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Deportation Drancy

Le dernier convoi est parti le 31 juillet de Drancy... avec mes parents

Monsieur Laufman né en 1928 à Paris

mardi 21 novembre 2006, par Frederic Praud

texte Frederic Praud


Je suis né le 11 juillet 1928 à Paris. Mes parents étaient immigrés polonais. Nous étions juifs, naturalisés français, ce qui fait que nous nous considérions comme des Français à part entière jusqu’au moment de l’occupation. Je parlais d’ailleurs les deux langues quand j’étais gosse. Nous avons eu un parcours assez difficile à partir de l’occupation. J’habitais faubourg St Denis, en plein centre de Paris, dans le 10ème arrondissement, où il y avait particulièrement beaucoup de juifs. Mes deux frères étaient bien plus âgés que moi, ils avaient 18 et 20 ans quand j’en avais 12. Ils sont entrés en politique, et ont milité activement jusqu’à la déclaration de la guerre, ensuite ils ont continué leur activité dans la résistance.

Avant la guerre, les femmes, et ma mère en particulier, ne travaillaient pas. Nous sentions déjà monter l’antisémitisme, notamment à l’école, entre enfants. On nous provoquait en nous insultant, les termes employés sont toujours d’actualité aujourd’hui. Je me sentais personnellement diminué. Je ne réagissais pas aux insultes parce que je ne suis pas un violent. Etant assez timide, j’évitais le contact. Mes parents étant arrivés de Pologne en 1920 gardaient toujours un accent. Ils ne parlaient pas bien français, alors à l’école, comme tout se sait entre gosses, je me sentais différent, je n’étais pas à l’aise.

Je ne peux pas expliquer comment on ressent l’antisémitisme, mais on le ressent. Comment s’en défendre ? Personnellement, j’étais gêné. Nous n’étions pas totalement mis à l’écart dans les jeux, mais nous étions traités de sales juifs.

J’avais des devoirs à faire en rentrant à la maison – j’étais assez bon élève – mais mes parents ne pouvaient pas m’aider du fait qu’ils ne connaissaient pas la langue française. Je me trouvais donc un peu seul. Mes frères aînés ne pouvaient pas non plus m’aider car ils travaillaient. Ils quittaient l’école quand j’y suis entré. Mes parents ne m’ont jamais dit de me protéger de quoi que ce soit, mais je ne leur parlais pas non plus des problèmes que je pouvais rencontrer à l’école avec les copains. Je n’étais pas tout seul dans ce cas, nous étions plusieurs. Vous savez c’est dur quand vous êtes fils d’immigrés !

On ne m’avait rien appris du tout sur les Allemands. Je savais juste qu’une partie de ma famille avait été arrêtée et était dans le camp de Gurs dans les Pyrénées Orientales. On les avait mis avec les réfugiés espagnols après leur arrestation en 1938, un an avant la guerre. Nous avons eu des problèmes de ce côté-là de la famille. Alors tout çà, çà se ressent dans la vie d’un enfant.

L’exode

Je suis parti en exode avec ma mère dès le début de la déclaration de la guerre. Mon père était dans la défense passive. Il fallait mettre du bleu aux fenêtres et du papier gommé en croix pour qu’en cas de bombardement, les éclats de verre ne voltigent pas. Nous sommes partis à pied, comme tout le monde, jusqu’à Etampes. Là, un vieux train de marchandises, nous a emmenés jusqu’à Limoges où l’on a stationné. Nous sommes restés là.

Paris étant occupé à ce moment là, nous sommes remontés chez nous par le train. J’ai retrouvé mon père en revenant. Nous étions partis à trois : ma mère, moi, et l’une de mes tantes. Un de mes frères est parti en exode avec la maison dans laquelle il travaillait et l’autre était au régiment, dans les camps de jeunesses à Villard - de - Lans, en zone sud.

L’occupation au quotidien

Certains cinémas étaient strictement réservés aux Allemands, quant aux autres, nous n’avions pas le droit d’y aller. Ils occupaient également les grands hôtels. Tous les grands hôtels de Paris étaient ainsi réquisitionnés. On ne pouvaient pas passer devant parce qu’ils avaient mis des barrières. Il fallait alors contourner les lieux, il y avait toujours un soldat en faction devant chaque entrée.

Je portais l’étoile jaune, conséquence de l’antisémitisme. Nous n’étions pas à l’aise, mais les Allemands nous ont obligés à la porter. On la camouflait plus ou moins de façon à ce qu’on ne la voit pas. Quand on montait dans le métro, on n’avait pas le droit à tous les wagons, juste au dernier qui nous était réservé. On la cachait parfois en mettant quelque chose dessus, comme un vêtement ou avec un paquet. Lorsque l’on est gosse, on arrive à tricher, mais les grands ne pouvaient pas parce qu’ils risquaient trop gros, par exemple de se faire arrêter, avec toutes les conséquences que cela pouvaient entraîner.
Petit, on prend l’habitude. S’il fallait porter l’étoile, on le faisait, même si au fond de nous, on savait ce que cela voulait dire : nous n’étions pas considérés comme les autres. Quant aux adultes le risque était immense. Je ressentais vraiment du racisme de la part des autres jeunes, comme je le ressens à nouveau chez certains aujourd’hui. C’est la même chose. Je n’ai pas subi de violence à proprement parler, mais il arrivait parfois que les Allemands arrêtent les gens dans la rue au hasard. N’importe qui ! On ne savait pas pourquoi ! Ils les faisaient monter dans les camions et partaient avec eux. Ce sont quand même des conséquences de la guerre. Cela marque. Ça reste… Cette peur au ventre tout le temps ! Cette envie de fuir et de se sauver lorsque l’on voyait les camions arriver.

Mes frères

Mon frère a été arrêté en 1942 comme politique, et non en tant que juif. Il fut interné à la prison de La Santé pendant six mois. Ils ne l’ont pas relâché et l’ont interné à nouveau au camp de Pithivier où la gendarmerie française l’a encore gardé six à huit mois. Et de là, il a été déporté en Allemagne en 1943. Il travaillait en usine à Berlin. Un jour, il eut une permission et n’est jamais retourné en Allemagne. On l’a revu en janvier 1944. Il est resté et a été caché chez des gens. La fille de cette famille est devenue sa femme après la guerre.

Mon autre frère, lui, a été libéré des camps de jeunesses en 1940. Il a travaillé normalement pendant quelques mois et a ensuite été arrêté non pas en tant que juif… mais en tant que juif aryen, du fait que nos parents étaient français naturalisés. Il a été déporté à l’Ile d’Aurigny, en face de Cherbourg. Il a pu s’évader après le débarquement, et est revenu en octobre 1944.

A 14 ans, j’ai trouvé facilement mon premier travail comme imprimeur dans la rue du Faubourg Saint-Denis. Je suis compositeur typographe. Le Syndicat du Livre existait déjà en 1942 pendant la guerre et j’ai commencé par me syndiquer.
Je n’avais pas de carte d’identité à cet âge là, donc je n’avais pas à la présenter. Je n’ai eu aucun problème. Je suis rentré à 14 ans dans l’imprimerie et j’en suis sorti à 60, toujours dans le même métier.

Mes parents

En 1942-43, je ne savais pas encore que les Allemands déportaient les juifs dans des camps de concentration. Je ne l’ai su que quand mes parents ont été arrêtés le 16 juillet 1944, ils ont été internés à Drancy puis déportés le 31 juillet à Auschwitz , trois semaines avant la Libération de Paris,ils ne sont jamais revenus…je suis orphelin de mes parents…Pourquoi n’ai-je pas été arrêté ? Le hasard, ça compte parfois... Lorsque les Allemands sont venus arrêter mes parents, je travaillais. Ce jour là était un samedi matin. Or, c’est la seule fois où j’ai travaillé un samedi ! Normalement, c’était un jour de repos. On faisait la semaine normale, on terminait le vendredi, et ce jour là mon patron m’a demandé de venir le lendemain. J’avais 16 ans.

J’habitais dans le passage Brady, Faubourg Saint Denis, dans le 10ème arrondissement. Il n’y avait alors que des magasins de vêtements, d’habillement, de couture. Quand je suis rentré entre midi et deux heures, après ma matinée de travail, les vendeuses, qui me connaissaient toutes, m’ont pris à part. Elles m’ont dit que mes parents avaient été arrêtés et qu’il y avait les scellés chez moi. Je ne pouvais donc plus rentrer. Tout cela s’est passé trois semaines avant la libération de Paris ! Le dernier convoi de déportés est parti le 31 juillet de Drancy ! … Mes parents étaient dans ce convoi. Et voilà !
Je suis allé retrouver mon frère, revenu d’Allemagne, car je savais où il était. Je suis allé voir les parents de sa future fiancée. Ils m’ont recueilli chez eux pendant à peu près un mois, jusqu’à la Libération : le 23 août 1944. A ce moment là, mon frère et moi sommes retournés dans notre appartement en faisant sauter les scellés, mais tout avait été complètement fouillé, retourné…
Depuis, je ne suis jamais allé en Allemagne. Je ne l’ai traversée à Nuremberg que pour aller en Tchécoslovaquie, en 1947 et 1948. Nuremberg était d’ailleurs en ruine.

Les rafles

Le gros des rafles a eu lieu le 16 juillet 1942. Ma tante, mes cousins, mes cousines de 4 ans, 14 et 16 ans on été arrêtés, déportés et ne sont jamais revenus… Leurs parents aussi bien sûr. A partir du 16 juillet 1942, les rafles on continué. De petites rafles, de grandes rafles…
« Le guichet du Louvre » en témoigne.

Les gens ne fuyaient pas. Comment pouvaient-ils savoir ? Quand mes parents ont été arrêtés, je ne savais pas qu’ils seraient déportés. Je croyais qu’ils allaient revenir ! J’ai toujours cru qu’ils allaient revenir ! Quand la police est venue les chercher, personne n’a dit : « On va vous mettre dans des camps d’extermination »…
Les résistants politiques qui étaient eux aussi arrêtés et envoyés quant à eux dans des camps de concentration, ne connaissaient pas non plus leurs destinations.
Parce qu’ils étaient juifs, mes parents sont allés à Auschwitz. Leurs noms figurent sur les registres des décédés.

Dimanche dernier, je suis allé à la commémoration de la journée de la déportation à Paris. Hormis les juifs, il y avait les résistants et une quantité assez importante d’homosexuels… parce qu’ils ont subi eux aussi la déportation ! Sur l’un des drapeaux figure le nom des camps de concentration, et sur l’autre il y a des triangles de différentes couleurs pour représenter chaque catégorie : politiques, homosexuels, juifs…

Comment voyais-je mon avenir vers 1944 ? J’ai pensé retrouver mes parents pendant presque une année. J’espérais. J’habitais à côté de la gare de l’Est, j’allais donc tous les jours à la gare pour voir si je trouvais quelqu’un que je connaissais, et mes parents en particulier. Puis, quelques mois après, une femme est venue en me disant que mes parents étaient passés dans les fours crématoires.

Les Allemands avant la libération

Dans l’attitude des Allemands, on sentait qu’ils savaient que c’était la fin. On s’en est aperçu car deux-trois mois avant, les bombardements étaient beaucoup plus intensifs. Ils se renouvelaient constamment, constamment… Et il y avait les messages de radio Londres. On ne comprenait pas… ou un peu parfois, parce qu’ils parlaient des bombardements. Ils prévenaient à leur façon que dans telle région ou tel coin on serait bombardé. Et effectivement il est tombé quelques bombes sur Paris.

Après le retour de l’exode, je n’ai plus quitté Paris. Le 19 août 44, les barricades se sont dressées dans la capitale et j’y suis allé. Nous en avons dressé une au coin de la rue de Lancry et de la rue des Marais, qui était face à la caserne de la République. Les barricades étaient faites avec des sacs de sable, des sacs de 20 kgs… Dans Paris, à presque tous les étages, il y avait un sac de sable devant chaque appartement. Nous n’avions pas d’armes, mais on faisait ce qu’on pouvait. Par exemple, on descendait des sacs de sable de la rue de Lancry, du canal Saint Martin jusqu’à hauteur du boulevard de Magenta, et on les apportait sur les barricades. Tout le monde amenait tout ce qu’il pouvait, en plus des sacs de sable.
De l’intérieur de la caserne ils tiraient, tiraient sur tout ce qui bougeait ! Ils avaient en enfilade le boulevard de Magenta et la rue des Marais. Cela a duré une semaine, jusqu’à ce que les Allemands soient faits prisonniers et quittent la caserne de la République.

Ce fut une semaine importante pour moi. Paris s’est soulevé, mais n’était pas libre pour autant. Durant ces jours là, je n’avais plus de domicile vraiment fixe à cause des évènements liés à mes parents et les scellés sur la porte. J’habitais rue de Château-Landon, un peu plus haut derrière la gare de l’Est. Comme mon travail était situé à Réaumur Sébastopol, je faisais donc le chemin à pied tous les jours. On entendait des échanges de coups de feu dans la gare.
En hommage aux personnes qui sont tombées sous ces balles et à celles qui ont été fusillées une plaque commémorative a été apposée rue de Maubeuge.
On passait par là comme tout le monde. Un peu de la même façon que le font les habitants d’Israël ou de Palestine. Malgré les fusillades, malgré les canons et tout ce que vous voulez, les gens sont quand même dans la rue : ils circulent.

Je ne me suis pas arrêté de travailler à la libération même si la grève générale avait été décrétée. Je travaillais dans une petite entreprise, chez un imprimeur qui était d’ailleurs un collaborateur. On a continué à travailler, sauf peut être une journée, le 24 ou le 25 août.

Une bonne semaine durant, les FFI ont tiré dans la ville, mais ils tentaient de ne pas le faire sur n’importe qui : du moins pas sur les passants, pas comme les Allemands, qui eux, ripostaient en tirant sur tout ce qui bougeait. Il y avait également des tanks qui tiraient. Je me souviens en avoir vu un renversé sur le côté ! Je l’ai vu, là devant moi… C’était un petit morceau de gloire, mais dans Paris, c’était partout comme ça. Le Faubourg Saint-Denis comptait 5 barricades entre la porte Saint Denis et la rue du Paradis. Ce qui veut dire qu’il y en avait une à tous les coins de rue !
On était heureux d’apprendre que les Américains avaient débarqué, puisqu’ils arrivaient sur Paris, et enfin qu’ils étaient à la porte d’Orléans. C’est sûr : ce fut la joie ! Cette joie là s’est beaucoup manifestée le jour de la victoire, le 8 mai 45.
Effectivement, tout le monde était dans la rue, dansait, chantait. Peu ont dormi ce jour là. !

Juste quelques jours avant l’arrivée des Américains, une partie des Parisiens acclamait Pétain, et puis la foule était là aussi pour applaudir De Gaulle quand il est arrivé à l’Hôtel de Ville, ce ne sont peut-être pas les mêmes personnes, mais une partie d’entre elles a sans doute fait les deux… Pour moi, De Gaulle était un militaire. Je veux simplement dire que malgré tout, quand Paris s’est trouvée libérée avant l’arrivée de Leclerc et de De Gaulle, tout Paris était là pour les acclamer. A la Concorde, ou à l’Hôtel de Ville où j’étais, la quantité peu importe, il y avait tout Paris, malgré les coups de feu tirés des toits…
Je n’ai pas entendu De Gaulle dire : « Paris libérée, Paris outragée » parce qu’il y avait trop de monde, mais j’étais là quand il a parcouru le chemin de la Concorde jusqu’à l’Hôtel de Ville…

Mon sentiment sur la guerre

La Libération, c’était le retour de toutes les libertés, mais les cartes d’alimentation ont continué d’être. Il fallait toujours aller chercher le pain avec des tickets.

Aujourd’hui, après cette guerre, on se sent bien.

J’ai conservé mon étoile jaune chez moi. Il faut raisonner, réfléchir… réfléchir pour que cela ne recommence pas… parce que des parents, vous n’en avez qu’une seule fois. Quand on ne les a plus, c’est terrible. J’étais orphelin. Je n’ai pas eu de jeunesse ! Pas d’adolescence…

Message aux jeunes

Il faudrait que les jeunes s’entendent et surtout qu’il n’y ait plus de racisme. Je ne reviens pas en arrière, c’est du passé, mais… aujourd’hui, quand on voit les guerres dues au racisme, ça fait mal. Il faut tout faire pour qu’il y ait la paix et qu’on aille dans le sens de la fraternité de tous et pour tous. Un être humain, c’est un être humain. Qu’il soit blanc, jaune ou noir, il a le droit de vivre comme n’importe qui, et dans le lieu qu’il a choisi.

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