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Mme Carré née en 1910 à Avrillé, Vendée

Exploitation agricole à la Tranche sur Mer

au temps de l’arrivée des touristes

lundi 15 février 2010, par Frederic Praud

Madame Carré née le 16 juin 1910

Je suis née dans une ferme. Je suis une fille de la terre née de parents et de grands-parents foncièrement "agricole". Le berceau de la famille est vendéen. Je suis la cinquième et dernière d’une famille de cinq. Quand je suis arrivée, je fus très entourée par mes grandes sœurs qui avaient 10, 13 et 14 ans de plus que moi. Mon frère avait sept ans de plus que moi. Nous vivions au milieu d’une grande famille. La ferme était gérée par mes grands parents. Ils avaient gardé avec eux leurs quatre fils et leur fille. J’ai donc été élevée au milieu de mes parents, frères et sœurs, grands-parents, oncles et tantes et de mes petits cousins.

Mon père avait trois frères dont un non marié. Il s’est marié plus tard. Les trois aînés se sont mariés et les enfants sont arrivés rapidement. Nous nous sommes retrouvés à ma naissance à 11 petits-enfants sous le même toit dont quatre bébés nés en treize mois, de trois ménages différents. Ce qui faisait une famille de 21 personnes, les grands-parents, trois couples mariés, le fils non marié et onze petits-enfants.

Il a fallu que la famille éclate et que chacun constitue son propre noyau familial dans une petite ferme. J’avais trois ans lors de notre départ pour une autre ferme.

Je suis allée à l’école à partir de cinq ans avec mon panier sous le bras, mes tartines de pain et de beurre, avec un morceau de chocolat et mes livres… un ou deux livres, histoire et géographie. J’allais à l’école privée, j’avais donc des cours sur l’histoire sainte.
Mes sœurs sont allées à l’école publique mais étant la petite dernière de la famille, j’ai suivi les cours à l’école privée car elle était la plus près !

Je n’ai pas travaillé à la ferme. J’ai passé une enfance heureuse. Je revoyais souvent mes cousins car les fermes n’étaient pas très éloignées les unes des autres. J’ai perdu maman à mes huit ans en 1918 et j’ai par la suite été très entourée par mes sœurs aînées. Elle est décédée de la grippe espagnole. Mon père a été mobilisé pour la guerre 14. Je suis allée le voir avec maman à Bassens près de Bordeaux.

Je suis allée à l’école jusqu’à 12 ans, jusqu’à mon Certificat d’Etudes. Je voulais être infirmière. Le milieu hospitalier, que je connaissais très peu, m’attirait. J’avais sans doute entendu parler du dévouement des infirmières pendant la guerre, avec la croix rouge. Mais il n’en a pas été question. Pour les enfants issus du milieu rural, il n’était pas question de faire des études secondaires. Il n’y avait pas de classe de sixième. A l’âge de 13 ans, c’était fini. Dans ma commune, une seule jeune fille a fait des études secondaires et ses parents n’étaient pas issus du milieu rural. Mes sœurs n’ayant pas fait d’études secondaires, il n’y avait pas de raison que j’en fasse. C’était un espoir irréalisable. C’était naturel qu’une fille ne suive pas d’études. Ne disait-on pas, « c’est le garçon qui fait le nid et la fille vient se poser dedans ».

Dans la ferme, nous n’avions ni eau ni électricité. Nous allions chercher l’eau au puits à la chaîne avec un seau. Nous cultivions du blé, de l’avoine. La machine à battre venait tous les ans et c’était alors la fête à la ferme avec les voisins.

J’ai passé ma communion à Avrillé. Il y avait une différence de considération entre les élèves de l’école privée et de l’école publique. Pour les bancs des enfants, on mettait les élèves de l’école privée devant les autres. C’était alors la coutume, les gens payaient leur place de banc et personne n’aurait eu l’idée de se mettre à la place d’un autre. Si la personne qui avait payé sa place avait vu quelqu’un d’autre à sa place, elle lui aurait vertement demandé de céder la place.

J’avais 14 ans quand papa a épousé une seconde femme six ans après la mort de maman et nous sommes venus nous installer à la « Belle Henriette » sur la commune de la Tranche sur Mer. Ce n’était plus le même genre de ferme. C’étaient de l’élevage de bovins. Il n’y avait pas de céréales, pas de betteraves, la ferme avait donc besoin de moins de bras. Mes soeurs étaient mariées et parties. Je suis restée avec papa et ma belle-mère. Il y avait les vaches à traire, le lait à écrémer, le beurre à faire dans un moule et à aller vendre à des clients. La culture de la Tranche est très spéciale. Il n’y a pas de céréales. On y cultive de l’ail des oignons, de l’échalote et des pommes de terre « extra » mais tout cela est terminé. Les terrains se sont vendus pour la construction et la station balnéaire domine….

« La Belle Henriette » était située à cinq kilomètres de la Tranche sur Mer et à cinq kilomètres de l’Aiguillon sur Mer. Au départ, je ne venais pas tellement à la Tranche qui ressemblait à un village pauvre, très pauvre. Mes sorties étaient plutôt dirigées sur l’Aiguillon.

La Tranche s’est développée en 36 avec les congés payés. Les habitations comprenaient une à deux pièces. C’était un petit village sans richesse et très attardé. Le train venant de Luçon ( ? ou la Roche ?) s’arrêtait à l’Aiguillon.

Bien avant mon arrivée, il n’y avait pas de pont. Il fallait traverser la rivière en bateau. A l’Eglise de la Tranche venaient des étrangers (les estivants) qui n’aimaient pas s’entendre appeler ainsi, mais c’est comme ça qu’ils étaient appelés. Je venais peu à l’église car nous habitions trop loin. Ma ferveur ne me conduisait pas à la messe à pied.

J’ai eu un vélo. Le marchand qui venait de la Faute, est arrivé un jour à la maison avec le vélo sur son épaule. Il l’a présenté à papa qui a dit, « eh bien, on va t’acheter un vélo ». C’était un bon moyen de locomotion et même s’il avait peu de routes, je ne me souviens pas des pannes, des crevaisons.

J’ai connu des jeunes de la Tranche notamment une amie qui habitait la Grière. Elle habitait entre la Belle Henriette et la Tranche. Elle m’a amenée à la messe. J’ai repris le chemin de l’église et j’y ai découvert mon mari. C’était un catholique fervent. Les années ont passé. Je pensais, « il n’est pas mal ce garçon ! » Les rencontres à cette époque se faisaient généralement aux mariages, aux bals de sociétés mais comme j’étais à 5 kilomètres, le bal me passait souvent à l’as.

J’ai perdu papa en 1929 et tout s’est effondré. Je n’avais plus personne. Je me suis placé au Franc-Picard et j’ai fait trois saisons dans cet hôtel restaurant avant de me marier. Certaines familles venaient déjà en vacances à la Tranche. J’y suis rentrée à 19 ans après le décès de papa et je me suis mariée en février 32 à 22 ans. Mon mari était cultivateur à la Tranche.

N’ayant pas mes parents, j’ai bien été acceptée par ma belle famille. Pour le mariage, les parents de mon mari ont invité leur famille et amis. J’ai invité mes frères et sœurs qui étaient mariés et avaient des enfants. Nous avons loué une salle pour la journée et sommes partis en cortège pour l’église. Le mariage de mes sœurs s’était passé dans des fermes, ce qui ne fut pas le cas pour moi. Dans le bocage à l’entrée du chemin qui menait à la ferme, on plantait des branches de houx que l’on décorait avec des roses en papier. Ces roses en papier étaient confectionnées les dimanches qui précédaient le mariage par les jeunes qui se réunissaient pour cela.

Mon mari a fait une carrière militaire, une proportionnelle, qui nous a conduits à Rouen. Mon mari était déjà parti à l’armée à notre mariage. Il avait devancé l’appel. Il voulait voir autre chose que la culture. Je l’ai suivi à Rouen où il était déjà installé depuis deux ans. J’y ai habité sept ans jusqu’à la guerre. Mon fils aîné est né à Rouen en 1936. Mon mari a quitté Rouen en 39. Je suis revenue au pays, à la Tranche, avec mon fils. Nous avions notre petite maison que nous avions fait construire et j’ai beaucoup vécu avec mes beaux-parents.

Mon mari qui avait opté pour la DCA, avait demandé à se rapprocher de l’Ouest et nous allions être mutés à Tours. Il futconsidéré comme soldat dans la DCA à la déclaration de guerre sans pour autant avoir bougé. Il est donc resté aux alentours de Rouen dans la DCA. Il n’a pas été fait prisonnier. Par la suite, ils ont fait tout un tas de tours en France. Ils sont descendus dans le Gers et sur Toulouse pour petit à petit se fixer dans le Cher sous la ligne de démarcation. Je suis allée le rejoindre avec mon fils dans le Cher. Mon deuxième enfant est né dans le Cher.
Nous sommes revenus à la Tranche, d’un manière définitive pour moi et mes deux enfants, en février 1943. Mon mari n’avait pas fini pour autant son périple. Il est allé à Poitiers, à la Roche sur Yon, aux Sables. Il était adjudant.

En 1943, près 15 ans et six mois de service, il a pris sa proportionnelle et nous sommes devenus paysans Tranchais, avec des vaches, des veaux, des cochons, des poulets… Les années de 43 à 45 n’étaient pas bien belles à la Tranche. Les allemands occupaient la ville. On les rencontrait. Je les ignorais. J’avais mes deux enfants.

Les allemands sont arrivés un dimanche en début juin 40. Ils étaient venus chez nous pour voir s’il y avait de la place pour y loger mais j’avais déjà des réfugiés de Seine Maritime, de Neufchatel en Braye. Alors que mon mari était resté autour de Rouen, il s’est retrouvé avec un appelé de Neufchatel. Quand les allemands sont arrivés chez eux, il a dit « que va devenir ma femme avec mes deux enfants et mon frère infirme ? » Mon mari a répondu, « envoie les en Vendée. Ils seront en sécurité ! » Les voilà donc mais les allemands arrivent également presque aussitôt.

J’étais chez moi avec mes enfants et mes beaux-parents cultivateurs tout proches. J’allais travailler avec eux et faisais ce que je devais faire à la maison. Nous avions des légumes, des lapins… Cette seconde vie d’agricultrice a été dure après 15 ans de vie en ville.

Les blockhaus étaient occupés par les allemands. Nous n’avons pas subi de bombardement à la Tranche mais nous avons eu très peur avec les bombardements de la Palice. La Rochelle n’est pas loin à vol d’oiseau. Nous n’avons pas été inquiétés mais nous étions sur le qui vive. Nous ne pouvions pas descendre à la plage car ils avaient plantés de grands pieux en pierre « les asperges de Rommel ». Ils attendaient le débarquement.

J’ai eu trois enfants, le premier en 36, le deuxième en 42 et ma fille en 50. Ma fille n’a pas participé aux travaux de l’exploitation. Mon mari aurait bien voulu garder ses fils avec nous. Mais cela ne plaisait pas aux enfants. Mon aîné a commencé des études et la guerre d’Algérie est arrivée. Il est parti 37 mois en Algérie. Il est revenu à Vannes et a rencontré sa future femme.

Le deuxième n’a également pas voulu continuer ses études. Peut-être aurions-nous dû insister pour qu’il continue ? Avec son certificat d’études à 14 ans, il en avait grandement assez. Il a travaillé avec son père jusqu’à 19 ans et s’est engagé par devancement d’appel. Il s’est engagé pour faire 15 ans d’armée.

J’ai vu mes deux enfants partir… et je continuais l’exploitation. Nous n’avons jamais eu de tracteur mais un motoculteur. Il n’y avait pas de tracteur à la Tranche. Nous travaillions à la pelle, à la main. La Tranche est une zone spéciale où l’on cultive le sable. Cela commence aux Conches dans la commune de Longeville et cela s’arrête à la Belle Henriette à la limite de la commune de la Tranche. Nous avions quatre ou cinq vaches. Il fallait planter l’ail, l’oignon et les échalotes à la main, à genoux.

Le sarclage se faisait avec une ratissoire et se finissait à genoux pour enlever ce qui restait. Nous avons fait des vignes. J’avais un mari qui ne reculait devant rien. Tout ce qu’il voyait, il disait « on pourrait le faire ! » J’ai eu des poulets que nous achetions poussins d’un jour. Nous les engraissions pour la saison. Le vendredi et samedi une fois les poulets plumés, vidés, prêts à cuire, nous les vendions à nos clients.

Très vite il n’y a plus eu d’agriculteurs à la Tranche. Les terrains se sont lotis et les constructions sont arrivées. La Tranche est totalement métamorphosée.

Je n’avais pas de désir particulier concernant l’avenir de mes enfants. J’ai été prise dans ce genre de travail. J’y ai été amenée et j’ai suivi. Je ne souhaitais pas que mes enfants restent à travailler comme ça. Ils leur appartenaient de choisir ce qu’ils voulaient faire. Ma fille est allée au primaire à La Tranche puis a continué au Roc à la Roche. Elle a passé son Cap de sténo dactylo, s’est mariée et est partie travailler à Paris.

Nous n’avons jamais pris de vacances. Mon mari militaire venait en permission au mois d’avril pour labourer les pommes de terre et nous revenions en permission fin août début septembre pour ramasser les pommes de terre et faire les vendanges. J’ai eu une vie bien employée.

Dès 29, j’ai connu l’électricité à la Tranche. L’eau courante est arrivée dans les années dans les années 48/50. Nous avons construit en 37/38 ce qui m’a permis de venir passer le temps de la guerre avec mon fils dans ma maison. On se lavait sur une petite table de toilette où l’on se débarbouillait. Nous avions l’électricité.

Nous allions chercher l’eau avec le seau. Quand il faisait beau nous lavions dehors avec une bassine sur un trépied. On faisait bouillir le linge dans la lessiveuse. Quand on a vu couler l’eau à l’évier… quel miracle.

Nous avions des petits garde manger avec des grillages et on essayait de conserver les aliments en dehors des mouches. Nous avons ensuite connu des glacières avec des pains de glace. Le réfrigérateur a été un changement. Je n’ai eu la machine à laver qu’en 70 quand ma fille s’est mariée. J’ai tout lavé jusqu’à cette date. Les cottes, les pantalons d’hommes étaient les plus difficiles à laver à la main sur la planche

J’ai eu la télévision en 1961. Ma fille avait 11ans mais… elle n’aurait pas bougé de devant la télévision ! Cela nous a bien ouvert vers l’extérieur. Nous avions le monde à domicile et avions moins besoin de nous retrouver pour s’informer et discuter. Nous déjeunions devant la télé vers 13 heures et le soir vers huit heures moins dix pour voir les information. Un copain de mon mari lui dit « ha tu as la télé ! » C’était à Noël 61. A table nous parlions beaucoup plus ensemble avant d’avoir la télé.

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