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Mr Glenant né en 1934

Métier d’Instituteur au cours du 20ème siècle

lundi 15 février 2010, par Frederic Praud

Monsieur R, née en 1934

Je suis originaire de la région parisienne, de Paris 13ème. Mes parents habitaient Argenteuil. Mon grand-père paternel était intallé à Grenoble dans la ganterie. Ma mère était originaire des confins de la Normandie et de la Bretagne, à Laval.

J’ai des souvenirs précis à partir de 6 ans. Je vivais chez mes grands-parents qui tenaient un établissement de bains douches à côté de la gare d’Argenteuil. Il y avait très peu de salles de bains à cette évoque. Il était ouvert tous les jours, pour bien plus tard ne finalement ouvrir que les vendredis, samedis et dimanches matins. Quand mon père est revenu de la guerre, nous avons réintégré notre appartement.

Je me rappelle des tickets de rationnement, tout était par ticket, le pain et le reste. J’avais 6 ans et 10 ans à la libération. J’avais 10 ans le 26 août quand le Général de Gaulle est entré dans Paris. On habitait au troisième. Des allemands marchaient, complètement délabrés. Ils voulaient se faire faire prisonniers, ils marchaient. Il y en a un qui était attardé au bout de la rue. Un soi-disant résistant s’est précipité vers lui et l’a poignardé dans le dos.

Je me souviens également du ring qui était monté sur la place de l’église. On faisait passer à la tondeuse les femmes qui avaient fréquenté les allemands, sur un ring pour que tout le monde voit bien.

Plus tard, j’ai acheté une maison à saint Jean les Busy entre Metz et Verdun. Ma maison était une ancienne fermette lorraine. C’était un véritable débris quand je l’ai rachetée. C’est très grand. J’ai un voisin un peu plus âgé que moi qui continue à appeler les allemands "les boches". Il a vécu toute sa vie à 20 kms de la frontière. Il était fier d’être français et n’a pas encore pardonné aux allemands.

Je me suis toujours demandé ce que j’aurais fait si j’avais eu 20 ans en 40. Je pense que j’aurais été résistant mais ce n’est pas sûr. Par la suite en internat nous ne parlions pas de cette période. Nous voulions être indépendant par rapport à nos parents. Cela faisait 6 ans que c’était fini. Nous, on voyait l’avenir.
L’école normale

J’étais très bon élève. Je travaillais beaucoup mes devoirs. Je faisais un peu de football dans ce qu’on appelait l’île, sur les bords de seine. J’ai eu une enfance tout à fait tranquille jusqu’à 16 ans. J’étais très bon élève. On me disait de faire l’ENA, l’Ecole Nationale d’Administration. Mon père m’a un jour expliqué : « Si tu veux continuer tes études, ce sera par l’école normale parce que je n’ai pas les moyens de te les payer, ou alors tu fais des concours pour rentrer dans une banque ou à la SNCF".

J’ai passé trois concours, les banques, la SNCF du point de vue technique et exploitation, et l’école normale. J’ai tout réussi et j’ai choisi l’école normale pour passer le Bac. J’y suis rentré à 16 ans en 1950. Elle était située à Versailles. L’entrée à l’école normale était basée sur un concours où tout le monde avait les mêmes chances. Il fallait être fort en math et en français. Il fallait montrer que l’on était un très bon élève à la sortie de la troisième. L’internat était pris en charge intégralement par l’Etat. De plus, en quatrième année, nous étions payés comme stagiaires.

J’étais interne. Alors là j’ai totalement changé. Du très bon élève que j’étais, je suis passé à philosophe et j’ai fait des bêtises sans arrêt. J’ai été consigné de nombreux samedis et dimanches. Je devais alors rester à l’école normale pour avoir jeté des encriers sur l’arbre du Directeur, avoir mis un rat sous une corbeille en bois. Le surveillant a levé ça et l’a découvert. Je fumais dans les dortoirs alors que tout le monde dormait.

L’école normale se faisait en trois ans, seconde, première terminale, et une quatrième année de pédagogie où on était stagiaire. J’ai passé quatre ans dans cet internat, de 16 à 20 ans. La formation de quatrième année se passait dans des écoles sur le secteur de Versailles, mais nous devions revenir à l’école normale.

Nous voulions prématurément être au-dessus de tout. Je n’avais pas de lacets à mes chaussures par exemple. J’ai eu des consignes pour ça, parce que j’avais une allure trop décontractée, pas assez stricte. Mais malgré tout on sentait que ça allait venir, qu’on allait pouvoir être plus décontracté. On n’allait plus être obligé d’avoir des lorgnons et cravates. Le brevet supérieur commençait à disparaître. Nous ne le passions même plus, nous passions directement le Bac. Dans l’esprit, nous étions un peu les précurseurs de ce qui allait se passer dix ans après. Mes amis étaient comme moi, assez anarchisants. Il y avait également des militants communistes et catholiques. Quelquefois ça faisait des étincelles mais au point de vue des idées seulement. Les élèves venaient souvent du milieu ouvrier. On comptait aussi quelques militants espéranto. Ils voulaient que tout le monde l’apprenne pour se comprendre. On a beaucoup critiqué l’espéranto en disant que c’était à base de latin et que cela favorisait les italiens et français.

Période militaire

Pour l’armée j’avais un sursis. On était tous plus ou moins pacifistes. On voyait d’un mauvais œil de partir au service militaire. Certains étaient tellement antimilitaristes que lorsque l’armée française a été battue définitivement à Dien Bien Phu, ils se sont mis à chanter alors que des français périssaient en grand nombre. Nous étions contre l’armée et c’est pour ça que j’ai connu les hôpitaux psychiatriques après. J’ai fait le fou.

Pendant mes trois jours comme j’étais en pleine forme je ne pouvais pas le cacher. Selon un haut gradé « Un mètre 80, 80 kilos, de très bons tests, vous allez faire un bon sous-lieutenant ! ». Je suis donc envoyé aux EOR (Elèves Officiers de Réserve) près d’Alger.

Le dimanche, le premier jour, on a joué au volley-ball. Là, j’étais bien d’accord. Le lendemain, il y a eu une séance de tir et je suis resté au lit. Un gradé est passé, il m’a demandé qu’est ce que j’avais ? J’ai répondu que ça n’allait pas. Et j’ai commencé à faire le fou. Dans la journée j’avais la boule à zéro, je balayais les waters. J’étais dirigé par des adjudants qui étaient presque pour l’OAS, mais par contre les hauts gradés, les commandants discutaient avec moi et avaient déjà la même attitude que le Général de Gaulle allait avoir. Les gradés étaient pour la paix en Algérie. Ils parlaient avec moi et me disaient « ça va se passer, de toute façon on vous comprend ». Les adjudants de métiers étaient totalement pour l’Algérie française, ils préparaient déjà les idées de ceux qui voulaient lutter contre la France.

Un jour alors que je balayais un foyer on m’avait donné un paquet de troupe. Je sors la cigarette aux lèvres et je bouscule un brigadier. Il me demande mon nom et je lui réponds « Arsène Lupin ». Il a noté et a appelé le dénommé Arsène Lupin au rassemblement à midi. Je suis donc allé de bureaux en bureaux, avant de me faire éjecter des blindés.

Vers la fin de mon séjour, les autres de ma section me demandaient « Ecoute, arrête tes conneries » parce qu’on faisait des marches de nuit et beaucoup d’autres choses de cet ordre. Si je n’avais pas été là, ils auraient eu la belle vie car l’armée prenait des mesures de rétorsion contre tout le monde. Les autres en avaient marre, mais il n’y avait pas d’animosité. J’avais des motifs de cellule, de prison et de simple police. Selon les bêtises que je faisais, on m’envoyait dans le lieu approprié.

Je me suis fait réformer sans encombre. S’ils avaient eu le même état d’esprit que précédemment, je serais allé dans des régiments disciplinaires, alors que là j’étais uniquement dans un régiment semi-disciplinaire, un régiment d’intendance. Il fallait faire les paquetages au carré. Ils donnaient un grand coup de pied dedans quand ils n’étaient pas bien faits et il fallait que je les recommence.

Au bout de trois mois d’armée on est réformé. J’ai donc été réformé définitivement. La réaction des gens autour de mois était de dire : « On est d’accord avec toi, mais on a des enfants. On ne veut pas d’ennuis ».

Instituteur

On ne m’a jamais dit ouvertement que cela me causerait des ennuis en tant qu’instituteur, mais je savais que dans les bureaux de l’inspection académique on devait parler. « Il est parti, il y a trois mois et il revient déjà. Que s’est il passé ? ». Mais les bêtises que j’ai faites à l’armée pour me faire réformer m’ont posé des problèmes plus tard. Quand je suis rentré j’ai toujours par la suite été pris en sandwich. « Ou bien vous êtes tout à fait normal et vous êtes contre l’armée française, vous n’avez donc pas à être instituteur. Ou bien vous êtes réellement fou et vous ne pouvez pas être instituteur. Vous ne pouvez pas enseigner non plus ». Il n’y avait pas de textes dans ce sens mais ça se faisait dans les bureaux de l’Académie. J’avais 23 ans. J’étais réformé P4, réformé définitif numéro 2.
J’ai trouvé un poste immédiatement à Argenteuil. J’ai eu une altercation avec un inspecteur et j’ai été déplacé d’office à Chars. Selon lui je ne faisais pas la classe comme il fallait. J’étais un peu survolté et je n’avais pas été d’une politesse exemplaire vis à vis de lui. Il m’a alors déplacé d’office pour finir l’année. A la rentrée je n’avais pas de poste. Je suis quand même allé à Chars. Le directeur n’était plus là mais uniquement deux jeunes instituteurs. Je les ai informés : « Je n’ai pas eu de nomination et je suis venu ici car j’étais là au mois de juin. Je ne comprends pas que le directeur ne soit pas là ». A 24 ans, j’étais le plus âgé. Ils en avaient 22. J’ai téléphoné à l’Académie et ils m’ont demandé « Quel est le plus âgé ? ». « C’est moi ! » « Alors vous faites fonction de Directeur à partir de maintenant ». J’ai donc été Directeur pendant trois mois, puis on m’a inspecté. Une mauvaise inspection 6/20 et c’est là que l’on m’a demandé d’aller me soigner à la Verrière, à la maison de santé des Instituteurs, pour les suites de l’Algérie. La Verrière était un hôpital psychiatrique où était appliquée la technique de la porte ouverte. L’hôpital était également en mutation. On m’a ensuite relâché.

J’étais militant totalement indépendant J’étais un peu anarchiste. Mais quand j’ai fait mon métier d’instituteur, je n’ai jamais eu d’idées subversives. J’ai fait mon travail normalement. Les idées, c’était uniquement entre moi et l’administration. Je n’ai jamais été un militant syndical. Mais en tant qu’enseignant nous avons vu venir les événements de 68. Ma façon de vivre est devenue petit à petit celle de tout le monde. On voulait tout remettre en cause, la paix en Algérie et partout. Le rock qui fait son apparition. Un jeune homme de 24 ans à cette époque arpente les rues, joue du piano. Il écoute Bill Halley, aime beaucoup le rock, le jazz.

Contre le paternalisme

Je trouvais mes aînés instituteurs un peu trop paternalistes. J’ai lutté toute ma vie contre ça, pour moi chacun doit faire ce qu’il veut en étant en droite ligne avec la morale. Mais parler comme un père m’a toujours paru difficile. Beaucoup plus tard quand j’ai eu mes enfants, j’ai eu du mal à assumer ce rôle de père, car il était toujours pour la liberté d’agir. Donc j’ai laissé faire des bêtises à mon fils sachant que ça lui passerait. Et maintenant il est chez les capucins. Il est encore plus mystique que moi. Au début j’étais déçu car il faisait génie civil et était bien noté. Quatre mois avant le Bac, il a tout laissé tomber. Il a lu les pensées de Pascal, pendant les vacances de la Toussaint et après ça été le Secours Populaire Français, la paroisse, les catholiques d’Argenteuil. J’étais catholique mais non pratiquant, mais je ne l’ai jamais éduqué en ce sens. Chez les Capucins, ils alternent les moments de travail, comme aide soignant, et d’études pendant 8 ans. C’est un ordre séculier, ils font donc partie du siècle, à l’inverse des Franciscains, ordre régulier ou tout le monde vit en monastère. Je me reconnais un petit peu dans ce qu’il fait, mais un petit peu seulement dans ses études, car j’aurais préféré qu’il fasse génie civil.

Mon maître en tant qu’instituteur est Jules Ferry. J’étais à la fois anarchiste dans ma vie, mais en tant qu’instituteur j’étais totalement pour faire apprendre à lire, à compter, à écrire. Je suis contre le laisser aller dans les classes. Il faut mettre les choses dans les crânes. On faisait apprendre les tables, 2 fois 1 deux, deux fois trois six, et ceci collectivement. Alors que maintenant on les prend individuellement, donc celui qui vous écoute en retire le bénéfice, mais l’autre qui reste enfant à faire des bêtises est laissé de côté. Il y avait donc une dichotomie entre ma vie professionnelle et ma vie civile.

Plus tard quand je suis devenu prof de français dans les années 70, après avoir repris des études à Nanterre, les élèves me posaient des questions sur le sens des choses. « Que pensez-vous de ça ? ». Je répondais, « en tant que professeur je n’ai rien à vous conseiller, vous pouvez penser ce que vous voulez ? Vous écoutez tout le monde, famille, professeur , médias et après vous réfléchissez par vous-même ».

J’avais repris mes études après 68, parce que simplement je voulais être prof. J’en avais assez d’être instituteur. J’ai vécu 68 en tant que partie prenante. J’étais partout à la fois. J’étais bien dans ma peau. J’allais à la fac, à la comédie française, un peu partout. De 68 je garde des images extrêmes, que j’ai simplement vues à la télé. Les pavés qui étaient lancés et la police qui chargeait. J’ai ressenti les discussions entre étudiants et travailleurs avec un certain plaisir mais en même temps je voulais l’ordre et pas la chienlit comme disait de Gaulle. On peut très bien être anarchiste et ne pas aimer le désordre. Cela paraît opposé mais cela ne l’est pas. Je ne dépendais d’aucun parti, mais j’étais d’accord quand de Gaulle a dissous l’assemblée, quand il n’a plus voulu de chienlit. D’un seul coup la France s’est réveillée et l’a remis au pouvoir. J’étais d’accord avec les Gaullistes. Tout le monde considérait de Gaulle comme son grand-père à cette époque, y compris les communistes.

Professeur

J’avais donc 34 ans quand je suis retourné à l’Université à Nanterre. Les étudiants me prenaient pour un flic. Je leur disais que j’étais des leurs, que je reprenais mes études. Mon expérience professionnelle m’a servi car sans travailler beaucoup j’ai obtenu ma licence de lettres modernes et lettres classiques. C’était encore chaud à Nanterre. Ils mettaient des affiches partout et continuaient à s’énerver. Il s’y tenait encore des assemblées générales mais je n’y allais pas.

Ce n’est pas tellement le métier d’instituteur ou de professeur qui a changé mais ce sont les enfants. Jusqu’à 10 ans les enfants sont corrects mais après c’est devenu difficile. J’ai enseigné jusqu’à l’année 2000. En 1970 je suis devenu prof en collège d’Etat et ce pendant 20 ans. J’ai eu plusieurs postes dans la région parisienne pour finir ma carrière au Collège d’Enseignement Secondaire Jolliot Curie à Argenteuil.

Les enfants ont mal compris 68. Ils ont vu leurs parents agir avec trop de laisser aller. A chaque fois que je disais aux élèves de passer des concours, ils voulaient tous faire des études. Tout le monde pense Bac plus 5 et il n’y a plus de place. Les jeunes et les parents se sont mis à penser bac et le plus possible. Ils ne veulent plus prendre les petits métiers, rentrer dans les administrations. La cause est à rechercher aussi bien dans les médias que chez les parents voire aussi chez les professeurs. Que fait un prof ? Il veut que son fils fasse comme lui et pourtant tout le monde sait qu’un boulanger gagne plus sa vie qu’un enseignant.

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