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Sarcelles : Jerôme.G né en 1985

Parmi mes amis, j’étais ni français, ni marocain, ni allemand. J’avais trop de mélange

Ma famille serrait la vis. Merci beaucoup…

lundi 28 juin 2010, par Frederic Praud

Jérôme G.

Je suis né en 1985, à Soisy, mes deux parents sont français nés en France. Mon père est né en 1958. Il est d’origine allemande et ma mère d’origine marocaine. Ils ne sont pas des immigrés, par contre mes grands-parents, eux sont arrivés en France il y a quelques années… je connais le parcours de mes grands–parents.

Des origines allemandes

Les parents de mon grand-père sont venus en France en 1933 à l’arrivée d’Hitler au pouvoir. Mon grand-père avait huit ans à l’époque et il est en France depuis.

Du côté maternel ma grand-mère et son mari sont venus en France dans les années 50 pour des raisons de travail. Mon grand–père est venu en France par la suite, lorsque le mari de ma grand-mère est mort. Il a dû venir en France pour le remplacer, pour quelle raison je ne sais pas, mais il est venu aider ma grand-mère et ils se sont mariés. Il est venu en France en 1957, et ma mère est née en 1962.

Mes deux parents sont nés en région parisienne. Ma mère est née à Clichy et mon père à Puteaux dans le 92. Mes grands-parents maternels sont arrivés à Sarcelles à la construction. Ils étaient à Clichy jusqu’en dans les années 56-57.

Nos grands-parents nous racontaient leurs histoires sans que l’on pose de questions. Ils nous en parlent de temps en temps, donc on retient. On nous a rapidement expliqué tout cela dès que l’on a eu l’âge de comprendre ce qui se passait, parce que j’ai accès à mes grands-parents. J’ai encore mes deux grand-mères, mes deux grands-pères sont morts il n’y a pas longtemps. On les a vus tout le temps pendant toutes ces années. L’une des familles habite à Sarcelles, c’était assez facile. J’ai eu la chance que l’on m’en parle sans que j’aie à poser de questions. Même mes meilleurs amis ont leurs grands-parents, c’est peut-être pour ça que je ne me suis pas posé de questions. Ma mère est partie accoucher à Soisy mais on habitait déjà à Sarcelles.

Munich

Mes grands-parents habitaient Munich en Allemagne. J’ai encore de la famille là-bas. Toute ma famille n’est pas venue en France. Mon grand-père avait huit ans lorsqu’il est venu ici, il ne s’en rappelle pas beaucoup mais d’après ce que j’ai compris mes grands-parents sont partis quand il y a eu l’élection d’Hitler en 1933. Ils n’étaient ni juifs, ni communistes. Ils ont eu peur ou ils n’ont pas voulu, je n’en sais rien. Mon arrière-grand-père, le premier qui a porté notre nom, avait beaucoup d’argent en Allemagne ; il a tout perdu… les raisons, je n’ai jamais su ! Ses enfants sont venus en France.

Une mère marocaine

Je suis allé à Taroudant, la ville de ma mère dans le sud marocain. C’était un village au temps de mes arrière-grands-parents et c’est maintenant devenu une grande ville. Je connais ma famille là-bas. J’y étais un peu l’enfant-roi, parce que ma mère était la première fille de mon grand-père et moi j’étais le premier petit-enfant de la famille ; j’étais le premier fils de sa première fille. En plus un garçon !... j’étais reçu avec les honneurs, les trompettes, le tapis rouge !

J’ai remonté aussi jusqu’à la quatrième génération du côté maternel. Mon arrière grand–père n’était pas marocain. Il était africain du Sud, c’était un esclave. Il a réussi à s’enfuir, chose rare, et il est venu au Maroc où il s’est installé à Taroudant, à l’époque un village. Il a rencontré mon arrière-grand-mère là-bas. C’était un noir.

Taroudant au sud du Maroc

Ce n’est pas une ville touristique du tout. Cela a dû faire bizarre dans l’entourage mais quand on est petit ce n’est pas le genre de chose à laquelle on prête attention. On des Européens parce que l’on est habillé à l’européenne, mais on ne paraît pas comme des étrangers. Le Maroc avec la France, c’est un peu particulier. J’ai senti que l’on était plus les bienvenus qu’autre chose. La plupart, même à Taroudant où il n’y a pas de touristes, parle français. Je leur parlais de la France, mais pas de Sarcelles. A l’étranger, je suis français, et en France, je suis sarcellois.

Le métissage

J’avais un statut particulier, j’étais un des seuls blancs dans mon entourage. Parmi mes amis, j’étais ni français, ni marocain, ni allemand. J’avais trop de mélange d’un coup, ce qui fait que c’était un peu particulier. J’ai toujours été un mélange de plusieurs cultures, mais je n’ai jamais été vu ni comme un métis, ni comme un Français, ni vu comme un blanc, je ne sais pas.

Dans mon cas, la couleur joue aussi, puisque ma mère est assez foncée, mon père est blond aux yeux bleus. Mon père, c’est le stéréotype de l’Allemand grand, blond aux yeux bleus et ma mère est foncée, les cheveux crépus. Mais le métissage c’est d’abord le métissage des cultures avant le métissage des couleurs.

Sarcelles avant ma naissance

Je suis l’aîné. Je suis né en 1985 et je n’ai qu’un petit frère. Mes grands-parents m’ont raconté comme dans beaucoup de familles. Sarcelles, c’était des champs, il n’y avait rien. A cette époque, c’était la grande barre dans l’allée Pierre Koenig. C’était l’une des premières et il n’y avait que des champs autour… ça a poussé jusqu’à devenir ce que c’est aujourd’hui. On me racontait qu’il y avait encore des vergers à l’époque. Je suis un Sarcellois de la troisième génération. Je n’en sais pas beaucoup plus.

La famille me parle français

A l’école je n’étais pas le seul blanc… je n’étais pas une espèce en voie de disparition. J’étais le seul blanc parmi mes amis, mais ma grand-mère, Marocaine, connaissait toutes les mères de tous mes potes. Même dans mon esprit, j’étais moitié-moitié. On a toujours parlé français des deux côtés de ma famille, ni allemand, ni arabe. J’ai pris espagnol à l’école, parce qu’à Anatole France il n’y avait pas allemand.

La réputation de Sarcelles

J’ai fait pas mal de « colo », et dire que l’on arrive de Sarcelles désamorce les choses… ça calme tout le monde ! Lorsque l’on on est enfant même en « colo », il y a des embrouilles. Il y a toujours des gens pour dire : « moi je suis de là, moi je suis de là et toi tu viens d’où ? - Je viens de Sarcelles - ah ! ». Ça calme parce que ça fait peur, pourtant je ne suis pas très impressionnant physiquement.

Un même quartier, trois appellations

Quand j’étais petit, j’étais à la Secte. En fait j’habitais à Coop, mais comme ma grand-mère a toujours habité à la Secte, j’y étais tout le temps ; tout le temps à la Secte ! Après j’ai habité à plein d’endroits, mais j’étais tout le temps à la Secte, quel que soit l’endroit où j’habitais.

Je suis tout à fait conscient que je suis en train de définir les quartiers par rapport aux noms des groupes, mais pour moi, la bande d’immeubles tout le long du stade, c’est la Secte. Ça s’appelle comme ça, enfin, on l’appelle comme ça… Personne n’appelle ce quartier « quartier Koenig » ! On ne l’a jamais appelé comme ça. J’ai toujours dit la Secte, ma mère disait secteur Abdoulaye ; ma grand-mère disait : « j’habite avenue Koenig. ». A l’époque de ma mère, c’était la secte Abdoulaye, ou le secteur A.
Quartier et repères

J’ai habité à Coop jusqu’à l’âge de quatre ans avant d’habiter à Garges. Ma grand-mère a toujours habité à Sarcelles et je suis toujours allé à Anatole France, donc j’ai toujours été là. J’allais dormir à Garges. Mon quartier c’était la Secte. Coop, ça n’a jamais été mon quartier. Coop j’y ai habité, comme Garges. Mon quartier reste la Secte. Lorsque l’on sortait d’Anatole France, on avait juste une rue à faire.

C4, c’est autre chose. Il y a le C4, la secte Abdoulaye, la Coop, et Came city. Came city c’est là où j’habite maintenant. C’est un peu les arrondissements de Sarcelles.

Le groupe et la bande

Je n’ai pas traîné dans les halls parce que j’étais en groupe tant que l’on était en primaire. Après le primaire, quand on est entré au collège, le groupe était devenu pour mes amis une bande, au sens où l’on fait des conneries et pas forcément des conneries gentilles ; à ce moment là, à dix, onze ans, quand en arrivant en sixième, je suis sorti du groupe. Ce n’était plus moi.

Les halls

Ma famille serrait la vis. Merci beaucoup… On m’a dit : fini ! Je les connaissais quand même, et je les connais toujours. Comme ma grand-mère est toujours là, je suis souvent encore du côté du nouvel Anatole France. Je suis dans la grande bande, où il y a les immenses bâtiments de dix étages. Dans ce quartier là, c’était traîner dans les halls, et ça ne se passait pas bien. Cela ne se passe pas toujours bien avec les gens qui traînent dans les halls ; certains halls sont squattés, et je dis ce mot consciemment !

Ma grand-mère habite dans un porche, et à côté, le porche est toujours cassé, délabré, explosé ! Il n’y a jamais une vitre dans ce hall ! C’est toujours pété parce que les gens n’interviennent pas ; donc c’est graphé… tagué… retagué ! Les caves, c’est plein de pisse ! Chez nous, c’est squatté ! Dans notre bâtiment, des gens ont essayé de squatter. Ça a duré deux semaines parce les flics étaient là tout le temps et ne laissaient pas faire.

Squatter pour nous, c’était rester tranquille dans le hall ; ce que j’ai pu faire, mais pendant pas longtemps parce que ça ne me plaisait pas. Quand les gens se battaient dans les halls, ça cassait tout le temps. On cassait des vitres, on cassait des portes pour entrer dans les halls, quand on n’y arrivait pas, c’était coups de pied dans la porte et ça s’ouvrait ! C’était tout le temps délabré.

La came, les armes

Il y avait du trafic de drogue. Aujourd’hui ça a ralenti. On a retrouvé des armes même au collège Anatole France ! Les toilettes étaient un endroit de deal. C’était protégé par des cloisons. C’était fait de telle façon que c’était fait exprès ! Les dalles en polystyrène s’enlevaient pour y cacher des choses. C’était du trafic. Des choses que j’ai vues, mais que je n’ai pas connues personnellement.

Beaucoup de jeunes de mon âge sont en prison. De mes potes, ils n’en restent pas beaucoup. C’est pour ça que je suis content de ne pas avoir traîné dans les rues. Il reste trois amis, les autres sont soit en prison, certains se sont camés, un ou deux sont morts, mais pour diverses raisons.

Où sont passées les filles ?

Tant que je ne sortais pas de Sarcelles, je ne voyais pas de filles. Ça n’existait pas les filles ! Tant que j’ai été dans ce quartier, j’ai eu l’impression que les filles n’existaient pas ! Elles ne descendaient pas dans la rue. Et quand elles descendaient dans la rue, c’était avec leur mère ou avec leur père. Comme on avait beaucoup de grands frères, il n’y avait pas de filles ! Pas de filles !

Les filles, on les voyait à l’école. On était ensemble en plus. On avait un groupe mixte, mais sorties de l’école on ne les voyait plus. Toutes ces années à la Secte, on les a croisées, mais on ne leur a jamais parlé. Autant tous les clichés que l’on peut avoir à la télé c’est : « il faut qu’elles sortent voilées », chez nous ça n’existait pas ! Par contre quand on en voyait une, on avait du respect, dans le sens où il n’y en a pas un qui aurait osé siffler, osé draguer. On avait ce respect-là, dans le sens où c’était toujours la sœur de quelqu’un, mais du coup il n’y a eu aucune intégration, aucune mixité dans ce quartier à l’époque où j’y étais. Il y en a un petit peu plus maintenant, j’ai l’impression. C’est une nouvelle génération, ce n’est plus la nôtre.

Grand frère

Notre génération n’est plus au quartier. Mais nous sommes déjà derrière les petits frères des autres, en leur disant de ne pas refaire les mêmes conneries. Certains sont déjà allés en maison de redressement. Ils ont douze, treize ans. On dit aux gamins : « ne refaites pas les mêmes conneries. Vous avez votre frère en prison, votre frère qui est mort, votre frère camé ou alcoolique. Ne faites pas les mêmes conneries ! Vous êtes en train de faire la même chose ! ». Même nous on est sur les petits frères des autres.

La Prison banalisée

La prison est banalisée. Je connais même des gens, une personne en l’occurrence, pas du tout un ami à moi, mais avec qui j’ai eu des conversations fréquemment, je ne l’ai pas vu depuis très longtemps, mais il m’a dit un jour : « Je suis mieux en prison que dehors ». Cette personne là quand elle sortait de prison, faisait des délits pour pouvoir y retourner. Elle me l’a dit textuellement ! C’est un cas.

La prison a été banalisée. Ce n’est pas normal que dans cette ville tous les jeunes connaissent des gens en prison ! Aller en prison ça peut paraître bien ! C’est le paradoxe. C’est devenu tellement banal que ça devient limite une preuve que l’on a fait quelque chose, que l’on n’a pas réussi parce que l’on est allé en prison ! En ce sens, on s’est fait attraper, on n’a pas réussi son coup, mais on est allé en prison, et pour des gens qui veulent faire les caïds, ça fait bien ! La prison ce n’est pas quelque chose de normal, puisqu’on nous exclut de la société. On nous met dans une cage, donc ce n’est pas normal. C’est comme ça. Il y a un problème. Ce n’est pas l’école. C’est quelque chose de très compliqué. C’est quelque chose que l’on voit. Ce ne sont pas des gens anormaux qui vont en prison, mais la situation, elle, est anormale.

Il n’y a pas de suivi et quand on quitte l’école, soit on arrive à se débrouiller tout seul, soit on a pris suffisamment de recul pour dire : « J’ai quitté l’école, il faut que j’aille bosser et que je ne traine pas » ; mais quand on traîne, on ne va pas traîner toute la journée, il y a des choses faciles à faire. L’argent facile, c’est celui qui mène en prison !

Ici dire à n’importe qui : « j’ai été en prison » est une carte visite. C’est très bon… c’est comme ça ! C’est une bonne chose au quartier. Après, c’est une mauvaise chose dans la vie. On dit : « surtout n’y allez pas ! », mais par contre quand on revient de prison ça a une certaine crédibilité, ce n’est pas contestable. Personne ne dit : « Oh la ! La ! Tu as été en prison ce n’est pas bien ! ». Lorsqu’on est petit, on ne sait pas ce que veut dire la prison, et puis, quand on fait une connerie, on ne pense pas se faire attraper sinon on ne la ferait pas ! Si on savait que l’on allait se faire attraper, personne ne ferait des conneries. Dans l’esprit des gens, c’est « je vais faire un braquage, je vais le réussir ! ».

Message aux jeunes et aux anciens

Réussis ! Par tous les moyens possibles, mais réussir c’est le meilleur moyen de prouver. Ce n’est pas notre ville qui définit ce que l’on est, c’est ce que l’on fait. Ce sont nos choix. Alors réussis.

Les anciens ont un grand rôle à jouer ! Si on avait plus de contacts avec cette génération, ça ne se passerait pas de la même façon, parce qu’ils ont plein de choses à nous apporter et c’est pour ça que notre génération, surtout celle qui arrive, manque de repères. Elle n’a pas ces contacts-là. Si on les avait, ça serait peut-être différent.

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