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Les enfants juifs cachés par des réseaux

Mr Wilkovski né en 1932 en Pologne

samedi 25 novembre 2006, par Frederic Praud

texte Frederic Praud


De la Pologne à la France

Je suis né en 1932 en Pologne, à Dantzig. Mes parents sont arrivés en France en 1933 pour fuir les pogroms des SA qui avaient occupé les Sudètes et Dantzig. Dans la mesure où j’avais à peine un an, je n’ai pas eu de problèmes d’intégration. Je suis naturellement passé par la maternelle. Peut-être mes parents m’ont-ils dit pourquoi ils avaient choisi la France mais pour eux comme pour beaucoup de gens qui venaient des pays d’Europe, c’était le pays de la liberté, le pays où l’on était accueilli… C’était la terre d’asile. C’était également l’antagonisme vis-à-vis de l’Allemagne.

Nous sommes arrivés à Belleville car la communauté juive d’Europe centrale s’installait là, dans un cadre communautaire. Ils retrouvaient des gens qu’ils connaissaient et qui les aidaient. Nous parlions français ou yiddish avec mes parents.

Beaucoup de communautés juives de Hongrie, de Pologne ou d’ailleurs, sont arrivées en France où il existait quand même une tradition de lutte, une tradition de classe ouvrière.
J’ai défilé avec mon père en 1936… Je portais alors une cravate rouge que mon père m’avait confectionnée. J’avais quatre ans.

L’exode en juin 1940

J’ai fait l’exode mais je n’en ai pas beaucoup de souvenirs. Nous sommes partis mais je ne sais pas où ni combien de temps. Je me rappelle juste que nous avions dormi dans une caverne… J’étais parti avec ma mère car mon père s’était engagé comme volontaire dans l’armée française. Il n’était donc pas avec nous.

L’occupation allemande

Le souvenir marquant qui me reste est la première réaction de ma mère... Je partais avec elle faire les courses quand elle a vu le premier soldat allemand : elle s’est évanouie. J’ai compris pourquoi après.

Un jour, nous avons voulu lui faire une blague avec mon frère. Nous arrivons donc sur le pallier, devant la porte de l’appartement. Nous frappons avec beaucoup de force et de fermeté mais cela ne réagit pas dans l’appartement. Nous refrappons donc et disons : « Police ! ». Mes parents ont ouvert. Quand ils ont vu que c’était nous, je vous passe la suite… Et ils nous ont expliqué. Nous savions donc, pour des raisons que nous ne déterminions pas forcément, qu’ils avaient une crainte de la police. Sinon, nous n’aurions pas fait ça !

Les Allemands étaient corrects au début. Pour moi l’occupation était surtout synonyme de restrictions alimentaires mais c’était pareil pour tout le monde. Pour avoir un peu plus d’alimentation ma mère, mon frère et moi allions faire la queue dans des magasins différents. Comme mon père ne fumait pas, il devait sans doute faire du trafic avec les cigarettes auxquelles il avait droit.

A l’école, nous recevions aussi des gâteaux vitaminés, des bonbons vitaminés, du chocolat vitaminé… le chocolat était infect mais les bonbons étaient bons !

Les bombardements

En 1941, il y eut des bombardements de la gare de triage à la Chapelle. Nous descendions dans les abris. A Paris, on trouvait un petit panonceau avec marqué « ABRI » sous certaines portes d’entrées des immeubles. Là, les caves étaient assez profondes pour pouvoir mettre les gens un peu en sécurité. Belleville est assez creux, la place des Fêtes l’est encore plus comme la porte des Lilas… alors nous allions également dans le métro quand il y avait des bombardements.

Les familles descendaient, hommes, femmes, enfants, avec les couvertures, un peu d’alimentation parce que l’on ne savait pas combien de temps on allait rester dans les caves.

Le recensement

L’administration a demandé aux juifs d’aller se faire recenser dans les commissariats. Il y eut des mises en garde, des conseils pour ne pas le faire. On l’a su après mais à aucun moment, ceux qui sont aller se faire recenser pouvaient imaginer ou supposer la suite des évènements : à quoi pouvait servir ce recensement.

La France était l’un des rares pays où la religion n’était pas indiquée sur les pièces d’identité. C’était un pays laïc. Nos parents ne nous disaient rien de ce que les Allemands leur avaient fait subir, ni par où ils étaient passés.

Je ne me souviens pas qu’ils m’aient mis particulièrement en garde. Ils avaient sans doute une autre démarche qui était de préserver la sécurité familiale, de laisser les enfants au-dehors des réactions ou des appréhensions qui pouvaient être les leurs.

Les lois vichystes, l’antisémitisme

Les lois pétainistes anti-juives interdisaient aux juifs de sortir après huit heures du soir à Paris. Elles concernaient aussi tous les interdits professionnels. On ne pouvait pas entrer dans la fonction publique quand on était juif. Les professeurs et instituteurs juifs ont ainsi été exclus de la profession. Certains commerces étaient interdits aux juifs à commencer par le Lissac, le premier lunetier.

Je n’ai pas connu de problèmes d’intégration jusqu’au jour où il a fallu que l’on porte l’étoile, en juin 1942. A partir de ce moment, une pression a été exercée sur nous à l’école. Je me battais parce qu’on me traitait de juif, de youpin.
L’un des professeurs avait un comportement antisémite. Cela devait favoriser les réactions des gosses à l’égard des enfants juifs qui étaient dans l’école. Devant les insultes, quand on est enfant, on se bat. C’est le coup de poing. Je pense qu’aujourd’hui si dans une école on traite un jeune Maghrébin ou un jeune Noir africain de « sale Negro » ou « sale Bougnoule », il réagit de la même façon que nous. Nous avions des copains, juifs ou non, à l’école, comme tous les mômes. On ne faisait pas la distinction mais à partir du moment où l’on a porté l’étoile, on a perdu les copains qui n’étaient pas juifs. Cela venait sans doutes des recommandations des parents qui disaient : « Attention ! »

Personne ne voulait plus sortir après avoir été obligé de porter l’étoile juive mais il fallait faire les courses. Ni ma mère, ni mon père, ne voulaient sortir. Ils nous envoyaient donc faire des courses en pensant : « Les gosses ne risquent rien ». Mais on ne voulait pas sortir non plus. C’était la honte ! Nous étions marqués.

Il y a quand même eu de la compassion de la part de certains. Ils ne le formulaient pas mais on le sentait. Pour ceux qui nous connaissaient, c’était plutôt : « Mon pauvre petit ! ».

Mon jeune frère qui avait quatre ans et n’était pas obligé à son âge de porter l’étoile, eh bien c’était le seul à vouloir absolument la porter et sortir ! Alors que mon frère de deux ans de plus que moi, et moi ne voulions pas sortir. Nous avons été obligés et nous nous sommes habitués à sortir avec… Cela a duré un bon mois avant qu’on ne parte en vacances. Nous avons été placés dans un centre où nous l’avons enlevée.

L’arrestation de mes parents

Comme la période était un peu trouble, même si on ne le mesurait pas vraiment en tant que gosse, mes parents avaient pris la décision d’aller se cacher dans la banlieue de Paris, à Montfermeil. Personne n’a voulu les accueillir. Seul un couple a bien voulu accueillir les enfants. Ils nous ont donc, moi et mes frères, placés chez des gens pour les vacances et eux sont rentrés à Paris. Ils sont venus nous voir une fois, la semaine d’après sans doute, puis nous ne les avons plus revus puisqu’ils ont été arrêtés le 16 juillet à la rafle du Vel’ d’Hiv, comme on l’appelle maintenant. Ma mère a été arrêtée ce jour-là mais pas mon père… Je ne sais pas dans quelles circonstances cela s’est passé et on ne le saura jamais.

Mon père, lui, a été considéré comme déporté volontaire. Ma mère, après avoir été arrêtée au Vel’ d’Hiv est sans doute partie à Drancy. Mon père est alors allé là-bas pour faire l’échange et prendre la place de ma mère. Seulement, ils l’ont gardé avec. C’est pourquoi il est considéré comme « déporté volontaire ». On ne les a plus revus après la rafle. Nous, enfants, ne savions pas ce qui leur était arrivé. Nous ne l’avons su qu’après la guerre. On a découvert qu’ils avaient été déportés petit à petit en constatant qu’ils ne revenaient pas. Nous ne savions pas, à l’époque, qu’ils avaient été déportés. Nous ne savions rien. Les gens qui nous ont pris en charge après, nous disaient : « Vos parents, ne vous inquiétez pas, ils sont cachés. » parce qu’ils voulaient sans doute nous préserver. On ne savait pas qu’ils avaient été arrêtés et ce qu’ils étaient devenus. On ne l’a su qu’après la guerre quand on a parlé de la déportation….

Montfermeil

Après avoir été recueillis par ces gens, comme le temps passait, nous avons été scolarisés à Montfermeil avec mes frères. On ne portait plus l’étoile car les gens nous l’avaient enlevée y compris pour leur propre sécurité. Tout se passait bien. Nous n’avions pas de nouveaux papiers. Nous étions notés avec notre vrai nom à l’école.
Nous étions scolarisés normalement jusqu’au jour où la préfecture a demandé aux gens qui hébergeaient des adultes ou des enfants de faire une déclaration d’hébergement à la préfecture. A partir de là, les gens ont dit : « On ne peut plus vous garder ». Soit ils faisaient la déclaration, et dans ce cas je ne sais pas ce qu’on devenait, soit ils ne la faisaient pas et étaient en défaut. Début 1943, nous quittons Montfermeil pour la Normandie.

La Normandie

Les gens qui nous hébergeaient ne nous gardaient pas gratuitement. Il fallait leur payer une pension. Mon père, tailleur avait informé un ami en lui demandant : « S’il nous arrive quelque chose, voilà. ». Il lui a donné quelques bijoux, un manteau de fourrure, des trucs comme ça. « Et, s’il arrive quelque chose, préservez les gosses. Ils sont là ». Ce monsieur a donc pris contact avec l’un des employeurs de mon père. Mon père était façonnier et il travaillait même temps pour sa propre clientèle. Chaque semaine ou chaque mois, on lui donnait un certain nombre de vêtements à faire pour un employeur. L’un d’entre eux avait un magasin à Boulogne Billancourt et c’est ce couple qui est venu nous voir en nous disant : « Vos parents sont cachés et c’est nous qui venons …… »

Elle était juive et lui demi juif. En tant qu’employeurs de mon père, ils avaient des moyens et nous ont donc pris en charge. Il a fallu partir de Montfermeil. Ils nous ont emmenés dans une résidence secondaire à Saint Pierre d’Autil, dans l’Eure, près de Vernon. Mon petit frère était mort à Noël à quatre ans et demi. Là, ils nous ont appris un nouvel état civil. De Wilkovsky, nous devenions Malstaf. Chaque matin pendant plusieurs semaines il fallait réciter notre nouvelle identité.
Nous récitions que nous avions vécu dans le 15ème du côté de Grenelle – alors que nous ne connaissions que Belleville à Paris – que mon frère s’appelait Francis Henri Malstaf et moi Serge Malstaf. Nous avions deux ans de plus chacun et nos parents étaient morts dans un accident de voiture.

Nous ne sortions pas et étions plutôt sur la réserve. Nous étions juifs et il fallait nous garder de trop nous montrer parce qu’il y avait des arrestations. Nous avions très bien compris cela. Bien sûr, nous ne parlions plus yiddish !

Mon frère devait s’appeler Francis Henri. Son vrai prénom était Henri. J’avais l’habitude d’appeler mon frère Henri et comme son premier prénom était Francis, ils avaient inversé pour éviter une éventuelle erreur. Mon frère s’est donc toujours appelé Henri… Malstaf à ce moment-là. A cette époque j’avais dix ans et à cet âge on ne pense pas à l’avenir, on ne vit qu’au quotidien.

Nous avons appris ce nouvel état civil pendant quelques semaines et lorsque nous avons été au point, si l’on peut dire, ils nous ont mis chez des gens qui gardaient des gosses de l’autre côté de la Seine, après Pressagny l’Orgueilleux. Ils ne connaissaient pas du tout nos origines juives, ni notre véritable identité. Il nous restait à ne pas faire d’erreur. Ils ne s’en sont jamais doutés.

A la Libération, nous avons naturellement expliqué aux gens qui nous étions. Le ciel leur tombait sur la tête, à tel point qu’ils ont voulu intenter un procès pour les risques encourus ! Je suppose qu’à cette période on avait dû leur conseiller de réfréner leurs intentions et de mettre ça dans leur poche avec leur mouchoir par-dessus : ce n’était pas la meilleure période pour intenter un procès avec des motifs comme ceux-là.

Etre jeune pendant la guerre

Nous vivions au jour le jour avec les évènements comme ils se développaient. Vernon notamment a quand même été pas mal bombardée par l’aviation anglo-américaine. Nous sortions dehors pour voir comment se battaient les chasseurs allemands et anglo-américains. On nous disait : « Faut rentrer ! Faut rentrer ! » Mais nous ne pensions qu’à une chose, aller voir les avions se battre ! On a, bien sûr, vu des avions tomber. Je ne dirais pas que c’étaient des vacances mais cela faisait tellement parti du quotidien…

Les avions larguaient parfois leurs réservoirs d’essence ou de kérosène, des engins d’environ deux mètres, deux mètres cinquante… des réservoirs assez grands. On en découpait une partie et le reste nous servait de canoë pour aller sur la Seine !

L’été, le village étant sur le bord du fleuve, on se baignait dans la Seine… à côté des Allemands, des soldats allemands. Je dois dire que nous étions plutôt en bonne relation avec eux. Nous les entendions parler, et comme mon frère et moi avions l’habitude de parler yiddish, nous comprenions ce qu’ils disaient ; et ce n’étaient pas toujours des conversations favorables à la guerre…

Les gens chez lesquels nous vivions à Pressagny l’Orgueilleux, considéraient au bout d’un moment que des enfants sans religion ce n’était pas normal. Il a alors fallu qu’on soit baptisé. J’étais enfant de chœur. Je n’ai pas fait ma communion parce que la Libération est arrivée mais j’ai vécu cette période-là comme ça. Et les gens qui continuaient à payer la pension venaient nous voir de temps en temps et ils ont financé le baptême des deux jeunes Malstaf.
Le tournant de la guerre

Stalingrad a quand même été le tournant… mais s’il n’y avait pas eu des gens en France pour prendre les armes… D’ailleurs après le débarquement, Eisenhower, le général en chef avait dit : « Sans la Résistance sur l’arrière ennemi, le débarquement n’aurait pas été possible. », car les résistants bloquaient les troupes allemandes.

Le sentiment de la population avait également basculé. Il devenait majoritairement favorable à la Résistance. Bien sûr, je ne le ressentais pas en Normandie. Je parle de ceux qui étaient en contact avec la population, car la Résistance n’aurait pas pu se développer sans le soutien populaire. Ce n’était pas possible. Le point de départ fut le STO et les jeunes qui ne voulaient pas aller travailler en Allemagne.

Les collaborateurs à la libération

Beaucoup sont devenus résistants à la Libération ! Beaucoup portaient le brassard F.F.I….

Anecdote locale. Des gens habitaient une maison cossue. Lui était administrateur des biens juifs, anglais, américains pour la région de Normandie. Il se trouve un jour nez à nez avec le monsieur qui nous avait pris en charge. Or, avant la guerre notre chaperon avait été un client du magasin de cette personne. Il a évidemment eu la crainte d’être reconnu. Il prenait également des risques. Cette famille de collaborateurs, celle de l’administrateur de biens, a été exécutée par la Résistance. Tout le monde en avait parlé : une exécution dans un village qui faisait même pas quelques centaines d’habitants !

L’arrivée des Alliés

Nous n’étions pas vraiment informés. J’étais en Normandie. Les gens ont réagi en disant : « Ils ont débarqué ! », c’est tout… mais Pressagny l’Orgueilleux était assez loin des côtes. De plus, les bombardements étant quotidiens, cela ne changeait pas grand-chose. Quand on bombardait Vernon, à six kilomètres de Pressagny, les bombes tombaient également à Pressagny. Nous allions ramasser des éclats dans les trous qu’avaient creusés les bombes …

Je ne sais pas si la famille chez qui j’étais suivait les évènements. Le monsieur, lui comme d’autres, était réquisitionnés par l’armée allemande pour surveiller les voies de chemins de fer. Il allait périodiquement passer la nuit sur les voies…

La libération n’a pas duré longtemps où nous étions, peut-être quarante-huit heures. Les premiers Anglais sont arrivés un soir. Leur casque était drôle. Les Allemands avaient des casques mais les Anglais, eux, avaient plutôt des sortes de plateaux posés sur la tête ! C’était marrant.
Le soir où ils sont arrivés, les résistants du coin sont sortis au grand jour, dévoilant leur réalité mais il y eut des flux et des reflux, parce que les Allemands réattaquaient. Ils étaient redoutés.

J’ai un souvenir vivace du jour de l’arrivée des Anglais parce que j’ai été puni ! Nous devions être à table, prêts à manger le dîner quand la nouvelle est arrivée : « Les Anglais sont là ». Nous sommes tous sortis dans la rue principale. Les résistants étaient là aussi, avec les brassards FFI. Parmi les résistants, il y avait un monsieur que j’aimais bien et qui m’aimait bien, du village d’à côté. Il était armé et je lui ai demandé de me prêter son arme, ce qu’il a fait. Je jouais avec mais quand la dame qui me gardait m’a vu avec ce flingue, elle me l’a d’abord repris puis m’a fait rentrer à la maison en me disant : « Toi, tu ne sors pas de la maison ! ».
Voilà le souvenir que j’ai du premier contact avec l’armée de libération et les résistants !

Mes parents

J’ai quitté la famille chez qui j’étais après la Libération, fin septembre 1944, pour aller dans un orphelinat : l’orphelinat des enfants de déportés. Nous avons appris là que nos parents avaient été déportés, mais nous espérions encore qu’ils reviendraient. Le retour des rescapés des camps a eu lieu au printemps 1945. Ils arrivaient à l’hôtel Lutetia. Comme nous étions gamins, nous n’allions pas là-bas mais nous attendions chaque jour le nom de ceux qui revenaient. Puis il a fallu se rendre à l’évidence que les nôtres ne faisaient pas partie des rescapés…
Juillet 1942 fut la dernière fois où nous avons vu nos parents. En juin 1945, cela faisait presque trois ans que nous ne les avions pas revus et nous nous étions habitués à ne plus les voir.

Nous espérions toujours le retour de nos parents mais le traumatisme n’était pas de même nature que lorsqu’on perd quelqu’un brutalement. Ils avaient déjà disparu. Apprendre qu’ils ne revenaient pas n’était pas une surprise. Nous nous étions habitués au fait…

Comment voyais-je l’avenir ? Nous allions à l’école jusqu’au jour où on nous a dit : « A l’orphelinat, il n’y a plus d’argent… ». Ce devait être le 1er janvier 1947. Nous étions au collège et devions quitter l’école fin décembre 1947. Pour ne pas rester complètement à poil d’éducation, j’ai demandé à retourner à l’école communale primaire, pour pouvoir passer un certificat afin d’avoir au moins un bagage. J’ai donc refait une scolarité à l’école primaire au printemps, jusqu’au certificat d’études que j’ai eu avant d’arrêter l’école.

Nous avons été informés du parcours de nos parents par les informations générales liées à l’arrestation, à la rafle du Vel d’Hiv, du 17 juillet. Ils sont restés à Drancy très peu de jours puisqu’ils ont été arrêtés le 16 et le 17. Ils sont partis à Auschwitz le 23. Nous avons su la date des convois bien après, dans les documents et cette année (2004) nous avons obtenu leur avis de décès. Ils ont daté les avis de décès pour tout le monde au jour de départ pour Auschwitz. Des gens nous avaient dit les avoir vus mais c’était très confus. D’aucuns nous ont dit que ma mère était décédée dans les trois mois qui ont suivi son internement. D’autres ont dit que mon père tailleur avait été incorporé dans les ateliers de confection d’uniformes Mais de tout cela, il ne reste que des points d’interrogation !

Le sens de la Libération

« Le cauchemar est fini ». Nous étions jeunes... Dans cet orphelinat, à Versailles, des copains avaient fabriqué des postes de radio à galène et on se branchait sur Radio Moscou parce que le salut venait de l’armée rouge. Pourtant la France était déjà libérée mais la guerre n’était pas finie fin 1944.

Après la guerre, nous sommes retournés avec mon frère dans l’appartement de mes parents mais il avait été vidé. Nous sommes donc allés chez les voisins qui avaient ramassé quelques photos… et une partie de la maison pour eux. Nous n’avons donc jamais récupéré l’appartement mais nous avions récupéré quelques photos. C’est pour cela que nous n’avions rien dit.
Quand nous sommes redescendus, la concierge nous a dit : « Vous me rendez les clés ? ». Nous avons rendu les clés… Puis j’ai continué comme tailleur. Il fallait gagner sa croûte d’autant plus que mon frère et moi, nous étions seuls.

J’ai donc officié comme tailleur pendant treize ans. Mon frère avait pris une autre direction : magasinier. Mon père était tailleur alors je voulais être tailleur. C’était comme ça ! Je n’avais que quatorze ans à l’époque. Par la suite, le hasard m’a fait rentrer dans la publicité, dans laquelle j’ai fait carrière.

Etre adolescent juste après-guerre, ce n’était pas vraiment l’enthousiasme car nous étions seuls. Nous n’avions plus de famille. Chez mon frère et moi, tout comme chez les copains de l’orphelinat, il n’y avait pas de haine contre la population ou qui que ce soit, sauf contre les Allemands…. mais il fallait que l’on assume notre quotidien.

L’Europe

L’Europe est une dimension politique. Je n’ai rien a priori contre la constitution européenne ni contre la création de l’Europe. Je suis en désaccord avec son contenu, ce qui est différent.

Du point de vue de la réconciliation entre les peuples… A Sarcelles, nous sommes jumelés avec une ville allemande. Je sais que le maire de Sarcelles est un homme de gauche, un social démocrate, donc à priori je n’ai pas de soupçons à son égard. Mais quand je me trouve en face d’un Allemand âgé, la question que je me pose toujours est :
« Qu’est-ce qu’il a pu faire ? » Et quand je me trouve en face de plus jeunes, c’est : « Qu’est-ce que ses parents ont fait ? »
C’est une question lancinante… En résumé, nous n’allons pas passer nos vacances en Allemagne. C’est différent quand la délégation allemande vient à Sarcelles, mais il y a quand même une réticence.

Message aux jeunes

Si on veut avoir une note d’espoir, si les jeunes veulent prendre conscience de la place qu’ils occupent dans la société, il faut continuer à se battre, à résister pour qu’il y ait plus de justice sociale. Même si on n’attend pas les lendemains qui chantent ou le grand soir, la justice sociale est ce qui devrait faire la règle de vie des états et des nations. Il n’y a pas besoin de connaître le malheur pour essayer d’aller vers le bonheur.


Voir en ligne : La Bande Dessinée : Les Migrants

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