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De la Gironde à Brassac les Mines

Mr et Mme Ducos, enfants en province occupée

jeudi 16 novembre 2006, par Frederic Praud

texte Frédéric Praud


MONSIEUR DUCOS

Je suis né le 25 juillet 1929 dans un petit village du sud de la Gironde.

La période de l’occupation est toujours restée un peu secrète. Dans le pays, les gens parlent peu. Nous avons vécu l’occupation et la Libération sans dire beaucoup de mots, mais avec pas mal de ressenti !

Une famille unie a revenus modestes

Nous habitions une maison isolée, éloignée de cinq cents mètres de celle du plus proche voisin, une petite exploitation agricole de dix hectares… Il n’y avait pas d’électricité dans cette partie du village, pas d’eau courante, non plus. Nous nous éclairions à la lampe à carbure et à la lampe à pétrole. Notre seul chauffage était la cheminée.

À la maison, nous étions neuf enfants, cinq filles et quatre garçons. Mes parents étaient ouvriers agricoles. Tous les mercredis soir et samedis soir, pour le rituel du rasage, mon père mettait sur la table de la cuisine une glace devant lui qui reposait sur une boîte métallique. Il se savonnait avec un blaireau et se rasait au couteau. Pour faire des économies, il mélangeait de l’eau à l’eau de Cologne pour se la mettre sur la peau.

Le travail commençait au lever du jour et se finissait tard le soir. On avait les bêtes à traire, à garder et la vigne à cultiver. Mon père travaillait pour un propriétaire qui habitait dans une commune située à dix kilomètres.

J’ai commencé à aller à l’école quand nous habitions encore cette maison. Nous faisions trois kilomètres et demi à pied rien que pour y aller, en sabots de bois, culotte courte, chaussette de laine et « feutres »… Mon père mettait des clous ou des caoutchoucs aux semelles pour ne pas user les sabots qui coûtaient si cher.

Nous partions le jour à peine levé, munis de notre musette en toile. Nous passions devant une ferme où vivait une grand-mère qui nous aimait bien. Elle se levait de bonne heure pour faire la tambouille pour les cochons de la ferme. L’hiver, elle nous guettait pour nous donner des pommes de terre chaudes que nous mettions dans nos poches pour ne pas avoir froid aux mains.

Nous avons déménagé en 1937 dans un village où, là par contre, nous étions juste à côté de l’école. La maison avait l’électricité et l’eau à quinze mètres, à la pompe ; mais, il n’y avait toujours pas de salle de bain. Ma sœur aînée avait la dure tâche de faire la toilette de tout le monde chaque samedi soir et nous étions neuf ! Elle faisait chauffer de l’eau, la mettait dans une grande bassine, et nous frottait les uns après les autres.

Nous mettions un « moine » dans les lits quand il faisait trop froid l’hiver. Et dans ce moine, des braises qu’on laissait dix minutes dans le lit avant de nous coucher. (Ce nom de « moine » vient d’un vieil usage dans les couvents et qui se pratiquait l’hiver surtout. Tout jeune moine se devait de chauffer le lit d’un moine plus âgé avant qu’il ne vienne se coucher.)

Nous avons vécu de façon tout à fait normale, du moins pour l’époque, c’est-à-dire que nous avons travaillé très jeunes. On gardait les vaches avant d’aller à l’école, surtout au printemps. Nous avions quatre vaches, deux vaches laitières et deux de travail, de somme. Nous les gardions une heure avant d’aller à l’école, et le soir en rentrant, pareil.

On vivait dans un pays de polyculture : tabac, maïs, blé, pommes de terre, citrouilles…. De tout, mais en petite quantité. On peut dire que nous vivions en réelle autarcie. Par exemple, nous n’avions pas à payer le pain au boulanger. Nous lui portions un sac de blé en échange de tant de kilos de pain, bien sûr !

Le lait nous apportait une rentrée quotidienne d’argent, quand les gens du village venaient en chercher. Le tabac était plus rentable car l’Etat nous payait dès qu’on le livrait, mais il fallait en donner la moitié au propriétaire car mon père était devenu métayer. Le métayer exploite la terre du propriétaire, s’occupe également de son bétail et toute la production, récoltes ou autres, est partagée en deux. En outre, le métayer ne peut pas couper un arbre sans l’accord du propriétaire.

Pas trop copain avec l’école

Je n’ai jamais été copain avec l’école. Nous étions trois familles nombreuses au village. L’instituteur nous donnait l’impression de ne pas aimer les familles nombreuses, et il nous laissait tous tranquilles au fond de la classe. Notre sort lui était égal ! C’est du moins ainsi que je l’ai vécu.

Un jour, une grand-mère m’a demandé ce que je voulais faire lorsque je serai plus grand. J’avais bien une petite idée. « Ah ben ! Alors, mon petit, m’a-t-elle dit, c’est tout à fait faisable, mais il faut d’abord que tu passes le certificat d’études ! » J’avais treize ans et je me suis alors mis à me lever une heure plus tôt le matin pour apprendre mes leçons. J’ai finalement obtenu mon certificat d’études, et dès le lendemain même, je ne suis plus retourné à l’école ! Je n’ai même pas rapporté mes livres. L’école, j’en garde un très mauvais souvenir. J’ai fait pareil face à une autre institution, le lendemain de ma communion solennelle, ils ne m’ont plus revu à l’église…

L’annonce de la guerre

Je ne passais pas mes vacances scolaires chez moi, mais chez ma marraine. Elle avait besoin de mains, comme elle disait, pour travailler. La guerre est venue un peu après ces vacances-là. Le garde champêtre du village avait annoncé la mobilisation ponctuelle de 1938. Je le vois revenir en 1939 et afficher l’ordre de mobilisation sur le poteau électrique. Dans la ferme d’à côté, Gaston, un grand costaud avec casquette, part dès le matin, au lever du jour, à pied à la gendarmerie du village d’à côté. Les gendarmes sont venus avec un papier à la maison mais ils ont laissé tranquille mon père quand il a sorti son livret de famille.

Mon père avait demandé au marchand de radio du village de lui bricoler un poste de fortune pour que nous soyons informés. J’ai entendu à quatre heures de l’après-midi : « La ville d’Amiens vient de capituler ! ». Et puis très vite, nous avons vu arriver des camions entiers de réfugiés : des familles, des enfants, des femmes, des vieillards. Ils venaient d’Alsace… Nous les avons logés comme nous avons pu, notamment dans un château qui se trouvait au village. Quelques enfants sont restés un moment avec nous à l’école quand elle a repris. On entendait aussi des gens qui disaient : « Oh ! Ce sont des Alsaciens… Oh, ils ne sont pas très loin des Boches ! ». Pour ma part, j’ai très vite été copain avec ces enfants de réfugiés…

Nous n’étions pas bien vu comme famille nombreuse. Ce sont des voleurs ! Il y a toujours suspicion sur la pauvreté. Le village était coupé en deux, le haut et le bas. Mes meilleurs copains d’ailleurs étaient aussi des immigrés, des fils d’Italiens, qui avaient fui l’Italie, le fascisme et aussi la pauvreté. Ils étaient agriculteurs. Ils étaient comme nous : des nôtres.

On s’entendait très bien, surtout quand il fallait castagner contre les fils de gendarme ou ceux des gens aisés du coin, des commerçants. Il ne fallait pas venir nous chercher. Nous avions des connivences sans avoir besoin de les verbaliser.

Nous n’avions pas le droit d’approcher les filles de la poste ou des instituteurs. Nous ne vivions pas bien ça. Nous nous bagarrions parfois à la fronde, et avec des vrais coups… Nous n’étions pas tendres.

Le silence est d’or

Notre maison en L comprenait une grande cour. L’armée française a ensuite remplacé les réfugiés. Notre aire de cour était occupée par leurs camions… Nous avons conservé les carcasses de ces camions pendant des mois. Une fois l’armée française partie, nous avons vu passer des groupes d’Algériens démobilisés. Ils s’arrêtaient chez nous pour manger avant de se rendre dans une ville à quatorze kilomètres. Ils allaient de gendarmerie en gendarmerie. Nous n’étions pas riches, mais il y avait toujours de la place pour une personne qui passait. Maman donnait toujours un bout de pain, de pâté.

Au début de l’occupation, j’ai entendu mon père commenter l’arrivée de Pétain, « Qu’est ce qu’il va faire ce vieux ? » Papa ne parlait pas beaucoup, et sa remarque devint lourde de sens pour nous autres, enfants. (Cela dit, en patois, la signification diffère en fonction des intonations.) Il éveillait en nous une certaine suspicion. Je l’ai plus ou moins ressentie comme « N’ayons pas confiance ! ». De sorte que, quand on nous faisait chanter la chanson de Pétain, j’essayais de me taire… J’ai toujours gardé en moi cet esprit de contestation. Mon père avait un discours de classe même s’il n’y mettait pas les mots… Ma mère n’était allée à l’école qu’un an avant d’arrêter pour travailler ; elle avait perdu sa maman quand elle avait huit ans.

Les parents ne nous ont jamais dit pour qui ils votaient, mais je suis persuadé qu’ils ont toujours voté à gauche. L’empreinte du radical socialisme dans la région était permanente. Les conseillers généraux, enfants du pays, étaient au PC.
La vie quotidienne était imprégnée de cette notion d’exploitation sans que l’on mette un mot dessus… Lorsqu’on parlait du propriétaire, on disait (en patois) : « Le bourgeois va venir ! ». Et ce mot de « bourgeois » nous marquait.

Les Allemands ont piqué mon vélo

La zone occupée était à dix kilomètres de chez nous. Les Allemands sont arrivés un matin, fin 1942. On les a vus au réveil, avec leurs bottes, leurs casques et leurs képis. Ils ont de suite occupé l’école… Ils ont piqué mon vélo. Ils se sont ensuite installés dans la maison voisine. C’était trop exigu chez nous. La maison avait une cuisine et deux chambres pour onze personnes. Nous couchions à cinq par chambre…

Quatre soldats gradés demandent un jour à ma mère de leur donner à manger montrant qu’ils paieraient. Je vivais ça très mal. On remarquait bien la différence entre les SS, arrogants, et leur intendance, des soldats chargés du ravitaillement. Un de ces derniers, qui devait être boulanger avant la guerre, avait dit à mon frère « Bientôt Russes….. kaput ». Il partait là-bas, où du reste, il allait mourir ! Nous avions une impression d’écrasement… Les occupants organisaient des expéditions en direction des forêts à la recherche des maquis (Voir « Les Enfants dans les arbres » de Roger Boussinot.)

La résistance du quotidien

Dans le village, une propriété appartenait à une famille juive de Bordeaux, des gens avec une très bonne réputation. Un jour, j’ai entendu dire : « Ils sont passés cette nuit, mais on ne sait pas ce qu’ils sont devenus !" Tout était dit sans que l’on prononce leur nom. Nous avons su longtemps après, qu’ils avaient fui la rafle des juifs de Bordeaux.

Les habitants s’entraidaient en période des vendanges ou de battages. Nous allions donner un coup de main avec ma sœur aînée. Nous partions le matin, travaillions et dans l’après-midi… Un jour, des camions passent et nous voyons les soldats allemands rentrer dans les maisons. Nous mangions le soir et nous devions rentrer chez nous. Nous avons traversé les champs à quatre pattes de nuit, en rampant dans les maïs pour ne pas se faire prendre par les Allemands. Nous avons su après qu’ils formaient leurs jeunes soldats pour les envoyer sur le front russe. Ils faisaient leur entraînement de nuit ! Nous les regardions allongés à utiliser leurs fusils mitrailleurs. Ce jour-là, deux jeunes allemands avaient tentés de s’évader, sans doute des « malgré nous » alsaciens…

Un rassemblement de jeunes se faisait chez nous tous les jours à midi, nos copains et les copains de nos sœurs… Le soir, souvent, deux hommes du village venaient discuter avec mon père. Nous n’avions pas le droit de les écouter, ni de façon plus générale de parler à table si on voulait éviter les coups de trique de mon père. J’avais trouvé une combine pour écouter, je faisais semblant d’apprendre une leçon dans un livre. Bien entendu, je ne comprenais pas tout, peut-être l’essentiel, cependant.

Pour mon père, les choses étaient claires et entendues. « De toute manière, disait-il, nous avons toujours été des serfs. Et qui que ce soit, qui sera à la tête, ce sera toujours la même chose. Cela ne changera rien pour nous ! On sera toujours les exclus de la société. »

Au village, chacun se méfiait de chacun. Aux réunions du soir, j’entendais : « Ah ! Celui-là, il ne faut pas en parler ! » Nous avons très vite été éveillés à savoir, à voir mais « on ne savait rien ».

Un réfugié, un Parisien avait élu domicile dans le village. Tout le monde savait qu’il avait été militant communiste. Un jour, une voiture s’arrête devant notre maison. Des hommes en chapeau, veste de cuir, comme s’habillaient les miliciens, en sortent et interpellent mon père en lui demandant s’il savait où cet homme habitait… Mon père savait pertinemment où le gars était, mais il n’a rien dit. Il ne l’a pas dénoncé ! Cet homme n’a jamais su que mon père l’avait protégé. Papa ne le lui a jamais dit. Il l’a simplement raconté plus tard au détour d’une conversation.

Les Allemands occupaient le château avec un stock de cigarettes. Je savais comment faire pour aller leur piquer les cigarettes… Nous nous le racontions entre gamins mais pas au fils du gendarme !

L’instituteur ne présentait que ceux qui étaient sûrs d’avoir le certificat d’études pas les autres… J’étais au travail à la ferme le lendemain du certificat et je suis parti très vite en apprentissage, apprenti boucher pendant la guerre…

L’adolescent apprenti boucher

Le lendemain du certificat d’études, je suis parti comme apprenti boucher. Pendant la guerre, la boucherie marchait du feu de dieu et utilisait quatre chevaux. C’est là, que j’ai appris à m’occuper de ces bêtes, et puis aussi à aller chercher huit ou neuf veaux dans une bétaillère. Je me levais entre cinq et sept heures du matin tous les jours. Tous les veaux n’étaient pas déclarés…

J’étais debout entre cinq et sept heures du matin tous les jours, et trois heures le samedi. Une équipe de miliciens était venue à six heures et demi dans la boucherie et on a voulu me faire parler. Je n’ai rien dit. Je ne savais rien. Ils ont dit au patron, « On ne peut rien en tirer de ce gamin ! » Ils contrôlaient le ravitaillement… tous les veaux n’étaient pas déclarés. L’économie parallèle fonctionnait bien, même si le patron ne vendait pas la viande plus chère pour autant. Je savais où étaient les choses planquées mais je n’ai rien dit ! J’ai continué mon apprentissage dans une ville plus grande…

Malgré la présence des Allemands, nous écoutions la radio de Londres qui était brouillée. Nous nous étions organisés pour repérer si quelqu’un arrivait alors nous éteignions la radio.

Les Allemands sont partis avant la Libération. Ils n’étaient plus là au moment du débarquement. J’ai vécu la libération dans ce village à sept kilomètres où j’étais apprenti. Nous avons dansé trois soirs de suite !
On travaillait dans la journée et on faisait la fête le soir. J’avais appris à danser étant morpion dans les greniers pendant l’occupation. Le dimanche soir nous allions dans une ferme écartée danser dans le grenier au son d’un fifre. Nous allions à pied aux bals clandestins. Nous vivions en tribu, au sein de notre famille nombreuse.

L’esprit d’après-guerre se résume clairement : les Allemands ont pris une bonne branlée et c’est bien fait ! Mais, par la suite, le rapprochement franco-allemand, avec la mise en commun du charbon et de l’acier dans les années 1950, ne m’a pas heurté, bien au contraire. On ne se mettrait plus sur la gueule pour des raisons économiques…

Message aux jeunes :

Je ne retiens que la notion de travail. Travailler jeune est, pour eux, un capital énorme quels que soient les événements. En fait, nous apprenions sans savoir que nous apprenions.

MADAME DUCOS, NEE TOUCHEBEUF

Je suis née le 6 juin 1927 à Brassac les Mines.

J’habitais à Brassac les Mines dans le Puy de Dôme en Auvergne. Mon père travaillait dans les bureaux des mines.

Les origines des mineurs étaient diverses. Il y avait notamment des Italiens, des « Macaronis » comme nous les appelions, et des Polonais. Tout se passait très bien entre enfants. Nous savions que les Polonais buvaient beaucoup et avaient une réputation de soûlards…

Le quartier où vivaient les Italiens et Polonais était appelé le Petit Cayenne par le curé du village. Il lui donnait ce nom parce qu’il y avait quelques règlements de compte. Les hommes allaient au café, buvaient, et se bagarraient.

Le conflit vu des Mines

En 1939, j’avais douze ans. Mon père n’a pas été mobilisé car les mineurs étaient tous réquisitionnés pour produire du charbon. On n’a pas trop ressenti le début de la guerre. Mon père était présent à côté de nous. Il n’y a pas eu beaucoup de transformations ni de familles touchées. Les pères étaient présents.

À la maison, nous avons toujours écouté radio Londres. On le faisait discrètement, car nous ne savions pas de quel côté étaient les voisins. Nous mettions de grands rideaux aux fenêtres pour qu’aucune lumière n’apparaisse à l’extérieur.

La guerre signifiait que des hommes allaient se battre contre les Allemands. Papa n’avait pas été mobilisé en 14/18 pour des questions de santé, mais il avait fait partie des troupes d’occupation en Allemagne tout de suite après la guerre. Pour nous les Allemands étaient des « Schleus », mais nous n’avions pas de sentiments particuliers envers eux, du moins avant-guerre.

Au début, je partais chercher de la nourriture avec mon frère, qui était mon aîné de quatre ans. Nous allions dans la montagne chez les paysans acheter du beurre, des œufs, des pommes de terre, enfin tout ce qui nous faisait défaut. Les cartes d’alimentation ne suffisaient pas. Et nous revenions la nuit car il ne fallait pas se faire prendre par les gendarmes. Mon vélo a crevé un soir. Il faisait nuit. Nous sommes passés près d’une maison où nous avons frappé. Personne n’a ouvert et nous avons fait nos kilomètres à pied. Mon frère est allé rassurer mes parents avant de revenir me chercher.

Les mineurs réquisitionnés avaient droit à de la nourriture de la part de la mine. Nous avions eu, entre autre, de la confiture d’orange ce que je n’avais jamais mangé…

Après mon certificat d’études, je suis allée dans une école privée tenue par des religieuses. Le drapeau français était hissé tous les matins dans la cour. Nous devions en faire le tour deux par deux en chantant : « Maréchal nous voilà ! ». Un grand portrait du maréchal trônait dans la classe. Nous avions l’impression qu’il nous suivait du regard lorsqu’on passait devant.

Comment échapper au STO

Mon frère a dû faire les chantiers de jeunesse…. Quand le service du travail obligatoire en Allemagne a été décrété, mon frère qui avait commencé à travailler dans les bureaux est descendu au fond. Il a échappé au STO comme ça : seuls les mineurs de fond n’étaient pas appelés pour partir en Allemagne. D’autres n’ont pas eu cette chance. Une famille italienne, par exemple, vivait près chez nous. Le père et le fils étaient volontairement partis au STO pour gagner un peu d’argent. Ils ont été humiliés à leur retour par des gens qui se disaient maquisards. Ils les ont fait défiler enchaînés dans toute la ville. Ils ont été battus, fouettés. Cela m’a fait mal au cœur….

Maquis et Résistance

On n’a pas réellement subi l’occupation. De toute la guerre, je n’ai vu les Allemands qu’une journée, bien que cette fois-là ait malheureusement suffi pour tuer un jeune. Les Allemands cherchaient des armes cachées dans un village de montagne. Un jeune de mon âge qui avait pris le maquis a été tué sur la route. Ils ont ensuite incendié le village.

Mon frère avait également pris le maquis quelques semaines avant puis il est revenu à la maison. Nous avions changé de maison ; de celle de mes grands-parents paysans, sans eau ni waters, à une maison moderne avec baignoire. Nous allions auparavant chercher l’eau à la fontaine située dans la rue et faisions nos besoins dans un seau hygiénique que maman allait vider à la rivière. Quand mon frère est arrivé du maquis, maman a lavé ses vêtements et sa couverture dans la baignoire pour que les Allemands ne découvrent pas ses vêtements qui sentaient la forêt. Un jour, nous avons vu les Allemands traverser les rues du village l’arme au poing et ils ont tiré sur un homme dans son champ.

Dans cette rue où nous venions d’emménager nous avons appris qu’un couple était parti. On nous a dit ensuite qu’ils étaient juifs ! Nous ne savions pas qu’ils étaient juifs. C’étaient des gens comme tout le monde ! Par ailleurs, nous ne savions rien sur les juifs à cette époque…

L’occupation n’exerça pas sur nous une pression quotidienne. Mis à part l’alimentation. Et encore ! Mon grand-père pouvait tuer un porc quand il était encore à la ferme. Le seul risque que nous prenions était de transporter la viande. Il n’aurait pas fallu se faire prendre par les gendarmes. La viande aurait été confisquée, et nous aurions eu une amende.

La population soutenait le Maréchal Pétain. Il représentait celui qui avait arrêté la guerre. La foule l’acclamait lorsqu’il se déplaçait.

Mon oncle était un des résistants du plateau des Glières. Lorsque les Allemands ont attaqué le plateau, il a réussi à leur échapper, mais il est tombé avec quelques-uns de ses camarades dans les mains des gendarmes, qui les ont mis en prison.
Ma tante allait presque tous les jours lui porter à manger. Il est resté en prison car il y était plus en sécurité. En ville, il aurait été arrêté par les Allemands. Le malheur fut l’exécution d’un général allemand par des maquisards. Les responsables de la prison ont alors décidé de fusiller huit otages. Mon oncle a fait partie des huit avec un Polonais et plusieurs étrangers. Il est enterré au plateau des Glières.

Une adolescence en dehors du conflit

Il ne me vient aucun souvenir de la Libération. Cela n’a pas été marquant pour moi. Nous avions écouté la radio pendant la période du débarquement et nous avons sorti un drapeau du grenier pour participer à la fête quand les Allemands sont partis. Le conflit ne nous a pas touché personnellement, exception faite de mon oncle. Après la Libération, il y avait des bals tous les soirs dans les villages. Mon frère allait danser.

Par la suite, j’ai continué l’école jusqu’au brevet élémentaire, que j’ai obtenu en 1942, à l’âge de seize ans. Après, j’ai fait une école commerciale jusqu’à dix-huit ans pour obtenir un diplôme de secrétariat, puis j’ai ensuite travaillé à l’Office des Anciens Combattants où je m’occupais des dossiers des prisonniers de guerre. Même avec mon salaire, je ne pouvais m’offrir un logement. J’ai logé pendant deux ans chez les bonnes sœurs de Saint Vincent de Paul…

Avoir seize ou dix-sept ans en 1944 n’était pas évident pour une fille. On rêvait toutes au prince charmant : grand, bel homme comme toutes les filles en rêvent… Les jeunes filles lisaient « Âmes Vaillantes » au patronage. Nous allions également au cinéma, montions des pièces de théâtre.

Nous ne sortions pas. Je faisais du scoutisme et je m’occupais des louveteaux. Nous allions nous balader dans les montagnes. Nous étions très sérieuses. Un dimanche où nous étions allés à une fête patronale de village en vélo, mon frère est rentré avant moi. Mon père est devenu comme fou. Où étais-je passée, s’était-il demandé tout ce temps. En arrivant, j’ai reçu la claque de ma vie. J’avais pourtant dix-neuf ans. Mon père était inquiet…

Message aux jeunes :

Je vois la guerre comme une chose idiote. Quand les gens ne se parlent pas, ne se connaissent pas, ils se déchirent tôt ou tard… Il n’y a que le dialogue et la connaissance de l’un et de l’autre qui font que l’on peut vivre ensemble. C’est ce que nous avons fait avec les Allemands après la guerre. Les jeunes d’aujourd’hui ont une chance inouïe de pouvoir vivre l’Europe et de pouvoir voyager dans des pays étrangers.


Voir en ligne : La Bande Dessinée : Les Migrants

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