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CHÂTENAY SUR SEINE sous l’occupation

Monsieur Pierre BOURGOIN né en 1929.

mardi 20 novembre 2007, par Frederic Praud

Monsieur Pierre BOURGOIN né en 1929.

Parents

Mes parents étaient agriculteurs en fermage. Ils louaient une ferme de soixante-dix, quatre-vingts hectares. La taille de cette ferme était alors considérée comme moyenne. Les gens travaillaient avec des chevaux, des charrues, des moissonneuses-lieuses, des brabants, des herses, etc. On faisait les foins, en tas, à la fourche.

Châtenay

L’activité principale du village de Châtenay était le travail de la terre. Les fermes étaient plus petites et les gens travaillaient en famille. Je suis d’une famille de deux enfants. Les fermes d’Egligny étaient un peu plus importantes, avec des ouvriers agricoles.

Je ne devais pas me lever trop tôt. Le premier travail était de donner à manger aux animaux : les vaches, les chevaux, etc. Il fallait traire : c’était la tâche de ma mère. On partait ensuite dans les champs jusqu’à midi pour planter ou récolter.

Nous avions l’eau à la pompe.

On jouait au calot, aux billes dans les rues sur le trottoir. Je jouais à chat perché à l’école.

Ecole

Mon école se trouvait au Châtenay sur Seine mais j’habitais dans le hameau à côté, au Plessis. J’ai suivi toute ma scolarité dans cette école. Je devais faire le trajet à pied, matin et soir. A midi, je mangeais chez ma grand-mère qui habitait le village.

L’école comprenait quatre classes : cours moyen première et deuxième année, cours supérieur première et deuxième années. La dernière année, on préparait le Certificat d’Etudes.

Comme tous les jeunes, on faisait quelques bêtises et on en était réprimandés. Par exemple, vers l’âge de douze ou treize ans, je fumais un peu en cachette. En apprenant cela le maître a fait tout un scandale.

Avant-guerre, les maîtres ne nous parlaient pas des Allemands. Mon père me parlait parfois de la guerre de 1914. Il m’a raconté son service militaire. J’avais l’impression qu’il avait vécu une aventure. Il n’y avait pas de ressentiment à l’égard des anciens ennemis.

Déclaration de guerre

Mon père a été rappelé trois mois à l’armée à la suite de la déclaration de guerre le premier septembre 1939. Il n’était pas sur le front mais était stationné à l’arrière, à Fontainebleau. Il s’occupait du ravitaillement. Il n’était pas jeune : quarante-trois ans. J’étais inquiet. Il n’y avait plus personne pour diriger la ferme, seulement ma mère. Je bricolais un peu sur la ferme.

1940, exode

Tout le monde avait peur des allemands quand ils sont arrivés . On disait qu’ils coupaient les poignets des hommes et les seins des femmes. Automatiquement, tout le monde voulait se sauver. Nous sommes alors partis en exode.

Les charrettes étaient les unes derrière les autres et formaient de véritables colonnes. Nous avons été mitraillés pendant un quart d’heure. C’est long ! Nous nous sommes cachés dans un champ de blé. Nous entendions les balles siffler…ça fait drôle ! On se faisait tout petit. Une bombe est tombée en plein milieu de la route où se trouvait un char tiré par six bœufs. Tout est tombé dans le trou ! Les branches volaient autour de nous.

En remontant la colonne sur des kilomètres, il y avait des chevaux morts, des blessés, des voitures sens dessus dessous…

Nous nous sommes dirigés vers Saint Agnan dans l’Yonne. Nous n’avons fait qu’une vingtaine de kilomètres. Les Allemands étaient devant nous ! Mon oncle avait amené son Lebel de la guerre de 1914 ! Il avait cela dans la charrette ! Il se croyait encore pendant la première guerre mondiale.

On couchait dehors : c’était au moins de juin.

Notre premier contact avec les Allemands s’est bien passé. Ils étaient gentils. Ils nous donnaient des biscuits et du chocolat.

Occupation

Avant de partir en exode, nous avions lâché tous les animaux comme tous les autres villageois. A notre retour, il a fallu les trier. Une seule personne, monsieur Benard, était restée chez elle. Il nourrissait les bêtes pour tout le monde. Il n’a vu qu’un Allemand passer et pourtant, tout le monde était parti.

Il n’était rien arrivé de grave à la ferme, à part deux trois bricoles disparues. Quand nous sommes rentrés d’exode c’est comme si nous retrouvions un peu de bazar à notre retour de vacances.

J’ai repris l’école normalement. Il n’y avait rien de spécial. Je n’ai finalement pas vu l’occupation. Il n’y a pas eu d’Allemands entre 1941 et 1944. Nos parents devaient quand même fournir des chevaux aux Allemands. On nous a aussi réquisitionné du blé mais nous n’avons pas eu de problème de nourriture.

Un train de munitions est resté stationné en gare de Châtenay pendant trois semaines. On avait toujours peur que les Américains s’amènent et mettent une bombe dessus.

J’ai eu le Certificat d’Etudes le 6 juin1942. J’avais eu treize ans au mois d’avril. L’école était alors terminée pour moi. Mes parents voulaient que je continue l’école mais pas moi. Ils m’ont mis au travail. Trois chevaux et au boulot ! Je ne savais pas ce que je voulais faire mais j’en avais assez d’aller à l’école. J’ai donc travaillé dans les champs du matin au soir. C’était tout à fait naturel. J’habitais encore chez mes parents.

Des gens des villes venaient se ravitailler chez monsieur Delomez. Il y avait un peu de tout sur cette ferme dont un moulin à farine. Les gens venaient à vélo mais il ne fallait pas qu’ils se fassent prendre… Quelqu’un venu s’approvisionner chez nous, s’est fait prendre mais il n’a jamais donné notre nom. Heureusement !
Des bals clandestins étaient organisés à Montigny-Lencoup et à Châtenay dans une ancienne ferme. Tous les jeunes se réunissaient pour danser. Il y avait un accordéoniste. Nous étions bien quarante ou cinquante. J’aimais bien danser et c’est là que j’ai fait mes premiers pas…

Résistance

Il y avait quelques FFI à Châtenay. Ils n’étaient pas corrects par rapport à la population. Ils passaient chez les gens pour prendre la voiture. Ils la prenaient pour se balader toute la journée avec et c’est tout… Ils ont essayé d’en piquer une à monsieur Vergne mais il a refusé. Il est allé se plaindre à la tête de la résistance à Montereau. Là-bas, on lui a confirmé qu’il n’y avait pas lieu qu’on lui prenne sa voiture.

Un parachute est tombé dans la plaine et je l’ai récupéré. Il y avait des caisses de munitions mais pas de fusil ! Je les ai planquées à la maison. Je me suis fait faire des chemisettes avec le parachute. C’était du beau tissu, de la soie. Beaucoup de gens faisaient comme moi dans la région.

Pendant la guerre, un Polonais, Pawlis, allait chercher du ravitaillement à Montereau pour alimenter les deux épiceries, avec son cheval et sa charrette. Il se débrouillait pas mal avec les Allemands parce qu’il parlait leur langue. Les fameux FFI l’ont pris pour un collaborateur. A la fin de la guerre, Ils l’ont enfermé à la mairie avec un fusil dans le dos comme s’il était un bandit. Cet événement m’a marqué parce que c’était une véritable injustice ! Il s’en est heureusement sorti.

Les Américains, la libération

Nous avons été libérés en août 1944. Les Allemands sont partis la veille au soir de l’arrivée des Américains. Le soir, à Châtenay, ils avaient installé une mitrailleuse à chaque fenêtre qui donnait sur la route. Tout le monde tremblait. Le lendemain matin, ils étaient tous partis., Les Américains sont arrivés de partout dans le milieu de la matinée. Je les ai vus arriver à pied à travers champs. Ils avaient, bien sûr, également des chars et des voitures.

Les Leclerc sont venus s’installer à Châtenay en revenant d’Allemagne après la guerre. Ils sont restés au moins trois mois. Tout le monde les logeait. Nous, nous en avions deux. L’un d’entre eux était un vrai coureur. Il cavalait les femmes. On avait une voiture qui n’avait pas roulé depuis la guerre. Il l’avait remise en route et il se baladait dedans ! C’était un sacré !

Il y eut un mariage dans le coin avec un gars de Leclerc.

Après-guerre

J’ai rencontré ma femme (madame Schwock) au bal des Polonais à Egligny. Ils organisaient un bal tous les ans. Je me suis marié à vingt-et-un ans, en 1950.

Les outils de la ferme ont beaucoup évolué après la guerre. Les tracteurs ont commencé à arriver. Le travail s’est rapidement modernisé.

J’ai travaillé dans l’agriculture jusqu’à vingt-huit ans. J’ai laissé tomber parce que cela commençait à péricliter. Je suis ensuite rentré à l’imprimerie nationale dans le quinzième arrondissement où j’ai travaillé un peu sur tout. Nous nous sommes installés à Paris dans le quatorzième.

Message aux jeunes

Il y a eu beaucoup d’évolutions par rapport aux temps de notre jeunesse. C’est un vrai mieux. Mais, il ne faut pas qu’ils prennent trop de liberté et qu’ils fassent n’importe quoi. Je préfère les voir comme aujourd’hui plutôt que de travailler très jeunes comme nous mais ils doivent se mettre dans la tête qu’il faut travailler pour vivre.

Nos trois enfants ont réussi grâce à mon travail. D’eux-mêmes, nos enfants voulaient poursuivre leurs études. Mon fils a voulu devenir imprimeur. Il travaille maintenant au Parisien. Nos deux filles sont comptables. J’espère qu’il en ira de même pour nos petits-enfants. C’est que nous leur souhaitons.

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