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La DCA, les balles traçantes, les bombes faisaient un peu feux d’artifices

Monsieur Guerre né en 1936 en Ardèche

mardi 21 novembre 2006, par Frederic Praud

texte Frédéric Praud


Je suis né en septembre 1936, en Ardèche. J’habitais un petit village de six cents habitants : Charmes sur Rhône. Mon père était chauffeur routier et ma mère femme de service dans une propriété. J’avais donc huit ans en 1944, l’année charnière pour laquelle j’ai le plus de souvenirs.

Dès le départ, j’ai le souvenir de la pénurie alimentaire : les cartes de rationnement, toutes ces choses. C’est anodin mais même si ma mère se privait de beaucoup de choses, elle faisait toujours en sorte que l’on ait des carrés de chocolat pour nos anniversaires. C’était une denrée très rare.

Mon père pendant la guerre

Mon père, né en 1898, n’a pas été appelé en 1939. Il était régulièrement réquisitionné pendant l’occupation. En effet, la vallée du Rhône a quatre grands axes de circulation : les deux nationales – la nationale 7 et la 86 – et les deux voies ferrées – Marseille ou Nîmes vers l’Espagne. Les hommes, civils, étaient réquisitionnés par les Allemands pour monter la garde dans ces endroits stratégiques. Ils y passaient leurs nuits pour éviter les sabotages mais cela ne les empêchait pas car il y avait quand même des connivences : on luttait contre l’ennemi.

Vers août 44, mon père a été réquisitionné comme chauffeur routier et mis à disposition avec son outil de travail, son camion. Les Allemands commençaient à préparer un peu la fuite car les débarquements avaient déjà eu lieu en Normandie. Cela fut beaucoup plus tardif pour nous. Nous n’avons été libérés qu’en septembre. Mon père est donc resté à disposition pendant quinze jours. Nous avions quand même régulièrement des nouvelles par son patron, par la kommandantur.
Nous savions qu’il était en bonne santé mais nous attendions. Il est arrivé un beau jour avec sa musette. Il avait été libéré car ils n’avaient plus besoin de lui.

Mes souvenirs d’école

Je n’avais que quatre ou cinq ans à l’arrivée des Allemands.. Mes souvenirs se rapportent à la scolarité, sur le chemin de l’école. Toutes les grosses maisons bourgeoises étaient réquisitionnées pour les officiers. A deux kilomètres environ du village, régulièrement, on voyait ces Allemands dans une espèce de petit château. On les appelait les vert-de-gris parce qu’ils étaient habillés en uniforme vert avec une espèce de casquette. Ils étaient à cheval ou à pied avec leurs bottes bien brillantes et quand on les voyait arriver du fond de la rue, notre sang se glaçait un peu. Ces hommes étaient un peu effrayants, pour un enfant.

De plus, nous savions que c’étaient des ennemis. Or, un ennemi, pour un enfant, c’était l’homme qui ferait du mal et on ne savait pas sur qui cela tomberait. Ils étaient armés. A cheval, ils portaient un sabre, sinon un revolver.

J’ai commencé dans une école tenue par les sœurs. Nous avions uniquement droit à Pétain. Il fallait faire des dessins pour le maréchal Pétain : c’était peut-être déjà un effet de rejet mais j’avais une tirelire en forme de petit cochon rose, et j’avais dessiné ce cochon rose ! Je ne savais pas à l’époque que Pétain était le « Président » mais nous étions tenus de faire cela avec les sœurs.

On ne nous parlait pas de l’occupant à l’école. J’obtenais les informations par la famille ou par leurs discussions avec leurs amis… mais pas à l’école. C’était le statu quo. Il y avait une barrière. Nous ne jouions pas non plus tellement aux soldats. C’étaient vraiment les jouets dérisoires : on s’amusait avec des caisses en bois et on essayait de trouver des roulettes…. Nous n’avions pas de jouets, rien.

Les bombardements

J’ai connu tous les bombardements, les attaques aériennes… Tout le monde était très nerveux cet été 1944, surtout les Allemands. Ils étaient harcelés par les maquisards, les FFI. Dans cette vallée du Rhône, nous avions le maquis du Vercors qui était vraiment un noyau de résistance et les maquisards du Massif Central. Tous ces gens venaient donc faire leurs actions sur la vallée. Charmes sur Rhône est à dix kilomètres de Valence. Juste en face de notre village, de l’autre côté du Rhône, se trouvait un très gros dépôt SNCF qui était pilonné pratiquement tous les jours.

Pour un enfant, vivre sous les bombardements, c’est l’angoisse. On se demande : « Qu’est-ce qui va nous tomber dessus ? » La D.C.A., les bombes et balles traçantes faisaient un peu feux d’artifice. C’était presque festif mais nous nous disions « attention ! ». Quand des avions passaient, les sirènes retentissaient et tout le monde se carapatait. Nous partions dans les collines, à deux ou trois kilomètres, avec des sacs contenant les affaires vitales. Ils étaient prêts en permanence et nous montions chez de la famille qui avait une petite ferme dans les bois. Régulièrement, que ce soit le jour ou la nuit, nous partions. Bien sûr, quand on partait, on voyait de temps en temps ces espèces de feux d’artifice, ce qui était amusant, mais on se disait : « Est-ce qu’on va retrouver la maison ? » parce qu’on ne savait pas où cela allait tomber. Ce sont des images qui marquent parce que ce n’était quand même pas la guerre presse-bouton comme on voit maintenant… Nous ne savions pas d’où cela pouvait sortir.

Les maquisards

Un dimanche après-midi où il faisait une chaleur à crever… ma sœur et moi jouions dans l’espèce de cour et que voit-on ? Des militaires débouchaient de derrière le mur avec des mitraillettes, mais nous ne savions pas qui c’étaient à l’époque. Nous nous sommes demandés : « Mais qu’est-ce qu’il veulent faire ? » Ces maquisards venaient chercher à boire. Les maquisards étaient des résistants, surtout des jeunes, des FFI, Forces Françaises de l’Intérieur. Leur emblème était le V, avec la croix de Lorraine.
Ils vivaient planqués dans le maquis, dans ces herbes assez hautes où l’on pouvait se cacher et ils venaient régulièrement faire des échanges.

Ce n’était vraiment pas une période facile. Les Allemands ont tenté à plusieurs reprises d’éjecter les maquisards. Ces actions de sabotage entraînaient des représailles et on apprenait régulièrement que des gens avaient été fusillés dans tel village. Des membres de la population ont ainsi été pendus à Valence. A un moment donné, nous avons été coupés de cette ville car le pont entre Valence et mon village avait été bombardé. Pour nous, Valence était donc un peu l’inconnu parce qu’il fallait traverser avec une espèce de bac.

Le quotidien sous les bombardements

C’est un vrai spectacle quand, en pleine nuit, vous êtes dans la campagne à observer tous ces « feux d’artifice », mais inversement quand cela commence à canarder, vous vous planquez. Tout le monde se planquait sous les arbres ou ailleurs pour ne pas être une cible car cela se passait aussi bien la journée que la nuit.

Je n’ai pas vu de morts… Dans mon petit village, il s’est effectivement passé des choses mais hors de ma vue. Mes parents, eux, ont vu des morts car des gens ont été fusillés mais ce n’était pas un spectacle pour les enfants.

Restrictions alimentaires, marché noir et pillage

Nous ressentions l’angoisse de nos parents notamment quand il fallait rechercher l’alimentation. Il fallait faire la queue. En attendant que ma mère puisse se libérer, ma sœur et moi allions prendre notre place dans la queue devant les alimentations car il y avait une pénurie totale. Il fallait attendre… Nous avions des cartes de rationnement : nous avions droit à du savon, des denrées de base. C’était conditionné : s’il n’y avait pas d’arrivage, vous n’aviez rien et vous aviez fait la queue pour rien.
Dans un village de six cents habitants, les six cents habitants étaient tous au même régime ! Nous allions tous faire la queue !

Il y avait quand même des histoires de classes sociales avec l’histoire du marché noir… Ceux qui avaient de l’argent étaient quand même nantis. Ils obtenaient tout ce qu’ils voulaient. Un frère de ma mère avait une petite ferme à deux ou trois kilomètres et ma tante allait régulièrement faire les marchés parce qu’elle y vendait des produits de la ferme, des œufs, du beurre…Mais elle ne passait à la maison que si elle avait des invendus ! C’était pourtant de la famille ! Si ma mère était allé lui demander quelque chose, elle lui aurait répondu non car elle savait qu’elle les vendrait plus cher au marché. J’en ai gardé un certain ressentiment : « Quand même ! Elle a des œufs (alors que nous, nous n’en avions pas) et elle ne nous en donne pas ». Ma mère en a d’ailleurs toujours voulu à ma tante d’avoir agi ainsi… d’autant plus que nous n’avions rien puisque nous n’étions pas fermiers. C’était comme ça. Des gens se sont d’ailleurs enrichis grâce au marché noir.

Il y eut également des pillages là où les gens étaient partis. Un militaire de ma famille avait laissé son domicile libre. Sa femme avait réussi à le suivre. Leur maison a été incendiée car les Allemands y ont trouvé des habits militaires. Automatiquement quand une maison prend feu, il y a des restes… et des visiteurs !

L’information

Mes parents écoutaient Radio Londres. C’était de l’hébreu pour nous car les messages étaient codés. Les gens l’écoutaient parce qu’ils pensaient : « On aura peut-être une information… » Le signal c’était « Boum, boum, boum, boum… boum, boum, boum, boum » Et tout cela était écouté en catimini, au volume minimum, car il ne fallait surtout pas que les Allemands entendent. Ils faisaient des rondes après le couvre-feu : le soir les gens ne sortaient pas, il ne fallait pas de lumière. Tout était obturé.

L’information était très limitée car il y avait très peu de journaux et ils étaient en plus tous censurés, tous à la solde du gouvernement. L’information était donc nulle mais le bouche-à-oreille fonctionnait beaucoup et les conversations étaient toujours à demie voix. On ne parlait jamais des évènements à haute voix. Les gens ne conversaient pas dans la rue car ils avaient un peu la crainte du voisin.

La méfiance

Il n’y avait pas de méfiance entre enfants. C’était peut-être valable dans les villes mais pas à la campagne parce que les gens se connaissaient bien… tout en se méfiant quand même. Une femme a été tondue à la Libération, ce qui m’a quand même marqué. Elle a été l’une des premières et elle est ensuite partie vivre recluse. Elle a continué à habiter le pays mais nous ne l’avons jamais revue et elle ne sortait qu’en voiture, soigneusement camouflée. Les femmes qui avaient fréquenté les Allemands ont été tondues, rasées, à moitié nues en public à la Libération. C’était la marque de l’infamie. Cela m’a beaucoup choqué. Elle vivait avec son frère et son neveu, qui était un camarade d’école. Nous savions que cette femme avait été tondue mais nous n’en voyions pas tellement la portée.

La Libération

Les Américains et les tirailleurs sénégalais nous ont libérés. Ce furent, à huit ans, les premières personnes de couleur que j’ai vues. Il y avait très peu d’immigration à l’époque, d’Antillais ou autres. C’étaient les premiers. Or, à l’époque nous buvions du chocolat Banania et sur la boîte était dessiné un monsieur noir avec des grandes dents blanches. Pour nous, on voyait Banania en vrai. En plus, ils étaient vraiment impressionnants. C’étaient des gros malabars, des G.I. américains avec leurs casques et tout ça. Ils nous ont fait découvrir le chewing-gum. Ils lançaient des portions de corned-beef, des bas nylons. Nous avions des rations alimentaires, du chocolat. Les tirailleurs sénégalais, eux, étaient moins riches. Pendant des jours et des jours, la vie a ainsi été rythmée par ces convois. Tout le monde y allait pour essayer de récupérer des choses.

Les Allemands, dans mon esprit, ont disparu du jour au lendemain dans notre village. Ils ont décampé. Il y eut des bombardements mais pas de combats. La vallée du Rhône, elle, a été libérée rapidement.

Je n’ai pas de souvenirs très précis de la façon dont mes parents ont vécu la guerre. Je sais qu’ils ont dit : « Vivement que ce soit terminé parce qu’on va pouvoir respirer, reprendre une activité normale », parce qu’économiquement c’était le chaos total. Mes parents avaient la chance de travailler tous les deux. Ma mère était femme de service dans une propriété. Il n’y a pas eu d’Allemands dans celle-ci pendant la guerre mais par contre, elle a vu des prisonniers allemands après. Ils avaient été placés là pour faire les cultures. C’était la réciprocité de nos prisonniers qui étaient allés en Allemagne. Mes parents avaient surtout cet espoir de retrouver une vie normale, sans contrainte, et d’avoir à manger. L’histoire du marché noir s’est éteinte à la Libération parce que les gens avaient besoin de manger, et là ils ont quand même mis leur mouchoir.

La relation parents/enfants

Mes parents ne m’ont pas raconté cette période car à l’époque, le gamin n’avait pas trop droit au chapitre. A table, nous n’avions pas trop le droit de parler. Ce n’était pas une punition. Nous étions élevés comme ça, c’est tout ! Il y avait en plus une ségrégation un peu sexiste car les garçons avaient presque plus de droits que les filles. Je me suis permis des choses que ma sœur, pourtant plus âgée de six ans, n’aurait pas pu faire. Ainsi, par la suite, adolescent, je suis sorti beaucoup plus jeune qu’elle. A quatorze, quinze ans, je courais les bals alors que ma frangine, à vingt ans, devait être chaperonnée, quelqu’un devait toujours l’accompagner, se porter garant d’elle, que ce soit un grand frère ou une copine, mais quelqu’un de référant. Nous n’avions pas tous les moyens d’information dont nous disposons aujourd’hui, notre esprit n’était pas aussi éveillé. Nous vivions au temps présent.

L’après-guerre

Il n’y a eu ni mort, ni prisonnier dans ma famille. J’avais des parents relativement âgés donc leur génération a été épargnée. Ma mère, née en 1903, était la plus jeune de sa famille. Mes oncles et mes tantes ont donc échappé à tout cela.

La vie a repris gentiment son cours…. Nous avons déjà été mieux informés car des journaux sont parus.

Il a fallu attendre 1945 pour assister aux premiers bals et aux premières fêtes !

Message aux jeunes :

A quoi sert la guerre ? Faut-il rester ennemi ? Le pardon est le plus noble des sentiments. Cultivez la devise de la France « Liberté, Egalité, Fraternité. »


Voir en ligne : La Bande Dessinée : Les Migrants

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