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DONNEMARIE-DONTILLY, adolescence sous l’occupation

MONSIEUR LIGNEAU

mardi 20 novembre 2007, par Frederic Praud

MONSIEUR LIGNEAU

Mes parents sont arrivés à Donnemarie le 22 mai 1928. J’avais 18 mois.

Enfance à Donnemarie

On ne jouait pas tellement. Nos parents étaient ouvriers. Il fallait que les enfants travaillent à la maison. L’été, nous devions aller glaner le blé dans les champs, ramasser les pommes de terre ou scier du bois pour le chauffage. On jouait aux billes avec les copains le long de l’Auxence, des jeux pas chers. A l’école, pendant la récréation, on jouait également au foot avec l’instit à Dontilly.

Donnemarie et Dontilly

Les jeunes de Donnemarie et de Dontilly ne se fréquentaient pas beaucoup. Dontilly était plutôt rural, avec dix-sept fermes, alors que Donnemarie faisait plus ville avec tous ses commerces. Donnemarie était le centre où les gens de Dontilly venaient en courses. Il y avait une rivalité entre les jeunes qui avaient 16-20 ans dans les années 1920-1935. Il y avait même des bagarres. L’Auxence marquait la séparation entre les deux communes. L’instituteur de Donnemarie de l’époque faisait une différence sociale. Il avait une préférence pour les fils de commerçants. Il parlait plus facilement avec eux.

Après avoir déménagé à Dontilly en 1942, je me suis éclaté à l’école. Je me sentais plus à l’aise avec les enfants d’agriculteurs ou d’ouvriers agricoles. Cette convivialité venait peut-être aussi de l’instituteur. Il y avait moins d’élèves qu’à Donnemarie où l’on constatait la séparation entre les enfants de commerçants et les autres. Nos mères, femmes d’ouvriers, se fréquentaient entre elles. Elles allaient en courses ensemble. Tout ça se répercutait sur les enfants. L’instituteur de Donnemarie ne faisait peut-être pas de différence marquée, mais nous enfants, nous ressentions cette différence. Du moins, c’est ce que moi je ressentais. A Dontilly, nous étions tous du même milieu.

Situation avant-guerre

Mon père était comme ses frères, charretier à la scierie locale, une grosse scierie qui employait quatre-vingts ouvriers. L’activité n’a pas diminué pendant la guerre. Après l’école, avant d’entrer en ferme, j’ai travaillé dans une petite usine où il y eut un différend avec le patron à cause d’une erreur dans le travail. Je suis donc entré à la scierie et j’y suis resté jusqu’à mon mariage.

Enfants, nous n’avions pas d’ambition particulière.

L’instituteur de Donnemarie nous a parlé des accords de Munich. On en parlait entre nous, mais je ne m’en souviens pas. Mon père n’a pas été mobilisé à la déclaration de guerre, il avait passé l’âge. Il était né en 1901. Ses deux frères non plus, car ils avaient sensiblement le même âge.
A la maison, pour la sortie du dimanche, aux beaux jours, nous allions voir mes grands-parents aux Ormes en vélo, avec mes parents. Il y avait 10 km. Nous n’avions pas de voiture, bien sûr.

Exode

Au moment de l’exode, nous avions pris le « tacot », le train de Donnemarie, jusqu’à Bray sur Seine et de là, nous avons marché. Nous sommes partis à Pont sur Yonne. C’étaient des défilés sur la route ! Mon petit frère, né en 1939, était encore jeune, bien sûr. Il fallait donc le transporter dans sa poussette. Il a appris à marcher dans le Tarn. De Pont sur Yonne, nous avons pris le train comme tous les réfugiés et nous avons atterri dans le Tarn, à Gaillac.

Les communes environnantes de Gaillac recherchaient pour les travaux des champs, des hommes connaissant le milieu agricole. Mon père fut affecté dans une petite exploitation dont le fermier était prisonnier. Un logement fut mis à notre disposition par l’agricultrice. C’était une ferme à Castanet. Il y avait également un petit vignoble dans l’exploitation.

Nous ne sommes rentrés qu’en octobre, une fois la guerre finie. Nous sommes restés trois mois. Nous sommes toujours en relation avec les enfants de ces gens-là. En fait, ce n’était pas les propriétaires mais des métayers, comme toutes ces petites exploitations. Au moment de la moisson, ils s’entraidaient les uns les autres. Ils organisaient des repas en commun. C’était grandiose ! Un peu la fête, malgré les événements extérieurs. Nous étions en zone libre. Une ligne de démarcation coupait la France en deux.

Je n’ai pas de souvenirs de l’arrivée des réfugiés, de passage à Donnemarie.

Occupation

Nous habitions rue du Gros Cailloux à Donnemarie, rue où je réside aujourd’hui. Je ne sais pas si il y avait des Allemands quand nous sommes rentrés d’exode. Pendant l’absence de leurs propriétaires, quelques maisons avaient eu la visite paraît-il, de réfugiés de passage, arrivés du nord ou de l’est de la France ???

Les cartes d’alimentation ont fait leur apparition. Mon père avait quitté la scierie et travaillait en ferme. On avait peu de blé. On le broyait avec le moulin à café pour faire du pain au four. Il fallait aussi cultiver le jardin.

Puis, nous avons habité la ville, le centre. Nous n’avions pas de cour, pas de jardin. De notre fenêtre, on voyait le drapeau de la Kommandantur, située dans l’ancienne maison de retraite.

A 14 ans, je suis allé travailler dans une petite usine à Dontilly (Ets Passeman). Il y avait peu de possibilités de continuer l’école. C’était systématique, il fallait travailler ! On donnait l’argent à nos parents qui nous redonnaient quatre sous le dimanche, pour aller au bal. D’ailleurs, si on avait une copine, on s’arrangeait pour ne pas payer l’entrée… de la copine !!!

Les Allemands étaient au château de Froidefond. Il n’y avait pas de pression. Je ne suis jamais allé voir ce qui s’y passait. On jouait surtout dans les quartiers, avec les copains. On allait un peu à la maraude, mais ce n’était pas du vol…

Vie sous l’occupation

J’ai quitté l’usine à cause des restrictions, pour aller travailler en ferme, car on y était mieux nourri. Je me suis retrouvé charretier, car il n’y avait pas de tracteur. J’ai du conduire des chevaux, chose que je n’avais jamais faite. J’ai appris. On allait ramasser les grosses pierres, échardonner avec un manche et une lame coupante au bout. Lors d’un accrochage avec le patron, je suis allé voir la patronne. Je lui ai dit de me faire mon compte et de me donner ma carte de pain. On trouvait du boulot facilement.

Je suis rentré à la maison. Je suis allé à la scierie et j’ai commencé à travailler le lendemain. Le travail me plaisait. Je suis devenu scieur sur des machines à ruban. C’était mieux rémunéré qu’en ferme. Mon père travaillant en ferme, il avait la possibilité de nous apporter de la nourriture (œufs, volailles, lapins etc.), en payant bien sûr. De plus, nous avions un jardin. On récoltait des haricots, des pommes de terre, des tomates, des salades etc. Nous avions un esprit ouvrier débrouillard. Côté pécuniaire, ce n’était pas la richesse à la maison, mais on était heureux.

Vers 12 ans, j’ai été enfant de cœur. Donnemarie comptait un orphelinat sur la route de Sigy, où se trouve aujourd’hui le presbytère. Cet orphelinat devait déjà être là depuis un moment. Le dimanche, les enfants qui y étaient accueillis venaient à la messe. Il n’y avait que des filles, toutes habillées pareilles, accompagnées des « sœurs ». Le curé était l’autre personnalité du pays après le maire. Le dimanche, l’église était pleine. Au milieu de la messe, on distribuait du pain béni dans une corbeille. Nous étions quatre ou cinq enfants de cœur.

On voyait passer des camions, des avions allemands. Il n’y avait pas de radio, ni de télévision. Ma mère était laveuse, comme d’autres femmes, et elle nous racontait les informations qu’elle « pêchait » au lavoir de la commune, sur les bords de l’Auxence. Il y avait bien une dizaine de lavoirs.

Les rapports familiaux étaient plus conviviaux. Mon père et ses frères s’entendaient bien, ainsi que leurs épouses, mes tantes.

On ne sortait pas à cause du couvre-feu. Les bals étaient interdits. On n’avait pas de vélo. Mon père en avait un, mais il avait des soucis pour trouver des pneus.

Prise d’otages à Donnemarie

Je pense avoir appris l’ordre des Allemands par des voisins. Ils avaient expliqué à ma mère que je devais y aller, car la limite d’âge était fixée à 14 ans. Je m’y suis rendu de moi-même, sur la place du Marché. On se retrouvait un peu avec des anciens copains d’école, des voisins, en un mot, avec les gens des deux communes. Les femmes nous ont apporté à manger. Je n’ai pas mal vécu cette situation. L’innocence, certainement… Quand nous nous sommes réveillés le surlendemain, le dimanche matin, il n’y avait plus de gardiens. Des Allemands militaires, bien sûr.

Pendant ces deux jours, on ne voyait pas tellement nos gardiens. On n’avait pas entendu parlé d’Oradour-sur-Glane. Sur le moment, nous les jeunes, on était insouciants. On se retrouvait entre copains de classe. On dormait dans l’école où j’allais étant écolier, ou dans des locaux adjacents. Mon père restait avec les gens de son âge et moi avec ceux du mien. On voyait par-dessus le mur des camions passer. « C’était la fuite. »

Dans les jours suivants, un après-midi après le départ des Allemands, sur la place du Marché, une remorque, un plateau de cultivateur avait été installé. Quelques femmes qui avaient eu des relations sexuelles, soi-disant avec les Allemands, ont eu les cheveux coupés à ras. Je n’ai pas tellement apprécié. Plus tard, je me suis demandé pourquoi on avait coupé les cheveux de ces femmes.
D’ailleurs, certains hommes prisonniers en Allemagne ont sûrement eu aussi des relations avec les femmes chez qui ils travaillaient (les fermières dont les maris étaient mobilisés dans l’armée). Paraît-il, je dis bien paraît-il, que quelques-uns ne sont jamais revenus, car certaines agricultrices devenues veuves ont accepté de faire vie commune !!! Le fait m’a plus choqué après que sur le moment. Je n’étais qu’un gamin.

L’arrivée des Américains, la Libération

Les Américains sont arrivés par la route de Montigny, peut-être l’après-midi. Il y eut ensuite des nuées de personnes sur le bord des routes, sur la devanture des portes, pour voir passer les camions américains, les jeeps.... Tout le monde était en liesse. Les Américains distribuaient des bonbons, des cigarettes. Il y avait des camps de stationnement où ils faisaient des poses. Il y en avait un où nous sommes allés avec nos pères, sur la route entre Sigy et Paroy. Lorsqu’il m’arrive de passer à cet endroit soixante ans après, je nous revois encore, entourés de la population environnante. Oui, c’était l’euphorie ! Cependant, nous venions de vivre quatre années d’occupation, de souffrance, de servitude, d’avilissement…

Le dimanche suivant, il y eut des fêtes de campagne. Il y en avait partout, à Sognolles, à Thénizy, même dans les hameaux les plus reculés. Je m’en souviens… !! Le jour de la fête à Donnemarie, il y eut trois bals à l’hôtel St Pierre, à La Comédie et une rotonde installée sur la place du Marché. Les mères accompagnaient leurs filles.

A la fin de la guerre, la vie a continué normalement, mais on se sentait moins opprimés. Les cartes d’alimentation ont disparu petit à petit.

Nous étions gamins, enfin jeunes ados. Nous attendions le dimanche pour aller traîner, aller danser. Evidemment, nous n’avions pas de voiture pour aller au bal à Longueville, à Savins, ou d’autres villages environnants. Avec un copain, Pierrot Loiseau, on allait au bal avec un seul vélo que l’on s’échangeait pendant le trajet. L’un prenait le vélo, roulait sur une distance de deux poteaux électriques, le déposait et l’autre le reprenait, puis le déposait à son tour deux poteaux plus loin, ceci jusqu’à destination. Les garçons et les filles venaient de Nangis, d’Echauboulains et d’ailleurs, en vélo également. Ils parcouraient 10 à 20 km.

L’hôtel St Pierre à Donnemarie était renommé pour ses bals, à plusieurs kilomètres à la ronde. Il y avait un orchestre dont tous les anciens se souviennent. Il y avait l’accordéoniste, Benjamin, et son batteur, Michel Gobinot, un copain d’école vivant toujours à Donnemarie. A l’époque, on ne dansait qu’avec deux musiciens. Quelquefois, l’épouse de l’accordéoniste chantait quelques airs. C’était sympa ! D’ailleurs, je vais toujours aux thés dansants et j’en organise pour des associations.

Concurrence…

On se mariait localement parce qu’on n’allait pas loin. Notre moyen de locomotion était toujours le vélo et j’en fais encore.

A Givoy le Chatel, il s’était créé une école d’apprentissage EDF. Des jeunes y venaient de toute la France. Le dimanche, ils sortaient en costume, flirtaient au bal avec les filles. D’ailleurs, des cousines de mon épouse se sont mariées avec des élèves de cette école, et bien d’autres. Ils étaient issus de familles plus aisées.

Les gars de l’armée Leclerc, de passage ou en stationnement à Donnemarie, flirtaient eux aussi avec les filles. Mais, cela ne nous touchait pas car ils étaient plus âgés que nous. Donc, c’étaient des filles d’une vingtaine d’années, d’un âge mûr ou en âge de se marier. Nous, nous étions trop jeunes pour elles. Nous avions seize ans et nous étions moins informés des choses de la vie que les jeunes d’aujourd’hui. Je me suis marié en 1950. J’ai connu ma femme en 1948 à un bal, à la Comédie. Elle n’habitait pas loin de chez nous, mais elle travaillait à Paris.

La vie après-guerre

Le côté relationnel est devenu plus fort entre les gens. Des usines se sont crées. C’était différent du travail à la ferme. Un camion effectuait un ramassage pour aller travailler dans une grande usine à Longueville, qui occupait environ 450 ouvriers. L’aspect relationnel s’est développé. Les gens étaient peut-être plus aisés. Les salaires étaient plus importants. Les changements de mentalités sont liés aux modifications des conditions de vie.

Mon père et mes oncles étaient charretiers. Ils allaient chercher le bois dans les forêts alentours, sur des coupes de bois que le patron achetait à l’Etat. Les trois frères partaient à 5 heures du matin avec des « fardiers », pour ramener des grumes (les billes de bois), des arbres ébranchés. Ils ne rentraient qu’en fin d’après-midi car les forêts étaient assez loin. Ils emmenaient leurs gamelles et mangeaient dans les bois, à côté du feu. Sur le chemin du retour, le long de la route, ils s’arrêtaient dans les bistrots pour boire un canon comme ils disaient, une chopine de vin. Les chevaux avaient soi-disant tellement l’habitude, qu’ils s’arrêtaient d’eux-mêmes devant les bistrots. C’est vrai que les bistrots après la guerre étaient pleins. Les gens jouaient à la belote. Ils avaient été tellement privés pendant la guerre.

Message aux jeunes

Chaque jour, à vélo ou à pieds, je vais dans les rues de ma bonne ville de Donnemarie, où je rencontre bien sûr des copains ou des copines d’enfance et de jeunesse. Et de quoi parle-t-on ? Que des choses d’avant…
Les jeunes sont-ils plus heureux que nous ?

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