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Sarcelles : Malik né en 1985

j’ai arrêté l’école à dix-sept ans, j’ai commencé à travailler et à être autonome au même âge

Au collège, on était tombé dans le vice. On organisait des combats de Bouledogues

lundi 5 juillet 2010, par Frederic Praud

Michel a commencé à travailler quand j’avais à peine six ou sept ans. Aujourd’hui j’en ai vingt-et-uns donc cela fait une dizaine d’années qu’il travaille avec les jeunes. Il fait toujours la même chose : s’occuper des petits, faire de la musique. On ne reprochera jamais rien à Michel. Avant plusieurs animateurs sont passés pour faire du chant, il y avait M. Robert. Les anciens du quartier Saint-Saëns animaient, ils ont la trentaine à présent.

MALIK

Je suis né en 1985 à Sarcelles. J’habite place Saint-Saëns. On est toujours resté là. J’ai quatre sœurs et cinq frères. Je suis le cadet, le deuxième des garçons. Mes parents sont arrivés du Mali dans les années 70, je n’étais pas encore né. Ils sont venus ensemble en France.

Mon enfance à Sarcelles

Pour moi, un vrai souvenir, c’est quand j’avais six ou sept ans. A l’époque, j’étais sur Saint-Saëns, on trouvait des terrains en plein air, et tout ce qu’il fallait : des commerces, des tabacs, des boucheries ; maintenant ils ont tout boycotté. Le préfabriqué devait servir un mois ou deux mois d’école, et il est là depuis plus de quinze ans ! Plein de souvenirs de cette période ont disparu. On avait la pelouse. On trouvait tout ce qu’il fallait : le commerce, l’épicerie, la boulangerie, le ballon. On jouait tranquillement. On ne rencontrait pas de problèmes de discrimination comme c’est le cas aujourd’hui.

Avec l’âge, j’ai eu plus de problèmes. Quand j’étais petit, je ne comprenais rien à tout cela. A six ou sept ans, j’avais déjà vu des choses horribles : des coups de feu, des tirs, des cadavres, des reconstitutions, etc. Ça se passait comme cela en 1990. C’était chaud Sarcelles à cette époque ! J’avais cinq ou six ans, je jouais, et je voyais des gens courir de partout avec des couteaux, avec des flingues, la police sortir de tous les côtés… Un gamin c’est curieux. Il assiste à cela, il se croit dans un film. Il joue avec son ballon, il ne comprend rien. Il voit du monde, la police, il y a de la bagarre. Soit le petit va regarder, soit sa mère va lui dire de rentrer à la maison. Mais c’est dur quand même.

Les parents étaient inquiets pour leurs enfants, surtout leurs mômes, quoi ! Après c’est chacun sa poire ! Ils n’avaient pas trop le choix. Ils ne pouvaient pas intervenir. Vous voyez souvent des mères descendre, séparer de grands adolescents de vingt-sept ou vingt-huit ans, en train de se chiffonner. Elles prennent leurs enfants, les mettent à l’abri, et regardent la bagarre. C’est tout ce que les parents ont la possibilité de faire, ils ne peuvent rien faire d’autre.

Le foot

J’ai fait du foot très jeune. On voulait jouer sur de vrais terrains, avoir des vrais buts. Pas mettre nos lignes, deux poteaux, et hop ! On voulait avoir des buts fixés, passer du bon temps, quoi ! Cela pour éviter aussi de sombrer dans la délinquance ou dans d’autres choses, qui font que si tu ne t’occupes pas, tu plonges !

J’étais jeune quand j’ai commencé le foot. Mon frère a commencé à six ans, moi à huit ans, et j’ai arrêté à quinze ou seize ans. Il a vingt ans et continue toujours. C’était plus un passe-temps pour se changer les idées. Puis, quand tu es gamin, tu prends souvent la tête à tes parents pour qu’ils t’inscrivent au foot. C’était dur pour mes parents, mais ils l’ont quand même fait. En plus, ce n’était pas trop cher. Ma famille avait droit aux allocations familiales pour les familles nombreuses. On recevait aussi des bons sportifs de la CAF pour nous aider à financer nos inscriptions. S’il n’y avait pas eu tout cela, je n’aurais jamais fait de foot. Je serais là à ne rien faire.

A part le foot, il y avait la bagarre. Quand tu es petit, tu regardes le foot à la télé, tu te dis : « Je veux être comme lui. » En banlieue c’est plus le football ! Après, certains veulent se différencier. Il y en a, c’est le rugby, d’autres, le karaté. Normalement c’est plus le foot et la boxe. Aux Chardo, c’est Georges qui entraîne.

Avant l’adolescence, j’ai rêvé d’être dessinateur, puis footballeur. Après, plus tu grandis, plus tu penses à d’autres trucs. Mais c’était plutôt le dessin et le foot qui m’intéressaient. J’aimais le dessin, mais maintenant c’est fini. Si on ne faisait pas du foot, on traînait dehors, on achetait des petites glaces, des friandises. Quand j’étais petit j’aimais bien aller partout. Je me rendais aux Sablons, à Pierrefitte. J’allais un peu partout, même aux Rosiers.

Saint-Saëns ou la stigmatisation d’un quartier

On est isolé, on est mis de côté. Le maire vient parfois à des inaugurations. Je n’ai pas réponse à tout. Je ne suis qu’un jeune, et pas diplômé. Je dis ce que je pense. Ça fait vingt-et-un ans que j’habite ici, et voilà… A Saint-Saëns, il n’y a aucune évolution. Il faut que ça change, sinon la génération suivante sera encore égarée. C’est pour cela que je remercie des animateurs tels que Abdel, Michel, etc. Ils font beaucoup de choses pour ces jeunes-là. Mais je n’ai pas vu beaucoup d’animateurs comme eux. Avec le peu de moyens qu’ils ont, avec la place qu’ils occupent, il faudrait au moins qu’ils soient considérés au niveau de la mairie. Je leur tire mon chapeau !

Il faut voir comment agit le maire ! Il fait du blablabla. Au moment de sa campagne électorale, il s’est pris des bouteilles sur lui, quand il est passé à côté de chez nous. On était témoin de cela, on avait huit ou dix ans. Ce sont d’autres jeunes plus âgés que nous, qui ont fait ça. Nous, on n’avait rien avoir dedans. Il ne faut pas qu’il sanctionne tout le monde, qu’il nous mette tous dans le même sac ! Mais les maires agissent toujours ainsi.

Par exemple, le gymnase Camus a été rénové et dès qu’il pleut, il y a des fuites partout ! Ils n’ont même pas essayé de faire de petites tribunes ou de l’aménager ! J’y ai travaillé deux semaines en tant que vacataire avec les petits du quartier. Franchement, je n’ai pas aimé ça ! Il faut voir parfois dans quelles conditions ils nous mettent ! C’est vrai que le parquet a été refait, mais les murs sont toujours pareils ! Ils ont juste passé une couche de peinture. Le toit aussi n’a pas été rénové. Ils ont juste changé les lumières et le parquet, alors que normalement tout devait être refait ! Je sais que c’est cher. La nouvelle maison de quartier qu’ils ont faite, est soi-disant la meilleure structure du Val-d’Oise. Vous avez vu les escaliers ? Ça ne tient même pas debout ! Cela fait à peine deux mois que ça a été fait ! Ce sont des petits détails comme cela qui font que l’on en a marre.

Sarcelles rattrapée par sa réputation

En 1995, l’ambiance était chaude encore, maintenant ça s’est calmé. Mais dans les années 1994, il y a eu le décès d’un ancien du quartier, puis la reconstitution par la police. C’est au moment où Passy a été soupçonné de complicité de meurtre. Tout cela s’est passé dans le quartier, juste en face de chez moi. Ce jour-là j’étais présent. J’étais tout jeune encore. A neuf ans, tu vois des tonnes de flics, des meurtriers, etc. ça te marque à vie ! Après, en 1995-1996, ça a commencé à se calmer. Il y avait plus d’histoires de violence « légères » que de meurtres. Tout cela gênait un peu les gens. Certaines personnes ressentent toujours de la haine en eux. D’ailleurs c’est toujours difficile quand tu perds un proche.

La faute des profs

Au collège, on était tombé dans le vice. On se charriait entre nous en cours. On organisait des combats de Bouledogues. Des trucs de gamins, quoi ! Les profs appelaient ma mère pour me calmer. Dès qu’elle venait, les choses rentraient dans l’ordre. J’avais vraiment du mal à me tenir, arrivé à un certain âge. On peut t’apprendre un truc, mais encore faut-il le vouloir ! Il ne faut pas qu’un prof soit dans la classe uniquement pour nous apprendre son truc, sans nous intéresser. Etre immobile, écrire, sans nous motiver.

Le problème dans les établissements scolaires, c’est que les profs n’essaient pas toujours d’avoir un bon contact avec les élèves. Il faut qu’ils essaient d’avoir un meilleur contact avec les élèves, même s’il s’agit d’un perturbateur. Il faut savoir pourquoi il ne se sent pas bien, et essayer de discuter. Certains profs sont là pour t’enseigner quelque chose, d’autres en ont complètement rien à foutre ! Ils sont là, ils savent qu’ils vont avoir leur paie à la fin du mois, ils se disent : « De toute façon, si t’es bête, tu resteras bête ! ». Certains ne te donnent pas ta chance, te démotivent. « De toute façon t’es con ! Tu n’y arriveras jamais ! ». Au lieu de te pousser, de t’aider. Mais tous les profs ne réagissent pas ainsi.

On avait quelques cours de soutien scolaire, en maths et en français. Mais, il fallait voir les profs… C’était à la maison de quartier ou dans les associations. Après, c’est vrai qu’il fallait avoir envie d’y aller, et être motivé.

La débrouille dans les quartiers

C’est le vice de la rue qui te fait quitter l’école. Puis, quand tu vois tes parents qui touchent un salaire de misère, tu préfères à coup sûr être autonome ! Moi j’ai arrêté l’école à dix-sept ans, j’ai commencé à travailler et à être autonome au même âge. Quand ta mère est toute seule, que son mari est décédé, et qu’elle est veuve, il faut montrer que t’es un homme ! Il faut arrêter tes conneries. Il faut mettre un peu d’argent de côté et travailler.

Les gens qui prennent le mauvais chemin peuvent le faire pour suivre leurs potes ou pour flamber aussi. Ici, chacun reste dans son coin. C’est rare que les gens des différents quartiers se mélangent. A Saint-Saëns et Sablons, les gens se connaissent depuis plus longtemps, et se mélangent. Certains étaient même à l’école ensemble.

Quand j’étais à la SEGPA, tous les jeunes venaient des Sablons, même ceux qui suivaient le parcours général, d’autres venaient des Lochères. Saint-Saëns et Sablons sont quand même bien unis, malgré les histoires qu’il y a eu dans le passé. Ça a concerné toutes les générations. Par exemple ceux de ma génération ne s’entendent pas avec ceux des Lochères. Il y a sept ans dans un festival Hip-hop, quelqu’un est décédé. La situation a dégénéré. C’était un ami d’enfance. Quand tu sais que cet ami voulait se ranger et travailler pour sa famille, ça fait mal au cœur. Des petits détails comme cela peuvent te changer mentalement. Il ne faisait de mal à personne ! C’est pour cela que certains dérivent, par rapport à beaucoup de faits semblables, et aussi à cause de leur entourage. Puis, Sarcelles est l’une des villes les plus pauvres de France, avec Garges, Pierrefitte et Stains…

Une lueur d’espoir envolée

Toutes les villes que j’ai citées sont toutes côte à côte. Alors voir un espoir naître un jour dans ces villes et ces cités, ça semble dur ! Il faut que les jeunes en veulent, et les mairies aussi. On nous bassine pour aller voter. Le maire sait qu’il y a peu de personnes qui votent pour lui à Saint-Saëns donc il nous laisse de côté. Et je fais partie de ce côté ! Tandis qu’à Lochères, ils sont en train de tout rénover. Tous les bâtiments sont remis à neuf. Ils nous ont boycottés au fur et à mesure. C’est ce qui se passe.

On était tranquille, on jouait sur notre pelouse. Puis, on a grandi, et maintenant il n’y a plus de boucherie, plus de tabac… Il reste encore la laverie et la boulangerie. Elle appartenait à une personne, puis elle a fermé, et quelqu’un d’autre s’y est installé. Ensuite, plus de pelouse, et ils ont construit le préfabriqué ! Ils ont dit : « On laisse le préfabriqué seulement deux mois. Ne vous inquiétez pas, c’est juste en attendant qu’ils rénovent Jean Mermoz, et puis on le détruira ». Ça fait des années que Jean Mermoz a été refait, et le préfabriqué est toujours là ! Il nous sert de maison de quartier. Vous trouvez cela normal ? Avant c’était une pelouse ! On faisait nos gamelles, on faisait les fous, on se cachait, on jouait au foot. On y trouvait une boucherie. C’était vraiment royal ! Quand je vois cela maintenant…

Quand ils ont détruit l’ancienne structure, on s’est dit : « Bien ! On va avoir une nouvelle structure pour nous. C’est bon, les jeunes… ». Ils ont embauché des anciens du quartier pour animer les lieux. Au final ça a servi à quoi ? Aux associations pour recevoir des gens de l’extérieur… C’est bien beau ! C’est vrai qu’ils ont mis de l’argent mais quand les décideurs ont choisi de construire la structure, on s’est dit « c’est pour la maison de quartier ». C’était pour nous. Maintenant au moins ça sert aux animateurs, et heureusement !

Michel a commencé à travailler quand j’avais à peine six ou sept ans. Aujourd’hui j’en ai vingt-et-uns donc cela fait une dizaine d’années qu’il travaille avec les jeunes. Il fait toujours la même chose : s’occuper des petits, faire de la musique. On ne reprochera jamais rien à Michel. Avant plusieurs animateurs sont passés pour faire du chant, il y avait M. Robert. Les anciens du quartier Saint-Saëns animaient, ils ont la trentaine à présent. Mais maintenant ils ne sont plus là. Ils mettaient la pression aux directeurs, même au maire. Maintenant les choses ont changé, il n’y a plus cette pression. A Watteau, ils rénovent... Ça doit faire un an qu’ils ont de nouveaux baby-foot. Pendant cinq ou six ans, ils ont gardé le même baby-foot. Le matériel, ils ne sont même pas foutus de mettre de la puissance quatre ! Il date de cinq ou six ans. Ce sont des bonnes conditions de travail pour des jeunes, des enfants ! Puis, ils ont mis le préfabriqué sur un parking. Il était sur un parking !

Pour notre génération ? Il ne nous faut rien. Si, ce serait bien d’aller voir dans les maisons de quartier s’ils manquent un peu d’effectifs, et essayer de recruter sur place du personnel, ne pas aller chercher des personnes ailleurs.

Une population marginalisée

Je bosse en ce moment. Après la troisième, j’ai continué jusqu’au lycée. J’étais à Foch et Charles Baudelaire. Je préparais un BEP Vente. J’avais choisi cette voie, et puis c’était à la mode aussi. Arrivé en quatrième, on te demande ce que tu veux faire dans la vie. Maintenant, dès qu’ils rencontrent certains types d’élèves, ils les réorientent tout de suite. Ils choisissent à ta place, et retournent le cerveau de tes parents ! La plupart des parents qu’ils recevaient, venaient d’Afrique et ne parlaient pas très bien le français. Donc ils faisaient comprendre aux parents que c’était ce qu’il fallait pour leur fils. Alors qu’au contraire, ce n’était pas du tout ce qui lui convenait ! Les parents voyaient une dame bien élevée, alors ils pensaient qu’elle avait raison. Pour certains cas, comme le mien par exemple, cela se déroulait ainsi. On choisissait pour toi, et à ta place ! « Tu n’as le choix qu’entre BEP Vente et Chaudronnerie. Vu ton niveau, peut-être qu’il est trop technique. Il faut voir aussi s’ils vont accepter, vu tes notes ou ton dossier. » Ou bien « Non, monsieur, il faut faire cela ! ». Et, toi tu n’as pas envie de redoubler la troisième, tu as déjà fait pas mal de classes donc c’est bon, ça suffit !

Je suis arrivé en sixième, et je me suis retrouvé avec des personnes qui avaient deux ou trois ans de moins que moi. J’ai connu presque toutes les générations d’Evariste Gallois, ainsi que tout le personnel d’établissement et l’administration. Je sais comment ça fonctionne, même si maintenant cela a évolué. D’ailleurs, je vais chercher les bulletins de mes petits-frères et de mes petites-sœurs qui se trouvent dans l’établissement. Je les aide tous dans les matières où j’étais bon, comme en anglais. Ils viennent me voir. Même si cela fait deux ou trois ans que j’ai arrêté l’école, il n’y a pas de problèmes.

Mon grand frère a atteint un certain niveau. Il possède quand même un Bac plus deux. Maintenant, il est à la faculté donc il peut les aider. Moi je n’ai rien, je n’ai pas de bagage ! J’ai quelques connaissances… Après, chacun suit son chemin. Ma sœur a obtenu son BTS et mon frère aussi. Voilà ! Ils habitent toujours ici. On est soudé, on traîne encore ensemble. J’espère que plus tard, ils trouveront leur voie, et qu’ils seront bien. Après ça se passe comme cela, on ne peut pas choisir son destin.

Un avenir sombre

Maintenant que Sarkozy est passé, ça va encore être plus dur pour nous. Je ne sais pas, il n’y a pas de solution. Chacun sa voie. C’est vrai que des organisations comme la Mission Locale sont bien. Des structures pareilles aident quelques personnes. Après, c’est en fonction aussi de ce que tu veux faire. On peut faire des choses dans tout Sarcelles, et pas uniquement dans certains secteurs de la ville. Sarcelles comprend Saint-Saëns, le Village, Les Rosiers-Chantepie, les Lochères, etc. J’ai le sentiment qu’ils préfèrent nous emprisonner, nous boycotter, au lieu de donner la chance à quelques jeunes qui veulent s’en sortir. C’est vrai qu’il y a des cons partout, des gens qui déconnent… S’ils essayaient d’aller dans les bandes rencontrer ceux qui sont prêts à faire quelque chose. Et, ceux qui ne veulent pas, laissez-les ! Pourquoi mettre tout le monde dans le même sac ? Ces jeunes en difficulté ne crient pas à l’aide parce qu’ils sentent que s’ils le font la situation risque d’empirer.

Je travaille partout. Parfois, je vais à Garges, à Roissy, Saint-Brice, dans beaucoup d’autres villes que Sarcelles. Maintenant, je suis dans la préparation de commandes : de la gestion de stocks pour des magasins situés dans toute la France. J’ai trouvé ce poste par intérim, j’ai bossé deux ans et demi en intérim, à Roissy. C’est bien quand tu es jeune, et que tu veux te faire un peu d’argent, mais après tu recherches plutôt la stabilité.

Beaucoup de jeunes ont un emploi à Roissy, mais il faut avoir un casier propre. Après, on peut toujours envoyer une lettre au préfet, mais il faut avoir deux ou trois connaissances. Parfois, s’ils regardent ton casier, que ça fait trois ou quatre ans que tu n’as rien fait, et que tu es blanc comme neige, on peut te faire confiance. Le rapport entre les flics et les banlieusards ne va jamais évoluer, même dans les années à venir, et surtout avec l’élection de Sarkozy. Dans d’autres villes du Val-d’Oise, certains flics ont fait la fête quand ils ont appris que Sarkozy était président !
Etre respecté

Dans un sens, c’est vrai que certaines personnes se font arracher leur sac. Que tu sois black ou blanc c’est pareil ! Pour certains trucs, je suis d’accord, mais il y a des points où je suis vraiment opposé avec lui. Parfois, on est là, on ne fait de mal à personne, et les flics cherchent la petite bête ! Je prends tout cela très mal. Ils nous voient, et nous prennent pour des trafiquants ! Les vrais trafiquants vont devant eux, et si ça se trouve, ils ne font rien pour les arrêter ! Ils s’amusent à attraper des petits jeunes, déjà en difficultés ! De plus ça ne se passe pas bien dans leur famille, s’ils font des conneries c’est par nécessité ! Au lieu de chercher des grands qui commettent de nombreux délits ! S’ils étaient carrés dans leurs contrôles, il y aurait moins de bavures, d’échauffourées ! Quand ils viennent, ils doivent commencer par nous vouvoyer, en disant « Monsieur » !

J’ai déjà été placé en garde à vue, et certains flics sont bien. Ils font leur boulot, tranquille. Mais pour certains je ne sais pas pour qui ils se prennent ! Ils sont là avec leurs insignes, mais sans cela ils ne sont rien ! Je préfère un petit bonhomme avec son insigne, qui se poste devant moi, joue au petit malin, mais qui au moins assume ce qu’il fait. Mais non ! Les flics se présentent devant toi, ils font les gros-bras, tandis que quand ils sont en civil on ne dirait même pas des flics ! Je n’ai jamais vu de police de proximité !

Pendant la coupe du monde 1998, on montait sur les voitures, on pétait tout. Il y avait de la bagarre. C’était le bordel. Des cabines téléphoniques étaient pétées. Je n’étais pas sur Paris, je me trouvais à Sarcelles. Je suis allé à Paname qu’à partir de quinze ans. J’ai pris d’ailleurs pour la première fois le train.

Sarcelles j’y ai passé mon enfance à jouer, c’est ma ville. Mais il n’y pas vraiment de bons moments sauf les fêtes de quartier. J’aimais bien pendant les fêtes de quartier à Saint-Saëns, voir les enfants et les parents, tous contents. Ils sont réunis, et chacun amène un plat différent. Avant tous les quartiers se rencontraient aux tournois de foot. C’étaient des bons moments !

Certaines personnes n’aiment pas se mélanger, et restent dans leur communauté. Je ne sais pas si ça vient de leur religion ou leur culture. Faut se mélanger pour éviter des problèmes de racisme. On doit se mélanger ! Je n’ai rien contre le fait que les gens veulent rester entre eux, mais… Je suis pour tout. Quand ils font leur fête, ils en ont le droit. C’est tranquille ! Pas besoin de déplacer quatre ou cinq cars de CRS. Pendant la nuit, il n’y a même pas une voiture de CRS, rien du tout ! Surtout pendant une fête religieuse, c’est la fête, personne ne va venir t’embêter ! On passe là-bas, la route est barrée parce que c’est la fête, tant pis ! Je respecte les fêtes de tout le monde. Pourquoi cinq ou six camions de CRS ? Il ne va rien arriver, on n’est pas en Palestine ou au Moyen-Orient, quand même ! C’est à ce niveau-là qu’il y a du favoritisme, du moins pour certains.

Sinon dans mon quartier, on est mis de côté par rapport à un endroit comme Les Lochères où il y a tout ce qu’il faut. Nous sommes délaissés. Je me rends parfois au village, je vais à la salle André Malraux. J’aime bien y aller quand des fêtes sont organisées. D’ailleurs j’allais au collège là-bas. En fin d’année, il y avait du Break – la danse – etc. Quelques fois, nos petites sœurs dansaient, et une dame ne voulait pas que l’on aille les regarder donc on venait foutre le bordel. Son mari est docteur. Il est bien placé dans l’administration. C’est le médecin attitré de la ville. Il s’occupe des rappels pour les vaccins. Elle était là, et elle disait : « Si tu rentres, ta sœur ne danse pas ! Je suis venu pour l’encourager. Si je viens, elle ne pourra pas danser ? ».

Sarcelles, un chantier à construire ensemble

Je ne suis jamais allé en colonie, ni nulle part ailleurs. Je restais uniquement à Sarcelles. A l’époque c’était huit ou neuf cents francs. Pour certaine personne ce n’était pas donné ! Donc les jeunes qui ne pouvaient pas partir, restaient à Sarcelles. Ils allaient aux sorties organisée par les maisons de quartier : le Parc Astérix, la Mer de Sable. Je faisais ça, et cela me changeait les idées. D’ailleurs c’est ce que tout le monde faisait dans le quartier, car peu de jeunes allaient en colonie. Seulement deux ou trois personnes, et trois ou quatre personnes allaient au bled. On restait dans le quartier. Après en grandissant, les jeunes deviennent autonomes. L’année dernière, j’ai pu bouger un peu, à la limite de l’Espagne. Tu n’es plus dépendant de tes parents, tu es indépendant. Tu es libre de te payer des vacances, de trouver un boulot.

J’ai commencé mon premier boulot rémunéré à dix-sept ans et demi, dès que j’ai arrêté l’école. J’ai eu une brève période d’arrêt entre-temps, mais je connais le milieu professionnel. Le travail ne me fait pas peur. Il m’est déjà arrivé de commencer le boulot à trois ou quatre heures du matin, à midi ou neuf heures. Cela ne me dérange pas. Je suis partant. Il y en a qui ont plus de choses sur la table que d’autres. Pour un mec qui n’a jamais travaillé de sa vie, ça va être dur. Ce sont des gens comme cela qu’il faut aider. Des personnes qui n’ont jamais bossé tout seul, qui sont dans leur coin, qui ne connaissent pas le monde du travail.

Sarcelles a toujours mal été considérée. Je réagis mal. Parfois, on me refusait des sorties. Par exemple, Aquaboulevard était interdit à des mecs des Lochères ou des Chardo, ou du quartier, de même le ski. On était encore mômes à cette époque. Il y a des endroits où Sarcelles était mal-aimée. L’ambiance s’est calmée à Sarcelles. Ce n’est plus comme avant, de même que pour Pierrefitte. D’ailleurs, les gens de Pierrefitte et de chez nous se mélangent. Peut être que si Dieu le veut, « Inch’Allah », ça pourra s’arranger. Je le souhaite pour les mômes, afin qu’ils ne fassent pas ce que l’on a fait, et qu’ils ne vivent pas la même chose.

Je tiens à remercier les animateurs présents à Vigne Blanche. Ils font bien leur travail. Ils travaillent durement, et dans des conditions franchement difficiles. Je n’en ai rien à foutre du gouvernement, ça ne va rien changer à ma vie. Ils ne vont pas payer le loyer, ni l’électricité, les salaires ne vont pas augmenter, ce sera toujours la même chose dans mon existence. Je sais que Sarkozy s’entend bien avec Georges Bush et avec Tony Blair donc la guerre en Irak va continuer. Beaucoup de gens ne peuvent pas le sentir. Même au Ministère de l’Intérieur on ne pouvait pas le sentir, alors au poste de Président !

Rap et religion

Le rap est une façon de s’exprimer. En France, le rap est moins médiatisé, et plus boycotté. Je voulais lancer un groupe mais ça ne s’est pas concrétisé. Il faut être motivé, trouver le matos… Michel nous a proposé plein de trucs. Il nous faisait chanter, etc. La religion c’est important pour le monde entier. Je m’intéresse à la religion. Je suis croyant, mais je ne pratique pas à la lettre. Faut quand même avoir une idéologie, et remercier pour ce que l’on a. Après libre à toi de croire ou pas. Il y en a c’est la Bible, pour d’autres c’est le Coran, après chacun voit les choses à sa façon.

Message aux jeunes

Continuez l’école. Faites les choses correctement. Si vous tombez dans un mauvais wagon ou un mauvais chemin, c’est comme cela. C’est le destin. Mais surtout poursuivez vos études ! Des enfants apprennent de plus en plus tôt des gros mots, et croient que c’est la réalité. A sept ou huit ans, on n’était pas comme cela. C’est dû au vice des HLM, du moins pour leur langage. Mais c’est déjà un début. Quand on se retrouve en bande, avec l’effet de masse, on commence par des mots, après des vols, puis des bagarres, etc. C’est un peu à nous les grands de montrer la voie.


Texte réalisé par Frederic Praud


Voir en ligne : La Bande Dessinée : Les Migrants

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