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Mme Vanel née en 1912 à Paris

Traversée d’un siècle entre Paname et la Vendée

lundi 15 février 2010, par Frederic Praud

Je suis née à Paris et j’y ai toujours vécu sauf pendant les vacances où j’allais chez mes grands-parents à moitié en Vendée, à moitié en Charente. Mon père était Vendéen et ma mère Charentaise.

J’étais encore à l’école, quand on a eu l’électricité. J’avais bien 16 ans. Avant, on avait de grands luminaires au gaz accrochés au plafond. Il fallait ouvrir le robinet du gaz, mettre l’allumette pas trop près parce qu’alors le manchon brûlait, et il fallait en changer. Il fallait mettre l’allumette assez loin et assez près pour que ça marche quand même. Ça donnait une lumière potable, même sur les tables. Sur les tables, les lampes étaient au pétrole. On avait de grosses lampes, avec l’abat-jour. Ça éclairait bien ma foi.

Quand je faisais mes devoirs à un bout de la table, maman était à l’autre bout pour lire ou tricoter, parce qu’on n’avait pas cinquante lumières. Elle lisait le journal. Et je me disais : « Quand est-ce que je pourrai lire le journal au lieu de faire mes devoirs ? ». J’étais presque jalouse. Après on a eu la suspension et puis ça s’est arrangé. Quand on a eu l’électricité c’était merveilleux ! On appuyait sur les boutons, ça s’éclairait. Ils avaient installé l’électricité dans la journée. Quand je suis arrivée de l’école le soir, j’ai appuyé sur un bouton et ça s’allumait…Je vivais dans un appartement. On entendait tout dans les escaliers. Il y avait des becs de gaz que le concierge allait allumer quand c’était l’heure. On se servait de la lampe pigeon pour aller d’une pièce à l’autre.

A cet âge-là, mon père était à la guerre, ma grand-mère nous a invitées : « mon fils va venir en vacances enfin en congés, s’il vous plaît, venez donc chez nous, comme ça il viendra passer sa permission avec nous et tout le monde le verra ». Alors on est parties de Paris pour aller en Vendée. Là-bas, le train s’arrêtait souvent et, dans les grandes villes, on venait donner aux enfants des verres de lait. Je devais avoir 4 ans.

À Paris, il y avait assez souvent des alertes mais il n’y avait pas de sirène. Les pompiers nous prévenaient. On entendait pimpon, pimpon. J’ai toujours ce bruit dans les oreilles. Au début je disais : « maman y’a le feu ». Elle disait : « Mais non, c’est les pompiers qui font l’appel ». Elle ne voulait pas que j’aie peur. On n’habitait pas loin de Vincennes, et il y avait une usine à gaz à proximité. Les allemands cherchaient à bombarder cette usine à gaz. Une grosse usine qui a été démolie après.

Quand il y avait une alerte, tout le monde se précipitait à la cave. J’avais un voisin, un vieux monsieur, il ne prenait même pas le temps de prendre son pantalon. Il descendait en caleçon avec son chat dans les bras. Je n’avais jamais vu mon père en caleçon. Il y a une église à Paris qui a été bombardée, celle qui est derrière le musée du Louvre. Ce jour-là maman était allée à la mairie pour avoir une ration de lentilles, c’est ma tante qui était venue me garder. Quand elle a entendu bombarder, on ne savait pas quoi, mais ça faisait un bruit épouvantable. Elle m’a attrapée et avait voulu me descendre dans la cave. Maman avait dans un grand sac en tapisserie, elle avait mis dedans le peu de choses qui avaient de la valeur. J’y avais même ajouté une petite poupée. Ma tante voulait m’emmener, mais moi je me cramponnais à la porte, « non, non, il faut prendre le sac ! ».Il y avait même des bombardements assez près. On n’a pas eu de dégâts, pourtant on habitait au sixième étage dans un grand immeuble.

À la fin de la guerre maman avait pris une entreprise de tricot pour envoyer en Amérique, parce que les américains n’étaient pas doués sans doute. Elle allait chercher des morceaux de tricot dans une grosse entreprise et il fallait qu’elle les assemble. Il fallait broder les cols, et elle envoyait ça en Amérique. Il y avait un gros élastique à l’intérieur des jupes et j’avais 50 centimes quand je mettais les élastiques autour des jupes. J’avais une douzaine d’années, 12-15 ans. Après la première guerre.

Enfance au quotidien

J’allais au patronage. On vous apprenait les dogmes de l’église et toute l’histoire du Christ. On y allait pendant un an ou deux avant la communion, tous les jeudis. C’était une grande pièce, avec des chaises de chaque côté et un couloir au milieu. D’un côté c’étaient les garçons et de l’autre côté les filles. Et il ne fallait pas que les filles tournent la tête pour regarder les garçons, ni que les garçons en fassent autant. C’était surveillé. Après on allait jouer mais fille avec fille et garçon avec garçon. C’était sur Paris, j’ai fait ma communion à Paris.

Quand j’allais à l’école, tous les jeudis, il fallait qu’on aille dans un musée. Mais quand on revenait, il fallait écrire une rédaction sur tout ce qu’on avait vu. Alors c’était bien joli d’aller dans les musées, mais en arrivant, il fallait faire une rédaction. Je devais avoir 13-14 ans.

J’ai passé mon certificat d’étude, puis le brevet, puis le brevet commercial. Il y avait le brevet et quand on parlait anglais, le brevet supérieur. On avait deux heures de langue par semaine. Un jour alors que je sortais du métro, une brave anglaise me demande une rue. Toute fière je me mets à lui raconter en anglais où il fallait tourner. Elle ne comprenait rien. Alors après je lui ai expliqué en Français et elle a compris tout de suite. C’est pour ça que les professeurs m’avaient dit : « Passe ton brevet, on est à peu près sûrs que tu vas l’avoir, mais si tu veux réussir contente toi du brevet. Passer le brevet supérieur avec ton anglais, ce n’est pas la peine »… Je voulais faire un travail quelconque, dans les bureaux plutôt, une chose comme ça. Je voulais également faire institutrice. On m’a alors mise avec des élèves pour que je vois comment je me débrouillerais. À la fin de la matinée, je n’avais plus de voix. On m’a dit, « ce n’est pas la peine de faire ce métier, parce qu’il faut causer beaucoup ». J’ai fait autre chose, pourtant ça m’aurait bien plu.

Vie active

Après j’ai travaillé. Je me suis présentée dans une banque. Ils m’offraient 450 francs par mois, et j’ai dit : « quand même ce n’est pas beaucoup ». Alors je suis allée dans le commerce, et là j’ai débuté à 800 francs. J’étais bien payée. Je me suis mariée à 24 ans et à ce moment-là je gagnais plus que mon mari. J’ai débuté à 800, 850 francs à 20 ans, en 1932. Je me suis mariée en 1935, il n’avait que 700 francs par mois comme aide-comptable. Ce n’était pas beaucoup.

J’étais mécanographe. C’était une machine électrique, comme une machine à dactylo. On pouvait faire les factures avec. J’étais dans une grande maison de vin en gros et il y avait beaucoup de succursales. On recevait leurs commandes et des chevaux partaient pour les livrer. Souvent le matin quand j’arrivais très tôt, je faisais partir les commis qui allaient livrer du très bon vin. C’était une très grosse maison du côté de Clichy. J’y suis restée neuf ans. J’allais avoir mon deuxième enfant. La première petite fille c’est maman qui me la gardait parce qu’on habitait dans le même immeuble. Quand j’ai vu qu’il y en avait une deuxième qui s’annonçait, j’ai pensé : « je ne peux pas donner deux enfants petits à maman », alors j’ai arrêté de travailler. J’ai travaillé de 32 à 41.

J’avais droit à un costume neuf à Pâques, un tailleur, et la robe c’était vers la Pentecôte, la robe d’été. Ces vêtements-là servaient l’année d’après tous les jours pour aller travailler. Je suis allée travailler avec une robe à volants. Quand on s’habillait, il fallait que le chapeau soit de la même couleur que les chaussures. Il fallait que tout soit assorti. Ça m’a beaucoup servi, parce que pendant la guerre, je n’ai jamais porté de chaussures en bois. J’ai essayé et puis je n’ai pas pu. On avait une chambre de bonne dans l’appartement, mais il n’y avait pas de bonne. On s’en servait comme grenier. Pendant la guerre, j’ai repris toutes mes vieilles chaussures et je n’ai pas eu de semelle de bois. Je n’ai eu qu’à piocher et toutes celles que je ne voulais plus, je les trouvais très bien.

Mariage

Jusqu’à 21 ans, il fallait l’autorisation des parents pour se marier. J’ai rencontré mon mari au bal, au bal de société d’une association quelconque. J’allais à la mutualité, au palais de la mutualité, c’était là nos grands rendez-vous. C’était vraiment des bals de famille. On se revoyait toujours au bal. J’ai été malade, une laryngite, alors je ne pouvais plus sortir. J’ai dit à maman : « j’ai des camarades, je voudrais bien les prévenir que je suis malade » et j’ai écrit. Les parents étaient un peu soupçonneux, surtout que j’avais déjà 22 ans. J’ai annoncé : « oui, je connais un jeune homme ». Il a fallu que je leur présente. Je leur avais annoncé : « je vais vous amener un jeune homme très gentil ». Ils ont été aimables avec lui évidemment, et quand il est reparti, je n’ai même pas osé descendre avec lui. Je lui ai dit au revoir à la porte, il est redescendu tout seul. Après il m’a reproché : « quand même, tu aurais pu redescendre ».

J’allais au bal toutes les semaines. On y allait le dimanche après midi ou le soir souvent et je me serais bien passée de dîner quand je travaillais le samedi. Je devais avoir 18-19 ans. Je n’allais au cinéma que deux fois par an, le lundi de la Pentecôte et le lundi de Pâques. Les autres fois, j’aimais mieux aller danser. J’allais au cinéma ces lundis-là car j’étais fatiguée. J’étais allée au bal la veille. Je rentrais à minuit, jusqu’à temps que je me marie, jusqu’à ce qu’il y ait la guerre, parce que mon mari aimait autant danser que moi. Pendant la guerre, on ne dansait pas, il n’y avait pas de bal.

On venait au bal à plusieurs. On n’allait pas s’amener au bal toute seule. J’avais une très bonne amie, on sortait toujours toutes les deux. On s’asseyait, on prenait une consommation, et puis vous aviez un jeune homme qui arrivait derrière vous. Ça dépendait, s’il était plus acharné, il se présentait devant. Généralement il se présentait derrière, et demandait : « voulez-vous danser mademoiselle ? », comme Adamo. Alors on se levait et puis on allait danser. Après chacun revenait à sa place, quand il y en avait un qui plaisait un peu à l’autre, il revenait. Souvent il ne revenait pas. Quelquefois s’il ne plaisait pas, on disait : « non-merci monsieur, je suis retenue ». C’était des bals de familles, des Bals bretons. Il y en avait assez souvent.

Avec mon mari quelquefois, quand il y avait une musique qui nous plaisait, qu’on était tous les deux, nous dansions un tango, un paso doble, ça dépendait de la musique. Sur la musique américaine, on ne dansait plus, on regardait les enfants danser à ce moment-là. Les enfants étaient tout petits quand je faisais ça quand même. La dernière est née en 44. En 60 on le faisait peut-être encore.

Je me suis mariée un début d’après-midi et j’étais allée me confesser le matin, je crois bien. Le curé me connaissait. Il vous posait des questions assez pertinentes. Maintenant ils ne se permettraient plus ça je crois. Certainement que les enfants devaient êtres suivis de près quand ils savaient que les parents n’étaient pas mariés quand ils étaient nés.

Je me suis mariée à Paris, ça n’a pas posé de problème. J’allais alors me confesser même si j’avais du travail à la maison, j’avais du monde à déjeuner. Il y avait beaucoup de gens pour aller se confesser. Quelquefois je faisais la queue une heure le matin. Les veilles de fête, on n’aurait pas été communier sans avoir été confessé. Moi je me suis confessée la première fois avant ma communion. On commençait à se confesser quand on avait fait la première communion. Je me souviens du curé la première fois qu’il a distribué les hosties, il avait la goutte au nez… et ça n’était pas tombé. J’ai fait ma communion à l’église Sainte-Marguerite à Paris. Il est tellement tombé d’eau à la sortie de la messe que maman est allée reporter mon costume de communiante à la blanchisseuse pour qu’elle le repasse, tellement il était mouillé. Et puis on ne trouvait pas de taxi. Il n’y en avait pas comme maintenant. On était obligées de prendre l’ondée, c’était plus qu’une ondée même. On était trempées.

Au bout de deux ans de mariage, mon mari s’est installé comme boucher. J’allais quelquefois lui tenir la caisse, mais le matin, il fallait se lever de bonne heure. Et quand je travaillais chez Valette, le marchand de vin en gros, il fallait que je prenne le métro à 6 heures 05 le matin, que je descende six étages sans ascenseur, que je traverse la place de la nation, pour être à 7 heures et demie à mon travail.

J’habitais du côté de la place de la Nation, à côté de Vincennes, et je travaillais du côté de Clichy. Je faisais ça à pied quand il y a eu les grèves en 36, il n’y avait plus de transport. On nous avait demandés : « Vous arriverez quand vous arriverez, mais il faut venir ».J’étais jeune et puis je marchais bien vite, mais ça me donnait froid. Quand je voyais une belle boulangerie, je m’arrêtais prendre un croissant et je continuais. Il n’y avait pas de grève dans mon entreprise. Ils auraient été renvoyés tout de suite. Le patron ne riait pas. C’était un homme qui y était arrivé par la force du poignet. Il avait une belle entreprise. La maison Valette était connue.

Vacances en province

J’allais chez mes grands-parents tous les ans, pour les grandes vacances. J’étais habituée aux vacances, la moitié chez l’un, après chez l’autre. J’étais gâtée pour ça. J’avais même des parents à La Rochelle, alors j’allais aussi à La Rochelle voir la mer, mais je ne me rappelle pas de la première fois. Je devais être trop jeune vers 4 ans. J’avais droit à la voiture deux fois par an quand on partait en vacances. Alors, on prenait un taxi qui nous emmenait à la gare, et quand on revenait de vacances, le taxi nous emmenait chez nous. Il y avait une grosse malle et des petits paquets. C’était la fête pour moi le taxi. C’était rare.

Les parents de mon père vivaient dans une petite ville, Fontenay le Comte. Ils habitaient dans les maisons classées, des maisons à porche. Là, on avait une existence de ville. Mon grand-père était voiturier. Il avait des commis. C’étaient des voitures à chevaux. Je me souviens d’une voiture particulièrement jolie. Elle était toute décorée de dentelles, de tulles. C’était une spéciale, bien carrossée, impeccable pour les mariages. Sur les autres le devant s’abaissait et on voyait davantage la campagne.

Mon grand-père me disait : « tiens, un tel va à tel endroit ». Alors j’y allais à pied. Et quand il revenait, il me remettait dans la voiture pour rentrer chez nous. J’ai fait beaucoup de voiture. Là-bas la forêt de Mervan est à côté. Elle est très jolie d’ailleurs. On y allait souvent. J’avais une douzaine d’années.

En Vendée, dans les églises, les noms de famille étaient marqués sur les chaises. Il y avait une chaise pour s’asseoir et une pour se mettre à genoux. Mes autres grands-parents étaient cultivateurs. C’était en pleine campagne. Ils avaient des champs un peu partout, assez loin même. Ils habitaient dans une petite ville à côté de Ruppec. Ma grand-mère allait conduire le troupeau. Il y avait quelquefois des barrières alors on pouvait les laisser et puis revenir les chercher après. Quand mon grand-père était loin et qu’on venait le chercher à la maison pour avoir des nouvelles ou pour causer, ma grand-mère disait à son chien : « on attend ton vieux », c’était mon grand-père. « Tu vas aller le chercher, il est à tel endroit ». Le chien s’en allait. Il allait chercher mon grand-père. Il essayait de lui faire comprendre. Alors lui il s’amusait, il n’avait l’air de pas comprendre. Il savait très bien ce qu’il voulait. Après il lui tirait sa culotte ou sa basque, pour lui dire : « tu sais, il faut que tu viennes ». C’est intelligent ces bêtes-là.

À la campagne on était à même de voir davantage de choses qu’à Paris. J’avais une truie qui avait deux petits cochons de trop pour ses mamelles. C’est moi qui les avais élevés en vacances. C’était adorable. Je leur donnais un biberon. Je devais avoir 12-13 ans. Quand on leur passait la main sur le dos, ils se mettaient à sauter ? Tous les ans, on tue le cochon, là-bas à la campagne, alors ma grand-mère nous avait envoyé un petit morceau de rôti de porc. Je n’ai pas pu en manger.

Ils ont des tas de jeux à la campagne. Par exemple leur bonheur, c’était à la saison des potirons, de creuser des potirons, de mettre une bougie à l’intérieur et de dessiner des têtes. On le voyait de loin, ça faisait comme une tête. C’était en 1920. On s’amusait à construire des maisons avec des branchages, on jouait comme ça. Quand il faisait soleil, on allait alors se mettre à l’ombre.

Les enfants de la campagne étaient plus avancés que les petits parisiens pour savoir tout ce qui se passait entre les animaux, tout comme les gens. Ils savaient tout, une telle va avoir un enfant… Mes petits copains de la campagne étaient plus au courant que moi. On se demandait assez longtemps comment venaient les enfants. J’ai une tante qui attendait un bébé, elle était très grosse, forcément, c’était presque la fin. Et j’ai dit : « mais qu’est ce qu’elle a, elle est malade ? « On m’a répondu : « Non, tu comprends, mais comme elle va avoir un bébé, elle boit beaucoup de bière ». C’est à l’école après qu’on a appris ça, pendant les classes moyennes, pas dans les petites. À la campagne ils étaient beaucoup plus débrouillards que nous, parce qu’ils voyaient les bêtes. Cette façon d’éduquer les enfants était un peu spéciale.

Jamais, ni mon père, ni ma mère ne m’aurait appris quelque chose. Mon père était formidable, très gentil, mais c’était strict. Maintenant les enfants savent que le bébé naissent dans le ventre de la maman. C’était même bête, parce que les filles auraient pu se laisser attraper sans savoir. Même les gens qui divorçaient étaient mis à l’index. Ma tante a été travailler en usine pendant la guerre, comme toutes les femmes qui n’avaient pas de travail. Elle a pris son indépendance sans doute un peu. Quand mon oncle est revenu, il n’a pas supporté et ils ont divorcé. Dans la famille, on disait : « Ah ! , Ils ont divorcé », d’un air de dire : « Ce ne sont pas des gens biens ». Les gens divorcés ce n’était pas bon genre. Je n’approuve pas cette éducation.

L’occupation

Quand la guerre de 1939 a commencé, on était en vacances. La première mobilisation a duré trois mois. Ils ont été appelés pour et ils sont aussitôt revenus. Après il est reparti le pauvre, comme tous les autres. Mon mari était boucher de son métier, alors ils ont voulu le mettre à la roulante pour faire la cuisine. Alors il leur a dit : « je suis venu pour faire la guerre, pour sauver mon pays, pas pour faire la cuisine ». Il a été mal vu et ils l’ont mis dans les corps francs. Ils n’avaient pas le droit parce qu’il avait déjà une fille. Ils ne devaient pas le faire, mais ils l’ont fait. Il avait de la chance, il n’a pas été fait prisonnier… Mon père avait été fait prisonnier mais pas lui. Ils l’ont ramassé quand il a été blessé, à la guerre de 14. Il avait été libéré, six mois à peu près, pas trop longtemps quand même.

Mon mari a eu de la chance. Il nous a fait rire. Ils n’avaient rien à manger. Quand ils ont aperçu les allemands en mire au bout d’un chemin, ils ont cassé le mur derrière la maison où ils étaient cachés pour les attendre. Ils sont partis, et pour se nourrir ils ont mangé des gros fromages ronds qu’ils ont trouvés. Ils étaient quatre ou cinq. Ils ont mangé le chèvre pour traverser la Brie. Alors ils en avaient assez du fromage. Il est revenu me rejoindre dans la maison de mes parents, à la campagne. Il s’est fait démobiliser. Le matin de son arrivée, j’étais allée au marché et puis je vois un militaire, alors je lui demande : « Est-ce que vous avez des nouvelles du cent troisième ? », parce qu’il m’avait dit qu’il était là-haut. Il me répond : « mais ma pauvre dame, le cent troisième il n’y en a plus ». Je suis retournée complètement désespérée. Il y avait de quoi, et puis deux heures après mon mari arrivait. J’ai poussé un soupir…

Une fois de retour à Paris, je me suis aperçue que j’avais laissé la layette de la première fille à la maison à la campagne et puis le deuxième s’annonce. Et il n’y avait pas de laine. Il fallait donner nos vieux pullovers. Il fallait tricoter, on faisait un tas de choses. Alors c’est dommage, j’avais toute la layette de la première, comment va-t-on faire ? Mes parents avaient loué la maison à la gendarmerie, pour qu’elle ne soit pas envahie par les allemands. Alors grâce aux gendarmes, mon mari s’est faufilé si on peut dire jusque là-bas, parce que c’était en Charente-Maritime, c’était quand même assez loin. Heureusement dans le jardin, l’herbe était plus haute que lui, alors il s’est faufilé et comme les gendarmes étaient là, ils l’ont raccompagné avec sa layette.

À Paris, il fallait attendre les rations distribuées par les mairies souvent. Même moi j’ai fait la queue les pieds dans la neige pour avoir un kilo de pommes, parce que j’élevais mes trois enfants. Mon mari était à la guerre. C’est juste un ou deux ans avant la fin de la guerre.

Le jour de la libération de Paris, ma dernière fille avait quinze jours. Nous la tenions dans les bras, on ne pouvait pas la mettre en chariot. On se promenait sur la place de la nation. Un monsieur en vélo est passé, il nous a dit : « Mais vous êtes fous, qu’est ce que vous faites là ? » On a répondu : « on promène les enfants ». –« Voulez-vous rentrer chez vous tout de suite, vous allez voir ce qui va se passer ». Une heure après les FFI, se bagarraient avec les allemands. C’était occupé à la Nation. Une autre fois alors que j’avais mis les enfants sur le balcon, j’ai entendu tirer alors j’ai remis tout ça dans la pièce qui ne donnait pas sur la rue…

On avait un bel appartement mais enfin quand même. J’avais deux chambres, salon, salle à manger, cuisine, salle de bain. J’ai eu mes enfants en 39, 41 et 44. Je les ai élevés du mieux que je pouvais, parce que malgré tout ils n’avaient pas été tellement gâtés. Quand j’étais enceinte de l’avant dernier, on avait droit comme femme enceinte à un quart de lait écrémé. Les enfants en n’avaient pas alors je leur redonnais mon quart de lait qui était plutôt dégoûtant. Mais on a toujours eu de l’eau. Pour avoir du savon, c’était difficile. Alors on les fabriquait avec de la graisse et du saindoux. Maman faisait ça. Il fallait du gras. Je ne sais pas exactement ce qu’on mettait dans ce gras fondu. On faisait bouillir un peu, puis on faisait refroidir et on coupait en morceau. On en faisait en 42 et 43 et même plus loin.

Les enfants ont souvent les petites maladies d’enfant, alors ce n’était pas toujours facile. On employait des remèdes de grand-mère, des bouillons, des choses comme ça. On faisait également des pâtés avec de la levure, du pâté à manger. C’est sucré, mais ça a un drôle de goût quand même et ça calmait la toux. On faisait beaucoup de choses avec la levure, on en avait à peu près comme on voulait. On faisait du pâté, on hachait du persil qu’on mettait dedans, du poivre pour donner un peu de goût. Il n’y avait pas de viande mais on appelait ça du pâté, ça donnait quelque chose sur le pain, mais enfin ce n’était pas formidable.

Pour faire la soupe, quand on arrivait à avoir beaucoup de légumes, on les épluchait, on les faisait cuire… bien, bien cuire. Alors ça faisait comme des réserves. On mettait tout ça dans des bocaux, et les jours où on n’avait rien, on mettait de l’eau et une ou deux cuillerées de cette mixture là-dedans. Ça faisait le potage. On n’avait pas trop de charbon, pour nous chauffer on avait un Godin rond, et il y avait toujours de l’eau dessus pour que ça fasse un peu de vapeur.

Bien plus tard à la maison, alors que j’avais deux enfants, je me remémore un souvenir pénible. Ma petite fille m’appelle : « maman, j’ai envie de faire pipi. ». « J’arrive ». J’étais dans la cuisine en train de laver par terre, et elle était dans la salle à manger où il y avait un petit peu de feu. J’ai fait ce qu’il fallait et puis je reviens dans ma cuisine pour continuer mon linge. C’était de la glace par terre. On a eu très froid. Mon mari était très gentil, c’était après la guerre ça pourtant, parce qu’il était rentré. Il me disait : « tu laves le linge pendant qu’il est chaud et moi je te le rincerai à l’eau froide ». Ce n’était pas facile.

La vie familiale

Ce qui m’a fait le plus plaisir c’est quand les femmes ont eu des cigarettes. Ca n’était pas pour moi, je n’ai jamais fumé. Le tabac était contingenté à ce moment-là-là, alors je donnais mes rations de tabac à mon père et à mon mari, ils étaient heureux comme des rois. Autrement il fallait aller au marché aux puces pour acheter une espèce d’herbe, je ne sais pas quoi. C’était après la guerre, mon mari était revenu. C’était de la folie de faire pousser du tabac quand on pouvait. Mes parents avaient une petite maison à la campagne et il y avait un voisin qui soi-disant venait entretenir le jardin. On est arrivé une fois un peu à l’improviste, au lieu de planter de tout, il avait mis que du tabac partout. Il en avait même accroché dans le hangar pour le sécher. Maman n’était pas contente. On croyait, parce qu’on ne le faisait pas payer pour le terrain, qu’au moins on aurait un peu de légumes.

Dès que nous avons eu la possibilité de voter, j’y suis allée. J’étais fière de voter, c’était un peu nous reconnaître. Parce qu’avant une femme était plutôt considérée comme une bonne patentée. Les femmes n’étaient pas tellement considérées. Mes parents étaient de très bon ménage, mais il y en avait beaucoup qui n’étaient pas terribles. Trop souvent aussi il y avait des mariages organisés, alors ça je ne crois pas que ça fasse quelque chose de bien. Il faut laisser les gens se retrouver, se reconnaître un peu l’un dans l’autre.

Je me rends compte que j’étais beaucoup plus libre que ma mère. Mon père était charmant mais enfin c’était sa femme. J’avais quand même beaucoup plus de liberté avec mon mari. Ce n’était pas comme avant où la femme était considérée un peu comme une bonne particulière. À la maison, toujours le ménage. Tandis que nous, on en a profité quand même. Je suis sortie beaucoup avec mon mari. Les cabarets, Joséphine Baker, la première fois que je l’ai vue c’était aux Folies Bergères. Les chansonniers, on arrivait, ils vous disaient un peu de choses désagréables. C’était surtout avant la guerre. Après 40, quand mon mari est revenu, on avait les trois enfants et on ne pouvait pas se permettre d’aller voir n’importe quoi. Il fallait s’habiller quand on allait au théâtre. La première fois que je suis allée au théâtre et que j’ai vu à côté de moi un monsieur avec un pull-over, « Ah !, Ce n’est pas possible, il vient au théâtre comme ça ? » C’est curieux.

Mon mari avait sept frères et sœurs, moi j’étais fille unique heureusement parce que je ne sais pas ce qu’on serait devenus. Tous les dimanches on allait chez l’un et chez l’autre. C’était très agréable. Maintenant ça reviendrait peut-être un peu trop cher, c’était quand même moins cher. On ne recevait que la famille. Ici en ville, on ne peut pas se permettre de recevoir n’importe qui. Je chantais quand j’étais en famille.

Tous les dimanches, quand nous allions nous promener, nous rencontrions les chanteurs sur les grands boulevards. Il y avait ceux qui avalaient du feu, qui faisaient un tas de trucs sur les boulevards… Avec mes enfants, nous allions nous promener à Paris, visiter les Invalides. J’adorais visiter les musées. On allait au bois de Vincennes, au bois de Boulogne, sur les grands boulevards. Je n’aurais pas amené mes enfants au bal. On les emmenait dans les musées. Ils allaient au tennis, aux choses comme ça.

Je faisais également du canotage, au lac du bois de Boulogne, au lac de Vincennes, le lac Daumesnil. Jamais sur la Marne parce que c’était trop profond. J’ai peur de l’eau. Je nageais, mais je ne peux pas dire que j’ai fait des performances alors que mes enfants sont presque des champions, sauf la dernière. Quand la dernière a eu 4 ans, j’ai dit : « maintenant tu vas apprendre à nager ». J’avais une de mes belles-sœurs qui avait un magasin de maillots de bains, de ballons, de canards pour les enfants. Un jour, je lui ai demandé : « tu viens, on va aller chez tata et puis tu vas choisir ton maillot de bain ». Alors je lui achète un canard. Ils se mettaient dessus, pour ne pas se faire de mal. « Maintenant tu choisis ton maillot de bain ». Alors elle regarde et je j’ajoute : « et puis tu en prends deux, le temps qu’il y en ait un qui sèche ». Elle ne se décidait pas. « Qu’est ce qui t’arrive ? Dépêche-toi, il faut quand même que l’on s’en aille ». Elle m’explique : « tu comprends, il faut que mes deux maillots aillent avec mon canard, qu’ils soient assortis ». Elle avait déjà du goût.

Que retenir de ce siècle ? Quand ma fille aînée s’est mariée, mon fils était à la guerre en Algérie, alors j’ai dit à mon père : « après mon père, mon mari, mon fils, ça va s’arrêter quand ». Il y a trois, quatre ans, j’ai eu peur. J’ai pensé : maintenant ce sont les petits-fils. Après les petits-enfants, il y aura les arrières petits-enfants. J’en ai déjà deux, des garçons. Je n’y serai plus alors.

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