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bombes posthumes de sékou touré

vendredi 18 décembre 2009, par Thierno Bah

Docteur Thierno Bah Paris le 30/10/09.

Les bombes posthumes de Sékou Touré.

« Celui qui ne sait pas d’où il vient ne trouvera pas le chemin pour savoir où il va. »

1-. Bref rappel.
Je rappelle souvent cette citation pour rappeler les difficultés de notre lutte pour un changement profond de politique chez nous. Tout au long de sa vie politique, Sékou Touré n’a cessé de narguer les Guinéens en répétant tout long de sa vie que, son parti, « le PDG ne mourra jamais. » Il proclamait fièrement que « personne ne verrait son cadavre ni ne dirait voici l’ancien président de la Guinée. »
Il a tenu parole au de-là de tous ses espoirs. Depuis sa mort, il y a vingt cinq ans, les Guinéens vivent sous la menace de bombes à retardement qu’il a enfouies dans la société laissée en héritage.

2-. Quelques bombes posthumes du PDG.

A*-. L’extermination des Intellectuels et des cadres.
Plus de cinq mille hauts fonctionnaires en service au moment de l’indépendance ont été méthodiquement et systématiquement exclus de la société. Qui étaient-ils ? Certains relevaient du cadre commun supérieur. Formés dans les écoles fédérales à Dakar, Sébikotane, Rufisque au Sénégal, à Bamako, au Mali, à Porto Novo, au Bénin, à Dabou, Bingerville en Côte d’Ivoire, leurs diplômes les qualifiaient pour exercer leurs compétences dans les territoires d’Afrique francophones, de Dakar à Brazzaville. D’autres étaient des universitaires.
Ils étaient médecins, sages femmes, instituteurs ordinaires, administrateurs civils, agronomes, adjoints techniques des travaux publics… Leurs parcours intellectuels, leurs compétences, leur fidélité intransigeante à leur éducation familiale et l’enseignement de leurs professeurs faisaient d’eux des modèles de probité socioculturelle. Ils étaient reconnus au-delà de nos frontières.
Ces comportements forçaient l’admiration de leurs chefs hiérarchiques blancs. Ces derniers, fraîchement sortis des écoles métropolitaines, apprenaient leurs métiers de leurs adjoints africains. Le NON du 28/09/1958 à 94 % a été obtenu grâce à leur adhésion sans réserve à ce mot d’ordre.

B*-. Les cadres locaux.
Les agents subalternes de l’administration, les auxiliaires médicaux, des eaux et forêts, les instituteurs adjoints et les moniteurs d’enseignement étaient formés en Guinée à partir du Certificat d’études, CEP et du Brevet élémentaire, BE. Dès lors que ces derniers avaient conquis la confiance de dignitaires du parti et vouaient une fidélité inconditionnelle au chef du PDG, ils étaient automatiquement nommés pour remplacer leurs supérieurs hiérarchiques qui devenaient immédiatement suspects de comploter contre le parti.
Cette nomination de personnes, faiblement qualifiées, à la tête des services publics a abouti à la disparition de l’Etat, intégré dans le parti sous le sigle de parti Etat. A partir de cette absorption le pays n’est plus gouverné. Il est tyrannisé par la politique de délation dans laquelle n’importe qui pouvait être embastillé au camp Boiro à partir de n’importe quelle dénonciation. Tous ceux qui ne plaisaient plus au plus petit chef du parti devenaient suspects, chacun à son tour. Lansana Conté a aggravé cet héritage par la privatisation de l’Etat au profit de son clan. Ce système a détruit toutes les valeurs morales et sociales.

C*-. Les exilés.
Ils étaient déclarés personna non grata dans nos ambassades, privé de toute protection de et de toute délivrance de toute pièce administrative. Voilà pourquoi ils ont pris la nationalité des pays d’accueil. La rupture entre les Guinéens et leurs ambassades a duré trente ans, de 1965 à 1995. La réconciliation a été amorcée en 1990 à l’occasion d’une réunion convoquée par Martin Marcel alors ambassadeur à Paris. Elle a été facilitée par l’initiative d’un comité préparatoire de cinq membres qui a organisé un dialogue mensuel durant un an, de juillet 1995 à juillet 1996, en partenariat avec l’Ambassadeur Lamine Kamara.
La réconciliation a été scellée autour du rétablissement de la célébration de la fête nationale abandonnée depuis trente ans. D’un commun accord, les associations et l’Ambassade décident de fêter les retrouvailles en célébrant ensemble le 38e anniversaire de notre indépendance le 5/10/1996. Sydia Touré, nouveau premier ministre de passage à Paris, est invité à cette manifestation.
Depuis cette date, les relations entre les Guinéens de France et l’Ambassade sont normales et bonnes, malgré les manques de moyens favorables pour favoriser des relations plus riches en faveur des citoyens, ici et là-bas. Il ne faut pas occulter des relents de méfiance, de dénigrements, véhiculés par des clans partisans qui polluent la cohésion et la cohérence des deux partenaires. Ceux qui ont vécu trente ans d’exclusion de leur ambassade ne sont pas prêts à renoncer à la préservation des relations rétablies avec l’Ambassade.

3-. Quels serviteurs des bombes posthumes ?
Sékou Touré n’a pas lésiné sur les moyens nécessaires pour pérenniser son système de gouvernement. Il a atteint son objectif à 80 %. Plutôt que de construire des écoles, des hôpitaux, des routes, des logements et fournir de l’eau courante au robinet, de l’électricité, pour améliorer les conditions de vie des populations, il a utilisé son génie politique à gouverner par le verbe et la cabine technique.
Les meilleurs serviteurs des bombes posthumes sont ceux qui ont hérité des problèmes socioculturels et qui ont laissé s’accumuler la pauvreté et la misère dans lesquelles notre peuple se débat désespérément depuis cinquante ans : en premier lieu Lansana Conté et maintenant le CNDD et son chef.
Lansana Conté a reconduit à son profit personnel et familial la confiscation de l’Etat en gouvernant le pays par la force et le pillage illimité et impuni des biens publics. Il provoque la banqueroute et l’interdiction bancaire de l’Etat au vu et au su de tout le monde.
Depuis l’irruption dans l’arène politique le 23/12/08 du CNDD et son chef, ce dernier ne cesse de chercher à s’identifier au seul modèle qu’il connaît et à son mentor qui sont les seules références de son éducation familiale et de sa formation socioculturelle. Il imite les mêmes mimiques, les mêmes intonations de voix, le même étouffement de son entourage et la même hargne pour humilier publiquement les personnalités et les personnes que son modèle. Il a été plus loin que ce dernier dans le traitement brutal, humiliant et dégradant des gens.
En l’écoutant tout au long du premier semestre passé au pouvoir, j’ai été frappé par le manque de fil conducteur de son discours, le manque d’orientation et de cohérence de son raisonnement et sa pensée. Comme son illustre prédécesseur, on a du mal à comprendre ses exposés et à suivre ses actions. Cette zizanie discursive ne portait-elle pas en elle-même les germes de son échec prévisible ? Deux positions exposées m’ont fait penser que le chef du CNDD et ses camarades n’avaient pas évalué les conséquences de leur décision de prendre le pouvoir. En janvier 09, il déclare s’attaquer à la lutte contre la drogue et la corruption pour assainir la gestion des biens publics. L’exonération de la famille de Conté et des dignitaires de son régime du contrôle des biens acquis sèment le doute de la capacité du CNDD de changer quoi que ce soit dans l’impasse qui paralyse le pays. J’écris un article : « un coup d’état pour faire quoi ? » En mars 09, une hystérie collective réclame des élections à tout prix avant la fin de l’année 2009. Pourtant tout le monde sait qu’aucune élection, propre ou truquée, ne peut résoudre aucun problème des populations avant un dialogue pour réconcilier les Guinéens bloqué depuis plus de vingt cinq ans.
Cette brève et éphémère unité d’action des partis politiques, la première depuis leur création en 1991, sonne le glas du bouillant capitaine qui commence ses audiences d’Etat à deux heures du matin ! Je réagis par un article : « des élections pour rire ou pour pleurer ? » A partir de ces repères politiques, il n’était plus possible d’accorder à cette junte le moindre bénéfice du doute ni le moindre état de grâce sur la capacité de ces novices à la politique de construire un Etat. Le manque de personnes ressources humaines, de moyens économiques, financiers et matériels, d’expérience politique, administrative, technique, et de capital de confiance, conduisait le groupe inexorablement vers l’impasse et l’immobilisme stérile.
Tous ses handicaps faisaient évoluer le pays lentement, dangereusement et sûrement vers un affrontement. Celui-ci s’est donc produit le 28/09/09. Il a révélé la vraie nature du chef du CNDD. Ceux qui ont donné l’ordre de tirer sur les manifestants aux mains nues ont fait preuve d’une cruauté jamais vue en Guinée qui en a pourtant « vécue des vertes et des pas mûres. » Ils ont montré aussi leur manque de sang-froid.
Aune mise en garde de ceux qui appelaient au dialogue pour réconcilier les Guinéen par le canal de la création du conseil national pour la transition n’a été audible.

4- . L’éternelle faiblesse des opposants.
L’impréparation des partis politiques à capter et canaliser la colère populaire pour conquérir le pouvoir a, de nouveau, éclaté au grand jour lorsqu’ils se sont résignés acte du fait accompli du retour des militaires au pouvoir. N’ayant publié aucun scénario stratégique durant la longue agonie de Lansana Conté, ni la moindre condamnation du coup d’état, les partis se sont soumis à la junte. Le RPG a été l’un des rares partis qui a soutenu publiquement le CNDD dans la lutte engagée contre la corruption et la drogue. Il a annoncé cette position au cours d’une réunion présidée par son président à Paris en février 09. Les autres opposants sont restés muets sur la situation politique jusqu’aux tragiques massacres du 28/09/09.
Malgré toutes mes observations critiques des comportements des opposants, je salue le rapprochement qui leur a permis de s’unir autour du mot d’ordre NON à la candidature du président du CNDD à l’élection présidentielle. Je salue l’union de tous les Guinéens venus en masse le 28/09/09 au stade du même nom. Nous étions pleins d’espoir de changement ce jour-là devant la mobilisation massive qui a montré que personne ne peut plus gouverner le pays comme hier. Je souhaite que les leaders, photographiés avec leurs pansements sur la tête, aient une pensée pour tous ceux qui ont été tués et brisés dans le secret du camp Boiro, de 1960 à nos jours.
Je me permets de rappeler au souvenir de tous les Guinéens, responsables politiques, associatifs et citoyens anonymes, que plus de cinq mille hauts fonctionnaires et cinquante mille personnes ont connu les affres de la cabine technique. Parmi ces martyrs, la majorité était des universitaires n’ayant aucun lien d’allégeance avec les gouvernants. Notre devoir patriotique nous impose d’entretenir leur mémoire auprès des générations pour l’éternité. Leur parcours admirable doit vivre dans notre histoire nationale jusqu’à la fin des temps.

5-. Quelle responsabilité posthume de Sékou Touré ?
Depuis vingt cinq ans je proclame devant tout auditoire guinéen ma conviction que notre pays ne retrouvera le chemin de la solidarité et la prospérité qu’après un dialogue national pour nous réconcilier. Les chefs du CNDD ont été formés dans les écoles du PDG qui ont détruit toutes les valeurs éthiques, morales et socioculturelles de notre société pour créer « l’homme nouveau. » Celui-ci a été privé des repères intellectuels pour savoir analyser les contradictions au sein du peuple et évaluer les mesures et les moyens appropriés pour résoudre les problèmes de la société. La révolution leur a refusé toute confrontation avec le monde extérieur.
En liquidant physiquement les intellectuels et cadres, le premier président de la Guinée a préparé le retour de la France dans nos affaires au grand jour comme l’attestent les déclarations officielles du Quai d’Orsay sur la crise profonde qui nous endeuille tous. Il faut rappeler aux amnésiques et aux lobbies qui bloquent le dialogue de réconciliation que tous les crimes ordonnés par Sékou Touré reposaient sur le postulat que la France veut punir la sécession de la Guinée pour empêcher la contagion dans les autres territoires. Dès lors les intellectuels guinéens qu’elle a formés sont ses agents complices. Il a assimilé tous les titulaires de diplômes français à être complices de la France dans ce scénario funeste et macabre. Dans le même temps, il laissait cartes blanches aux sociétés privées étrangères pour extraire, exporter et exploiter nos richesses minières sans aucune entrave en contre partie de la sécurité de son régime et de son pouvoir.
Les demandes d’intervention de la Communauté internationale d’aujourd’hui traduit l’échec posthume personnel de Sékou Touré. Il doit se remuer dans sa tombe, lui qui n’a cessé de hurler, urbi et orbi, que l’impérialisme trouvera sa tombe en Guinée. Aujourd’hui ce sont ses héritiers qui appellent cet impérialisme, qui a bon dos, pour solliciter son médiateur l’autorisation de son médiateur pour se présenter à l’élection présidentielle. Où est notre souveraineté ???

6-. Conclusion.
Je dénonce et je condamne cette perspective d’introduire le ver dans le fruit. J’en appelle au CNDD, aux partis politiques et à la société civile pour convoquer un dialogue national de réconciliation représentatif de toutes les catégories socioculturelles de notre pays. Ce dialogue doit être à tous ceux qui ont quelque chose à dire sans aucune condition ni allégeance. La cruauté des massacres et des viols massifs du 28/09/09 a terni à jamais la gloire de cette date historique ineffaçable. Ces actes odieux disqualifient et excluent le chef du CNDD et tous ceux qui ont les mains souillées du sang versé de toute concertation sur la sortie de crise. Cette situation exige des leaders politiques de créer les conditions d’une table ronde de réconciliation pour panser les plaies non cicatrisées de 1958 à nos jours. Toute limitation des concertations actuelles aux assassinats actuels serait une insulte à notre histoire contemporaine.
J’invite les leaders des camps en présence à engager le dialogue pour une sortie de crise pacifique. Je les invite à garder à l’esprit les drames inqualifiables que nos voisins libériens, léonais et ivoiriens ont vécus et dont ils sont entrain de sortir lentement et laborieusement. Après avoir été témoins et hôtes de leurs réfugiés comme nous qui étions allés chez eux il y a vingt ans et plus, vous n’avez pas le droit de conduire la Guinée vers l’enfer qu’ils sont entrain de maîtriser. C’est seulement si nous ne trouvons pas en nous la sagesse qu’avaient nos parents que nous les appellerons à l’aide. Merci de votre écoute.

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