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Sacelles : Vanessa Foli née en 1982

Les seuls moments où je me suis sentie vraiment française c’est justement à l’étranger

Beaucoup de conseillers d’orientation ne poussent pas les jeunes à être ambitieux,

mercredi 30 juin 2010, par Frederic Praud

Ma tante a fait une demande de permis international. Elle est allé à la préfecture, la personne en face d’elle, ne lui a même pas dit bonjour et lui a dit « pour les régularisations, c’est le jeudi » ! Quand il y a des choses comme ça qui arrivent, on est un peu miné au bout d’un moment. Des trucs comme ça arrivent encore.

Vanessa Foli

Je suis née à Sarcelles en 1982 pas dans le quartier d’Alexis Carel mais à l’hôpital nord Parisien. Au début j’habitais place Jean Charcot avec ma mère et ma grand-mère puis depuis l’âge de cinq, six ans, au 1 rue Jean Philippe Rameau. Ma mère vient du Cameroun et mon père du Benin.

Ma grand-mère institutrice puis infirmière

Je sais que ma grand-mère maternelle était institutrice au Cameroun. Elle est venue ensuite en France pour exercer la même profession, mais elle n’a pas pu à cause de la couleur de sa peau. Elle a donc choisi une autre voie. Elle a entrepris des études d’infirmière pour faire ce métier jusqu’à sa retraite, il y a une quinzaine d’années. Elle a voulu exercer la même profession en France mais ils n’ont pas voulu d’elle parce qu’elle était noire. Elle est arrivée dans les années 60. Elle a connu des difficultés à cause du racisme, même dans ses études d’infirmière. Elle a eu six enfants. Elle est venue en France sans les trois premiers. Elle les a fait venir et trois autres sont nés en France. Ma grand-mère est venue avec mon grand-père mais il est reparti seul. Elle est finalement restée seule avec les six enfants.

L’exemple des femmes, l’absence du père

Mes parents se sont séparés quand j’étais petite. Mon père, né en 1948, vient du Bénin. Il a fait une partie de ses études à Dakar pour venir en France terminer ses études de psychologie. Ils se sont installés d’abord à Bordeaux, avant de venir à Paris, à Garges, et ensuite à Sarcelles. J’imagine que c’est par rapport à son lieu de travail. Je ne me suis jamais posé la question.

Ma mère et moi avons vécu chez ma grand-mère. Ma mère a suivi une formation en opératrice de saisie. Elles travaillaient toutes les deux et mon père essayait de me voir aussi souvent que possible. J’allais en vacances avec lui, il payait une pension. J’ai toujours vu ma mère et ma grand-mère travailler. Mon père est parti définitivement vers 1985-1986. Je crois qu’il a fait partie d’un gouvernement au Cameroun comme haut-fonctionnaire, et je n’ai plus jamais entendu parler de lui ; enfin une fois de temps en temps, mais il ne fait pas partie de ma vie. Je l’ai vue une fois quand j’étais très jeune, quand j’étais là-bas. J’avais à peine un an la dernière fois que j’y suis allée.

Comme mes parents étaient séparés, ma mère n’avait pas la même manière de faire. Elle était plus explosive. Si je faisais une bêtise, c’était la fessée. Mon père, à cause de sa profession était plus discussion « Pourquoi t’as fait ça, qu’est-ce qui t’as pris ». A un point que j’aurais préféré recevoir une fessée plutôt que de subir ses examens psychologiques. La fessée, c’est plus radical, c’est plus rapide, on n’en parle plus. Ils avaient tous les deux une sorte d’autorité, mais c’était exprimé de manière différente.

Ma grand-mère a eu un grand rôle dans mon éducation étant donné qu’au début de ma vie, j’ai vécu chez elle ; d’ailleurs je n’habite toujours pas loin. C’est la mamie gâteau qui dit toujours oui, mais quand elle s’énervait ça voulait dire que c’était vraiment grave. Je ne l’ai pas vu beaucoup s’énerver contre moi depuis que je la connais.

Cameroun et Bénin, les pays d’origine que je ne connais pas

Que ce soit le Cameroun ou le Bénin, je les connais à peine. Tout ce que je sais de mes deux pays d’origine, c’est ce qu’en disent mes parents. J’ai le projet d’y aller l’année prochaine pour savoir d’où je viens. En plus mon père tient à ce que je connaisse ce côté de ma famille.

Le Cameroun, c’est un plus compliqué, dans la mesure où il y a mon grand-père mais je ne le connais pas ; on n’est plus très lié à cette partie de la famille. Je n’allais pas en vacances au pays comme d’autres, l’été. Quand on allait en vacances on allait le voir. Quand j’étais plus petite, il n’avait pas encore terminé ses études et il n’avait pas beaucoup d’argent, donc envisager un voyage aussi lointain, était un peu trop cher. Petite, je n’y suis pas allée pour ça. Ma mère est d’ethnie bassa et mon père, je ne sais pas. On ne peut pas regretter quelque chose que l’on n’a pas connu. Je ne vivais pas suffisamment avec lui pour qu’il me parle… Il me parlait français.

Ma mère me parlait aussi français. Ma mère parle Bassa avec ma grand-mère quand elles ne veulent pas que l’on comprenne, donc au final je ne parle ni bassa ni nan, mes sœurs non plus. Mon père m’a dit que l’instruction était très importante. Ils ont tous été à l’école et parlaient couramment la langue française. Au Bénin ils étaient d’une caste assez élevée. Au pays, il dit que je suis une Française.

Culture et religion

Mon père a été élevé dans la religion catholique ; dans la mesure où mes parents se sont séparés quand j’étais jeune, j’ai été élevé dans une culture protestante. Ma grand-mère est protestante évangélique. J’ai donc été élevé dans cette culture là. Le problème de mon éventuel mariage ne se poserait pas dans les termes de savoir si l’on peut avoir tel ou tel partenaire. Ma grand-mère, comme tous les parents, souhaite que ses enfants marient quelqu’un de leur ethnie. J’imagine qu’elle a espéré ça pour ses enfants au début et puis après elle s’est faite une raison, dans la mesure où j’ai deux oncles avec des Françaises blanches.

Ma mère s’est mariée récemment avec un Béninois. Je ne pense pas qu’il y ait de barrière ; par contre je crois qu’ils tilteraient si je leur présentais un Musulman. Je ne me suis jamais posé la question. On est très francisé, mais la cuisine par exemple, est l’un des aspects de la culture camerounaise que je connais le mieux ; la langue, non. On allait dans une église évangélique à Villiers le Bel, avec toutes les origines du monde. Je n’allais pas dans une église camerounaise. Je n’ai jamais participé à des associations d’aide à mes pays d’origine, non jamais.

Il y a quelques mois ma mère et son mari sont partis au Bénin. Ils ne sont pas partis les mains vides. Moi-même si j’allais demain au Cameroun ou au Bénin, il ne me viendrait même pas à l’esprit de venir comme une touriste lambda. Ce n’est pas possible. Je sais que ma grand-mère partait avec quelque chose à chaque fois qu’elle y allait. J’imagine qu’elle aide les gens de sa famille qui lui restent là-bas.

Je n’ai jamais participé à un projet de grande envergure comme financer une église. En tous cas, je n’en ai pas entendu parler. Je sais que ma grand-mère fait partie d’une association de femmes camerounaises. Je ne connais pas exactement leurs statuts. Je vois qu’elles se réunissent, qu’elles mangent, qu’elles font du bruit une fois par mois. Elle y participait de manière active, donc parfois avec des réunions chez elle. C’est un réseau de sociabilité qui s’étend non seulement à Sarcelles mais à toute la région parisienne.

Souvenirs d’enfance

Mes souvenirs d’enfances sont surtout en rapport avec l’école Marius Delpech juste à côté de chez ma grand-mère. Comme je suis la fille ainée, que j’étais la première fille de ma mère, et la première petite fille de ma grand-mère, je crois avoir été l’une des enfants les plus photographiées. Ça fait que j’ai des tonnes d’albums de moi enfant. Le premier enfant, on essaye toujours de le réussir. Même encore aujourd’hui, comme je suis l’aînée, c’est inconscient, j’essaye de ne pas donner le mauvais exemple à mes sœurs, mes cousins.

L’enfance à Sarcelles c’est l’école, le centre aéré. J’ai beaucoup fréquenté le centre aéré des Sablons bien avant qu’il ne soit remplacé par l’IUT. Je me souviens qu’immanquablement ma mère me disait « ne te salis pas » et qu’immanquablement je rentrais couverte de boue. Les dimanches, chez ma grand-mère, le samedi après midi l’église à Villiers le Bel, l’enseignement biblique…

J’étais la seule enfant de la famille, jusqu’à mes six ans. Mes cousins habitaient beaucoup plus loin. Je ne sortais pas énormément. J’allais à l’école. Même au collège je rentrais directement. Si je voulais aller avec des copines quelque part, il fallait que je prévienne, à la limite que j’écrive une lettre de motivation ! C’est à partir du lycée que ma mère m’a laissée un peu tranquille. Je n’ai pas vécu ça comme si j’étais en prison, mais je vis encore aujourd’hui chez ma mère. J’ai toujours le réflexe de téléphoner si je rentre tard ou si je ne rentre pas. Ça m’arrivait d’aller aux fêtes des copains. Ma mère avait un emploi d’animatrice à la première maison de quartier des Vignes Blanches et j’imagine que ça permettait de garder un œil sur nous.

Il y avait pas mal d’activités pour les ados, des sorties étaient organisées, en 1996-97 à l’âge de treize, quatorze ans. J’aime bien la compagnie des gens, j’aime beaucoup être seule aussi. J’aime beaucoup la lecture, le cinéma. J’habite la Tour. Ma mère m’avait fait faire du judo pendant tout le collège. Mes mercredis après-midi et mes samedis après midi étaient occupés par le judo. Donc forcément je ne voyais pas le reste. C’était école, judo, dodo.

Violence au lycée

En 1998, j’étais au lycée à Rousseau. Je me souviens vaguement qu’à cette époque il y avait eu une fête à Villiers le Bel et des gars de Sarcelles étaient venus habillés. Ils avaient mis le bordel dans cette fête. Par la suite les gens de Villiers venaient devant les gens de Rousseau. Quelqu’un s’est fait tiré dessus. Pas à balle réelle parce que la mode était aux pistolets à billes. Un lycéen s’est pris des billes dans l’œil. On a dû les lui enlever et là ils ont commencé à installer un système de carte, en guise de protection. On ne pouvait plus sortir aussi librement…. pendant un certain temps, on ne pouvait plus sortir durant les intercours.

La mode

J’ai eu l’impression que les marques n’étaient pas aussi importantes qu’aujourd’hui. Au collège j’étais habillée comme une clocharde.

Identité et racisme

Les seuls moments où je me suis sentie vraiment française c’est justement à l’étranger. A chaque fois que je vais à l’étranger, je peux faire valoir mon statut de française, à cause de l’accent. Mais quand je suis en France, j’ai toujours l’impression de ne pas être à ma place.

Quand j’étais à la fac, il y avait une prof d’histoire. Je lui avais rendu un devoir en retard, et je ne sais pas ce qu’elle s’était mise dans la tête :
« Peut-être que vous avez des difficultés, à comprendre le français…
  Pardon ?
  Vous êtes arrivée, il n’y a pas longtemps ? … »
D’accord, je vais rendre le devoir dans une semaine, laissons la croire… Je ne me suis pas mis en colère, mais après je me suis dit : « qu’est-ce que ça veut dire ? ». Même des réflexions du genre « Ah mais vous parlez bien le français dis donc ! » ça veut dire que le français c’est ma deuxième langue ! Non ! Je suis née en France. J’y ai vécu toute ma vie. J’ai à peine mis un pied au Cameroun et je n’ai jamais mis un pied au Bénin. Je me sens française, mais les gens ne me voient pas française, sans doute à cause de la couleur de ma peau. Ils voient une Africaine, quand ils m’entendent parler, c’est comme si je faisais un tour de magie ou un truc comme ça !

Quand je vais dans une autre ville, en dehors de la région parisienne, je ne me sens vraiment pas à ma place. Il m’est arrivé de passer mes vacances dans des trous perdus. Les habitants n’avaient peut-être jamais vu de noirs de leur vie ; à Hyères dans le sud de la France, je me sentais seule au monde ! Dans certains endroits en France, j’ai l’impression d’être regardée comme une bête curieuse ! Tandis que quand je suis à Sarcelles voire à Paris, c’est normal. Je suis moi, et à Sarcelles c’est pareil, je suis moi.

Ma tante est bac plus je ne sais pas combien. Elle est docteur en pharmacie, elle a lutté pour trouver. Elle a dû aller ailleurs qu’en France pour trouver du travail. Sinon, c’est tout le temps la même chose, quand on met le CV sur internet : « c’est génial, venez tout de suite, amenez votre RIB ! ». Une fois que vous êtes là-bas, c’est dommage le poste a été pourvu. Dès qu’ils te voient ! Comme je suis d’un naturel idéaliste, je me disais : « mais non ! Ça n’existe plus ce genre de truc ! ». C’est cruel mais ça existe bien. Certains domaines sont encore très fermés et il ne faut même pas essayer de s’y aventurer.

Ma tante a fait une demande de permis international. Elle est allé à la préfecture, la personne en face d’elle, ne lui a même pas dit bonjour et lui a dit « pour les régularisations, c’est le jeudi » ! Quand il y a des choses comme ça qui arrivent, on est un peu miné au bout d’un moment. Des trucs comme ça arrivent encore.

Avenir

J’ai fait une licence d’histoire. Je n’ai pas terminé ma maîtrise. J’aurais dû la prendre à la rentrée. Il y a eu un petit malentendu et je ne suis pas retournée à l’université. Je suis donc en année sabbatique, je reprendrai peut-être à l’autre rentrée, mais je ne sais pas encore. Je réfléchis encore à ce que je vais faire. C’est vrai qu’il y a des barrières, mais en même temps, j’ai toujours fait mes choix comme si il n’y en avait pas.

Ma mère quand j’étais au lycée a beaucoup tenu à ce que fasse sciences médico-sociales, en vue d’être infirmière. Finalement je me suis inscrite à l’université alors qu’elle ne le voulait pas, et je n’ai pas fait infirmière. J’ai donc franchi cette barrière. Après, j’ai mené avec plus ou moins de bonheur mes études universitaires. Je ne me suis jamais sentie arrêtée par quoi que ce soit. Maintenant je réfléchis entre différentes voies.

Message aux jeunes

Je suis d’un naturel optimiste donc j’espère que ça ira de mieux en mieux. J’aimerais bien que l’on dise aux jeunes que rien n’est impossible, qu’ils peuvent faire ce qu’ils veulent. C’est ce que j’essaye de montrer à mes petites sœurs et à mon petit frère même si la réalité est plus cruelle.

Je me souviens au collège des conseillers d’orientation. Tout le monde a eu des expériences plus ou moins malheureuses avec les conseillers d’orientation. Vous dites à certains : « moi je veux faire ça », et puis, directement ils vous disent : « ah non je sens que ça ce n’est pas pour toi ». Leur constat ne part pas de nos capacités. J’ai eu des amis, l’un était arabe et a dit qu’il voulait être peintre, pas peintre en bâtiment, donc la conseillère d’orientation lui a indiqué des formations BEP etc.… Beaucoup de conseillers d’orientation ne poussent pas les jeunes à être ambitieux, à vouloir mieux pour leur vie. Ce n’est pas la couleur de la peau, mais aussi l’origine sarcelloise.

J’aimerais que l’on dise, aux jeunes d’aujourd’hui : « même si ce n’est pas facile, battez vous pour vos rêves ! Vous avez envie d’être président de la république, et bien faites tout pour le devenir et ne croyez pas un petit Nicolas qui dit que parce vous êtes né à tel endroit, vous ne pourrez jamais faire plus que cela ! ».

L’âme de Sarcelles

L’âme de Sarcelles c’est les Flanades ou plutôt le marché. Comme je vis à Sarcelles, je ne lui trouvais rien d’extraordinaire. Le marché pour moi est une sorte de torture, parce que quand j’y allais avec ma mère, elle restait dix minutes à un étal pour choisir un tee-shirt et en plus elle ne trouvait même pas à l’acheter ! C’est un lieu où l’on peut rencontrer tout le monde. Ça se situe là parce que c’est un lieu de rencontre où l’on peut voir même des gens d’ailleurs… Le marché représente Sarcelles. C’est le monde entier, avec différentes saveurs, couleurs. Non, il n’y a pas d’autre lieu aussi évocateur. Le village, c’est le Sarcelles des personnes âgées.

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