoin de nous répéter deux fois la même chose. Nous avions l’habitude d’être commandé. Néanmoins, on ne peut pas dire que le travail était difficile. On nous épargnait les travaux les plus pénibles. Par exemple, si on allait ramasser des pommes, on ne nous faisait pas porter des sacs de cinquante kilos mais des paniers.

J’ai travaillé avec mes parents. Je n’ai pas quitté Meigneux.

Adolescence

Je n’avais pas de rêve particulier. Je n’allais pas au bal avant guerre, j’étais trop jeune. On ne nous laissait pas la bride sur le cou. J’avais des bons copains et copines mais ça n’allait pas plus loin.

Je n’aimais pas tellement le cinéma. Le cinéma était alors ambulant. Un monsieur venait avec sa machine. Il y avait deux cafés et un coup c’était chez l’un, un coup chez l’autre, à peu près tous les quinze jours. Il n’y avait pas de piano mais quelqu’un jouait du violon pour les beaux moments. Le premier film que j’ai vu s’intitulait « Ramona ».

Les bals du « Café de l’Agriculture » étaient tout à fait particuliers pour les tuberculeux ou autre… Ce n’était pas pour n’importe quoi.

Les garçons, rencontre avec mon mari

Au café, je voyais beaucoup de garçons. Je n’avais qu’à choisir. Finalement, je n’en ai pas pris un du coin. J’ai rencontré mon mari originaire de la Loire quand j’avais seize ans, en 1938. Il venait travailler dans la région mais ne restait pas quand même accroché au comptoir ! Il travaillait le bois, dans la charpenterie. Il faisait partie des grands gars venus travailler dans la forêt, dans une scierie ambulante.

La destinée nous a réunis. Je ne lui avais jamais parlé. Il est parti comme soldat et est revenu en 1942. Nous nous sommes mariés en 1944.

Le conflit

1939-1940

En septembre 1939, j’avais dix-sept ans, c’était la plus belle période de la vie. La déclaration a bousculé tout le monde.

Certains gars venaient et disaient : « Mon dieu, ça va mal, la guerre couve, etc. » Ces personnes faisaient une forme d’espionnage. Ils faisaient partie de la cinquième colonne. Ils amenaient les gens à avoir peur pour les pousser à partir sur la route. C’était incroyable ! Le représentant de la Samaritaine était officier allemand, il est revenu plus tard en uniforme allemand. Il avait balayé tout le coin et connaissait forcément tout.

Exode

Nous avons vu passer les colonnes de réfugiés du Nord, beaucoup de monde… Ils ramassaient beaucoup de choses sur leur chemin. Ils ont tout fichu en l’air, ces gens-là. Ma mère avait acheté sept chaises empaillées de couleur, chez les parents de Mme Auclair. Ils nous les ont piquées ! Ils ont aussi embarqué les tasses à café et tout ça…Ça faisait pleurer !

Nous n’avions pas de voiture. Un monsieur qui était contremaître dans les bois disposait d’un camion. Il nous a proposé de partir sur le camion pour je ne sais pas où ! Mes parents, grâce à l’épicerie, avaient un petit peu de ravitaillement. Ils avaient fait faire toutes les livraisons car ils sentaient que les choses se gâtaient. Ma mère avait mis du sucre, du sel, etc. dans une grande lessiveuse qu’elle avait prise dans le camion. De plus, ma grand-mère a fait une congestion cérébrale, la même journée ! Le docteur Rosenthal était mobilisé, il ne restait personne. Nous sommes partis le soir à neuf heures et demie, le 9 juin1940.

Mon frère, mon père et moi étions à bicyclette et nous sommes allés jusqu’à Montereau. Un jeune soldat présent nous disait : « Dépêchez-vous de passer parce que le pont va sauter. » Forcément, nous nous sommes dépêchés… J’ai perdu mon frère et mon père. Je suis restée avec une petite jeune fille, la fille d’un ouvrier de la scierie, Catherine. Nous sommes allées jusqu’à St Amant en Puiser dans la Nièvre, en vélo ! Nous étions un peu perdues sur la route, il y avait tellement de monde : les soldats, les gens, les chevaux, les voitures… C’était l’exode !

En plus, il y avait les bombardements ! Qu’est-ce que les Italiens nous ont mis dans la couenne ! Ils bombardaient comme ça. Il y avait des morts et des blessés. On n’avait ni faim, ni soif. Nous avons passé une journée au coin d’un bois alors que nous étions bombardés. Il y avait du monde sur la route.

Le temps que l’on arrive dans cette ferme, à St Amand Puiser, les propriétaires étaient déjà partis. Tout le monde s’en allait. Nous sommes installés à la ferme. Les bêtes étaient restées et nous nous en occupions. On trayait les vaches, on les nourrissait ainsi que les cochons. C’était affreux. Nous avons pris une chambre de charretier pour faire un lit à ma grand-mère qui ne se sentait pas bien du tout.

Nous n’avons revu mon père et mon frère que huit jours après. Ils étaient allés jusqu’en Corrèze. Nous sommes restées dans cette ferme une huitaine de jours jusqu’à ce que le plus gros passe. Ils ont bombardé Gien, les ponts…

En repartant, nous avons rencontré les Allemands. Ça faisait un drôle d’effet ! Ils nous ont mis dans des camps. Ils nous ont enfermés. Ils nous offraient du chocolat et des bonbons mais je n’en avais pas du tout envie. Nous sommes restés une journée enfermés. Nous avons pris le chemin du retour. Ma grand-mère n’a pas pu arriver jusqu’à Meigneux. Elle est morte sur le camion. Ce n’était pas drôle parce que l’on restait avec rien du tout. Maman était toute seule pour les obsèques.
A notre retour chez nous, tout était cassé, brisé… Comme on faisait épicerie, il y avait du cirage partout sur les murs. Du vin était renversé sur le comptoir. Tous les albums photos traînaient dans le vin. Ce n’était pas du pillage mais du vandalisme ! Voir ça nous a fait pleurer.

Quand on est revenu, les Allemands étaient là installés dans le village.

L’occupation

Quand nous sommes rentrés la plupart des Allemands sont partis mais vingt-trois sont quand même restés. La maison était grande mais ils nous avaient collés tous dans la même chambre. Nous ne mangions que quand ils avaient fini parce qu’ils occupaient la cuisine. Ils s’y préparaient à manger sur notre cuisinière. Nous avions le droit de nous en servir quand ils avaient fini de faire leur fête. Ils prenaient leur temps, chantaient,… On n’osait rien dire parce que si on l’avait ouvert, l’un d’eux aurait pu prendre son revolver. C’était arrivé alors que nous avions rouspété, un Allemand avait tiré dans le mur. Papa qui avait fait la guerre de 1914, lui a dit : « Ça ne se fait pas, j’ai fait la guerre de 1914 et je suis allé dans votre pays ! » La balle est restée dans le mur ! L’Allemand s’est quand même excusé mais s’il l’un d’entre nous avait reçu la balle, c’était pareil.

Mon père comprenait quelques mots d’allemand parce qu’il avait été prisonnier. Ils sont restés près de deux mois. Tous les midi, ils venaient chercher de l’eau chaude pour nettoyer leurs gamelles. On n’avait plus accès à l’eau du puits. Ils s’en servaient pour laver les pattes de leurs chevaux. J’ai attrapé les seaux et je leur ai fichu dans le nez, par-dessus le grillage.

On n’avait plus rien à manger. Ils ont pillé les jardins et toutes les récoltes. Nous n’avions plus rien du tout. Ils nous ont tout gâché. Au bout de deux mois, ils sont partis à Magny. On ne les a pas revus.

Nous avons eu un Autrichien un peu plus âgé, Karl. Il savait que nous n’avions rien. A chaque fois qu’il venait il demandait : « Braut (pour pain) » et je lui répondais que nous n’en avions pas. Tous les jours, à quatre heures, il venait avec un pain et un petit bidon de thé qu’il laissait. C’était un Autrichien assez sympathique. Il est parti en permission pendant une dizaine de jours. A son retour, il est venu nous dire bonjour et nous ramener un gâteau que sa femme avait fait. Il était très bon mais il avait peur que nous le jetions. Il en a donc coupé et mangé une part devant nous pour nous montrer que nous pouvions le manger sans crainte.

Les deux châteaux, de belles maisons bourgeoises, de Meigneux étaient occupées. Le drapeau était planté au-dessous. Il y avait une kommandantur et une caserne avec deux cents chevaux. Ils avaient coupé des arbres dans la forêt pour construire des enclos. Ils se sont servis.

Après 1941, les Allemands n’étaient plus là.

Mon frère n’a pas été mobilisé ni appelé au STO ; il était trop jeune. Il est né en 1924. Le maire, M. Delvas avait rayé le nom de certains jeunes pour qu’ils ne partent pas en Allemagne. Il avait fait la guerre de 1914.

A St Thibault, j’ai vu les Allemands tuer un jeune de vingt ans sur le trottoir, pour rien. Ils ne pensaient qu’à tuer. Leur méchanceté, c’était affreux. C’étaient des SS.

1944

A Meigneux, ils ont tué deux Allemands en 1944. Un a été tué net, l’autre avait une jambe cassée. C’était un lundi. Mon frère Marc ne travaillait pas parce qu’il était boucher charcutier chez M. Brabitz. Il était venu chez nous sur le coup de cinq heures pour chercher ses effets parce que nous lui gardions son linge. Cet événement s’est produit à cette heure-là. L’Allemand avait cherché à fuir vers la ferme de Bescherelle où il y avait deux cent cinquante Allemands. Il voulait aller prévenir les SS. Il est rentré dans le bois au moment où mon frère passait en vélo. Mon frère a fait demi-tour pour venir prévenir les FFI. Ce sont eux qui l’ont retrouvé grâce à mon frère. C’était au moment où les hommes de Donnemarie étaient enfermés dans les écoles.

La libération

Le 6 juin, c’était un mardi. Je partais faire la lessive. J’ai appris le débarquement par une voisine de maman qui m’a dit : « Ils sont arrivés ! »

Les Américains sont arrivés le 26 août dans l’après-midi. La femme du lieutenant major a couru avec un bouquet de dahlia pour les offrir à trois gars dans une jeep et elle les a embrassés. Tout le monde sortait, était content et tapait des mains. Il n’y a pas eu de fête particulière mais tout le monde était soulagé.

Mon mari s’est engagé comme soldat. Il est resté en zone libre et est revenu en 1942 pour travailler dans son entreprise. Les cinq ouvriers avaient des baraques de bois où ils faisaient leur cuisine et tout ça. Ils venaient juste boire un coup au café.

Nous nous sommes mariés le 13 novembre 1944. Il était encore soldat, il s’était engagé avec Delattre de Tassigny. Il est allé combattre à la poche de Royan avant de partir en Allemagne. Nous nous sommes mariés lors d’une de ses permissions. Il a fini en mai 1945. Ma fille est née en 1945.

L’organisation d’un mariage en 1944 n’était pas rigolote. Il fallait travailler pour avoir du blé, de la farine et avoir des amis pour obtenir des œufs, du beurre, etc. pour pouvoir avoir un gâteau chez le pâtissier, il fallait tout fournir. Il fallait se débrouiller ! Un de mes frères était dans la culture, il avait un peu de farine et des œufs ; l’autre était dans la boucherie a eu l’autorisation par son patron de prendre ce qu’il voulait dans la boutique pour mon mariage. Nous avons ainsi pu avoir un peu viande, un gâteau et nous avons fait du pain. Un copain de mon frère est venu jouer de l’accordéon. On s’est bien amusé quand même.

La libération nous a enlevé un poids. Cela signifiait aussi que nous allions pouvoir avoir plus de choses, des à-côtés. Nous ne trouvions plus d’étoffe, plus rien… Il fallait faire attention à tout même si nous étions à la campagne. Nous avions dû élever un cochon pour avoir un petit peu de viande et cultiver des légumes.

Le droit de vote, nous permettait de rattraper les hommes. En plus de la libération, les femmes commençaient à obtenir de nouveau droit. On n’était plus toujours en bas.

MESSAGE AUX JEUNES

Je souhaite à la jeunesse une vie heureuse. Il ne faut pas avoir de haine contre l’Allemagne, il faut s’entendre avec les Allemands. Nous, nos rancoeurs, on les garde mais qu’eux n’y pensent plus.

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